Élisée Reclus, géographe libertaire

Élisée Reclus, géographe libertaire

Les éditions Libertaires nous ravitaillent régulièrement en graines d’ananar (garanties sans OGM). Le dernier semis nous parle d’Élisée Reclus (1830-1905). Semons, semons, il en restera peut-être quelque chose.

Géographe, anarchiste, communard, internationaliste, végétarien, auteur prolifique, père du naturisme, écologiste avant l’heure…, il y a plusieurs façons de définir Jean-Jacques-Élisée Reclus, plus connu sous le nom d’Élisée Reclus.

Né à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) le 15 mars 1930, Élisée était le quatrième enfant d’une famille protestante qui donnera la vie à dix-sept mouflets. Parmi ses frères, Élisée comptera un géographe (Onésime), un journaliste ethnologue (Élie), un chirurgien (Paul), un explorateur (Armand)…

Grand voyageur en France (notamment à l’occasion de fugues avec son frère Élie pendant leurs études à la faculté de théologie protestante de Montauban), à Berlin, à Londres (en exil après avoir protesté contre le coup d’état de Bonaparte du 2 décembre 1851), en Irlande, aux États-Unis, en Nouvelle-Grenade (Colombie actuelle)…, il découvre de multiples paysages humains, sociaux et géographiques et inventera ce que nous nommerons plus tard la géopolitique. Vivant de petits métiers (d’homme de peine à précepteur), Élisée tentera aussi, en vain, de créer une plantation de café.

De retour en France en juillet 1857, Élisée s’installa chez son frère Élie et entra à la Société de Géographie. Les deux frangins furent admis dans une loge maçonnique en 1860, mais attachés à leur liberté, ils y restèrent peu de temps. À la même époque, Élisée fut engagé par la maison Hachette pour réaliser les Guides Joanne destinés aux voyageurs. Un métier qui le conduira encore en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre (l’exposition universelle se tient à Londres en 1862), en Espagne…

Élie et Élisée vont adhérer à l’Association internationale des travailleurs (AIT) en septembre 1864. Bientôt, ils rencontreront Michel Bakounine à Paris et militeront à la Fraternité internationale, société secrète fondée par le philosophe anarchiste. En 1867, Élisée sera au congrès de l’AIT, à Lausanne. En 1868, il interviendra au congrès de la Ligue de la Paix et de la Liberté, à Berne. En 1869, année où il rédige son bel essai Histoire d’un ruisseau, il participera à une séance du conseil général de l’Internationale à Londres. Ce qui défrisait Marx et Engels. Marx le communiste ne ratait pas une occasion pour railler la « triste figure » des frères Reclus, libertaires pur jus.

Quand la Commune de Paris fut proclamée, le 28 mars 1871, Élisée Reclus ne resta pas spectateur. Il s’engagea dans la Garde nationale. Quelques semaines plus tard, il sera fait prisonnier par les Versaillais à l’issue de combats. En novembre, « coupable d’avoir porté des armes apparentes dans le mouvement insurrectionnel de Paris et d’avoir fait usage de ses armes », le conseil de guerre le condamna à la transportation en Nouvelle Calédonie. Grâce à une pétition internationale réunissant une centaine de scientifiques anglais et américains (dont Darwin), la peine sera commuée, le 15 février 1872, en dix ans de bannissement. L’occasion pour Élisée de se mettre à la rédaction de ses grands travaux géographiques comme l’époustouflante Nouvelle géographie universelle (dix-neuf volumes pour 17 873 pages et 4 290 cartes).

Malgré des drames familiaux, Élisée poursuivit ses activités politiques et scientifiques en Suisse. Il y rencontra des révolutionnaires (comme l’anarchiste Pierre Kropotkine, également géographe), corrigea les mémoires de Bakounine, voyagea (Égypte, Tunisie, Algérie, Asie mineure, Hongrie, Espagne, Portugal, Etats-Unis, Amérique du sud...), fit corriger ses manuscrits par ses amis anarchistes dispersés dans divers pays… Mêlant ses deux passions, conscient des liens puissants et chaotiques qui unissent les hommes à leur environnement, Reclus utilisait la géographie sociale pour poser les bases d’une théorie libertaire, du local à l’infini. Il voulait démontrer que l’organisation anarchiste d’une société épouse l’organisation naturelle du monde.

Ses travaux publiés eurent un certain succès. La Société de géographie de Paris, suivie par celle de Londres, lui décerneront même leurs médailles d’or. Le contexte français (affaires Ravachol et Auguste Vaillant) n’étant toujours pas très bon pour lui, Élisée s’établira à Bruxelles. Il y fera la connaissance d’Alexandra David-Neel. Élisée préfacera le premier ouvrage d’Alexandra, Pour la vie. Élisée sera également mêlé à l’aventure de l’Université nouvelle où il donnera des cours de géographie comparée à partir de mars 1894.

Auteur pour de nombreux journaux scientifiques européens, Élisée reste militant. Il écrit parallèlement pour Le Révolté, Le Cri du peuple, L’Insurgé… « L’anarchie est la plus haute expression de l’ordre », assurait Élisée Reclus animé qu’il était par une vision généreuse et optimiste de la nature humaine.

Après avoir donné son œuvre finale, L’Homme et la Terre (six volumes pour 4 000 pages), Élisée Reclus meurt en Belgique, le 4 juillet 1905, d’une angine de poitrine. Il demanda à être enterré dans la fosse commune du cimetière d’Ixelles où son frère Élie l’avait précédé. Le philosophe encyclopédiste qui a sillonné le monde en homme libre nous a laissé un capital philosophique, scientifique et humain incontestable, mais trop longtemps occulté par les géographes influencés par le sectarisme marxiste.

L’ouvrage publié par les éditions Libertaires revient utilement sur l’apport fondamental d’Élisée Reclus en espérant que les géographes d’aujourd’hui et de demain oseront se saisir de l’approche reclusienne pour appréhender la complexité du monde actuel.

Élisée Reclus (par Guy Hénocque, Paul Boino et Olivier Clairat), éditions Libertaires, 78 pages. 8€.

Egalement disponibles dans la collection Graine d’ananar :
Michel Bakounine (par Amédée Dunois et René Berthier), Max Stirner (par Victor Roudine, Daniel Guérin et Rudy Rocher), Raoul Vaneigem (par Grégory Lambrette), Juan Martinez-Vita dit Moreno (par lui-même), Gaston Couté (par Pierre-Valentin Berthier), May Picqueray (articles du Réfractaire).

Un site pour en savoir plus sur Élisée Reclus