Leonora Carrington, la mariée du vent

Leonora Carrington, la mariée du vent

Publié à l’occasion de l’exposition Leonora Carrington, la mariée du vent qui est actuellement présentée à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, jusqu’au 18 juillet 2008, ce bel ouvrage accompagne la manifestation Tout retour est un commencement / Hommage à Octavio Paz (1914-1998), organisée par l’Instituto Cervantes, l’Instituto de México et la Maison de l’Amérique latine, Paris, juin 2008.

Tandis que le Dallas Museum of Art et la Frey Norris gallery de San Francisco présentent une part importante de ses œuvres, les parisiens sont invités à se rendre au 217 du boulevard Saint-Germain pour y découvrir un ensemble de 55 peintures, dessins et sculptures qui furent, pour l’essentiel, réalisés dans les années 1940, au Mexique.
Mais il y a aussi des photographies, des documents et des livres retraçant sa vie qui viennent ponctuer l’exposition.
C’est une grande première pour notre jeune siècle naissant, car depuis 1969, à Paris, Leonora Carrington n’avait plus exposée … On remercie ici l’Union Latine et le Ministère des Relations Extérieures du Mexique qui ont apporté leur soutien pour que nous puissions enfin (re)découvrir cette œuvre dense en diversités conjuguées : écrivain (nouvelles, récits, théâtre) tout aussi bien qu’artiste plasticienne, Leonora Carrington peint, dessine et sculpte quand elle ne voyage pas.
Née en Angleterre en avril 1917, sa vie est roman.

Hé oui, il en est ainsi de certaines météorites qui traversent l’existence comme ces astres froids qui s’enflamment au contact de notre atmosphère. Atmosphère ? Atmosphère ? … On connaît la suite, mais, justement, ici, il n’est question QUE d’atmosphère. Leonora Carrington est un OVNI, "une somnambule échappée d’un poème de Yeats, entre les roches blanches et la mer verte du Nord." (Octavio Paz). Ces deux-là se sont rencontrés au Mexique, en 1942, quand le flux migratoire en provenance de New York emporta les réfugiés de la guerre civile espagnole et de la seconde guerre mondiale …
Si Octavio Paz reconnaît être passé par une étape surréaliste, Leonora Carrington la réfute encore aujourd’hui : elle se serait armée des pouvoirs de la folie pour entreprendre le long périple de sa vie, pénétrer en ses labyrinthes chimériques et passer du paradis à l’inframonde. Quels que furent leurs chemins, ils finirent tout de même par se rejoindre dans une même fascination pour les énigmes de l’inconscient, pour les images qui subvertissent la réalité et affrontent le désert d’une civilisation rationnelle, industrielle et utilitaire.

Mais la véritable naissance artistique de Leonora Carrington fut sa rencontre avec Max Ernst, à Londres, en 1937. Ce fut un coup de foudre, des deux côtés, et sur la folie de ses vingt ans elle décida de rejoindre son grand amour à Paris. Elle y rencontrera André Breton qu’elle impressionnera par ses écrits et ses peintures fantastiques, sombres et satiriques. Une atmosphère qu’elle imposera dans toute son œuvre durant toute sa vie, peuplant ses toiles d’étranges et insolites personnages dont le sens occulte ne se dévoile qu’à peine mais qui envoûtent le spectateur. Au-delà des frontières spatiales ou nationales, l’artiste ne se réduit pas à un territoire géographique, et le monde qu’elle respire est universel : "Les tableaux de Leonora sont des énigmes : il faut entendre leurs couleurs et danser avec leurs formes sans jamais essayer de les déchiffrer. Ce ne sont pas des tableaux mystérieux mais merveilleux." (Octavio Paz)

Soit, mais le merveilleux n’empêche en rien le fantastique de s’inviter, et la provocation de s’insinuer dans les mailles d’une œuvre inclassable. Dès 1937, d’ailleurs, Leonora Carrington frappa un grand coup en publiant, dans l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton, une nouvelle où une jeune hyène, parée d’une robe du soir, finit par dévorer le visage humain précédemment arraché par ses soins, qu’elle avait choisi de porter en masque pour faire bonne figure au Bal des débutantes. Le ton était donné …
Jusqu’au plus profond de sa nuit, Leonora Carrington ira chercher l’arme de la littéralité dont elle connaissait jusqu’alors le pouvoir poétique de provoquer, le temps d’une étincelle, les plus fulgurants retour du corps dans le langage. Défi ? Certainement, encore qu’elle parviendra toute sa vie durant à demeurer insaisissable dans la lumière d’un temps hors temps, dans le seul but de dévoiler par le merveilleux cet espace qui, toujours, est à venir.

Elle aura été surréaliste bien avant de rencontrer les surréalistes, qui plus est dès lors qu’elle définit "le surréalisme comme l’approche d’une réalité que nous ne comprenons pas encore." Adepte du pied de nez, elle affirmera en 1954, répondant au questionnaire d’André Breton sur L’Art magique, que "Tout ce que nous prenons pour la Réalité est le petit cauchemar coagulé dans le mental de l’homme qui domine notre espèce : l’homme bien, l’homme puissant."

Agrémenté de magnifiques reproductions, parfois en double pages, de textes et de poèmes d’Octavio Paz, d’une lettre de Max Ernst, d’une critique d’André Breton, de textes de Leonora Carrington, cet album rassemble, sans le résumer, une œuvre trop éclatée pour être réduite à quelques pages, mais nous donne très justement une atmosphère, couleurs et musiques, senteurs et émotions, d’une vie magnifique qui mérite notre attention. Alors, en route pour le boulevard Saint-Germain …

Annie Le Brun, Leonora Carrington, relié plein papier, 195 x 255, 40 illustrations couleurs, Gallimard, mai 2008, 112 p. – 30,00 €