Les Sujets "trash" du Bac 2008

Les Sujets "trash" du Bac 2008

Le baccalauréat a-t-il un sens ? Cette année encore, les politiques et les media ont planché sur la question philosophique des bienfaits de la connaissance et de son évaluation… sans y répondre parfaitement ! Leur progéniture aura-t-elle plus de chance que les pontifiants énarques et agrégés, alors que cette branche de laurier paraît désormais complètement dévaluée ?

En 2003, à la suite du long mouvement social des enseignants contre les réformes des retraites et de la décentralisation privant les lycéens de plusieurs semaines de cours, le taux de réussite dépasse pour la première fois 80%. En 2006, année de mobilisation contre le CPE, il atteint 82,1%, le taux le plus élevé de l’Histoire après 1968, soit 80% de reçus, contre 63% l’année précédente. En 2007, le record est une nouvelle fois battu avec 83,3% de réussite. Le taux monte même à 88,4% en section scientifique. On pourrait croire qu’il suffit maintenant de se porter candidat pour être assuré de devenir bachelier. En y ajoutant ceux qui, recalés la première fois, l’obtiennent l’année suivante, plus de 95% de ceux qui passent le bac l’ont.


Ce n’était pas le cas au moment de la création de l’épreuve, en 1808 par Napoléon, où seuls 31 élèves avaient pu se prévaloir de ce précieux sésame pour l’Université ou les grandes écoles. À la veille de la Première Guerre mondiale, ils sont 7 000, puis 30.000 en 1945, soit un peu plus de 4 % d’une génération, puis 60 000 en 1960. En 1985, on ne compte encore que 29,4 % d’une génération à décrocher le diplôme.


C’est à partir de cette date que le système s’enraye. Cette année-là, en effet, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Éducation nationale du gouvernement Fabius, fixe comme objectif au système éducatif la mission de porter 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat avant la fin du millénaire. Pour autant, les 615.000 candidats du bac 2008 ne forment qu’un peu plus de la moitié de leur classe d’âge, c’est-à-dire 64,2%, et les 38 millions d’euros dépensés par les pouvoirs publics pour leur permettre de passer les épreuves semblent d’autant plus inconsidérés que le taux d’échec en première année de faculté devient la principale étape pour la sélection.
Cette année encore, malgré de multiples précautions et une longue procédure, des sujets circulent sur la Toile, avec plus ou moins de pertinence, et un talent de facétie parfois douteux. Que dites-vous de ceux-ci ?

Série scientifique :


Pour les forts en maths, la philosophie est conçue comme un exercice de style et le moyen d’apprécier les capacités du candidat à s’adapter à un type de raisonnement logique un peu différent… Et puisqu’il s’agit de la voie royale empruntée par les décideurs en herbe, qui pour certains s’orientent ensuite vers des filières où la maîtrise du langage est fondamental, il n’y aura pas de quartier. Le programme doit être assimilé aussi bien qu’en section littéraire, et l’agilité d’esprit sanctionné de la même manière.

L’artiste est-il aussi un technicien ?

Votre monde est-il une partie du monde ?

Les paroles s’échappaient en torrent d’une bouche invisible, prenaient vie et s’approchaient de moi, tournoyant et pivotant sur elles-mêmes comme des esclaves aux vêtements bariolés, puis s’enfonçaient dans le sol ou disparaissaient dans l’air en vapeurs miroitantes pour faire place aux suivantes. L’espace d’un instant, chacune espérait que je la choisirais et renoncerais à examiner les autres. Nombre d’entre elles passaient en se pavanant dans de somptueux atours, à pas lents et mesurés. Beaucoup comme des reines, mais vieilles et décrépites, les paupières fardées — avec une bouche de putain, les rides recouvertes d’un maquillage affreux. Je regardais celles qui passaient, celles qui arrivaient et mon regard glissait sur de longues files aux visages si ordinaires, si dépourvus d’expression qu’il semblait impossible de les graver dans la mémoire. Gustav Meyrink, Le Golem.

Série économique et sociale :


Le programme étudié est à peu de choses près identique à celui de la section scientifique, avec les thèmes de la culture, la vérité, la société, ou encore la morale… Les sujets d’épreuves sont cependant orientés vers les centres d’intérêt des élèves, et l’on se penche avec plus d’intérêt sur leurs aptitudes à appréhender le monde d’aujourd’hui, dans ses aspects pratiques.

Qui a le choix entre le réel et le virtuel ?

La liberté peut est-elle être une illusion ?

Le technicien dit : biffons l’instance de la nature et il n’y aura plus de bornes à l’empire de notre loi ; le désirant répond : biffons l’instance de la loi, et il n’y aura plus de bornes au déchaînement de la nature. Le premier adhère à la machine parce qu’il ne croit plus en Dieu ; le second croit à la vie parce qu’il refuse la norme. Là, on niait la transcendance qui réglait la volonté de l’homme ; ici, on nie l’Œdipe qui soude le désir au manque. Dans un cas, saute le verrou substantiel qui seul faisait échec au rêve thanatocratique, dans l’autre on brise les freins normatifs qui continuent de nous tenir aux antichambres de la mort. Les fronts sont renversés, mais le dispositif est analogue : l’objectif est toujours d’abattre les frontières invisibles qui enrayent le développement de la folie capitaliste ; le résultat est toujours aussi de déchaîner le nihil quand on s’imagine et qu’on prétend adorer le plein. L’économie libidinale est une économie vulgaire : le mot d’ordre n’a pas changé, — poussez, poussez encore, il n’en sortira que du bonheur. Le capitalisme énergumène est une autre version du capitalisme technocratique : comme lui, il fait, de son déni de la borne, le chemin d’une dévastation qui s’appelle en l’occurrence la perversion. L’idéologie du désir est une figure de barbarie au sens très rigoureux où je l’ai définie en commençant : partant d’une adoration sans réserve de l’ordre du monde comme il va, elle ne fait rien d’autre que le faire aller, le faire tourner, plus vite et plus fort encore. Bernard-Henri Lévy, La Barbarie à Visage humain.

Série littéraire :


Presque chaque année, on retrouve un grand sujet qui fait le lien entre les différentes parties du programme. C’était le cas en 2007 avec la question : les œuvres d’art sont-elles des réalités comme les autres ? Elle exige de travailler évidemment sur la question de l’art, mais plus largement de la culture, de comparer la production artistique et la production technique, de prendre en compte les notions de conscience ou de perception, celle du temps, mais aussi du réel, avec par exemple la distinction entre la matière et l’esprit ou encore de la liberté. Pas d’impasse possible !

La culture est-elle un bien commun ?

Le doute est-il préférable aux certitudes ?

Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai pensé à maman. Il m’a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d’une vie elle avait pris un fiancé, pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s’éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine. Albert Camus, L’Étranger.

Séries technologiques :


Trois sujets sont proposés, deux sujets de dissertation et une explication de texte, dont l’auteur et le sujet figurent dans la liste. Des questions en guident l’étude : elles aident à dégager son idée principale et son organisation, à expliquer deux ou trois points particuliers et à discuter l’idée centrale du texte. On trouve dans le nouveau programme beaucoup de chapitres qui étaient déjà dans l’ancien, comme l’art, la technique, la vérité, la raison, ou la liberté. On en trouve aussi de nouveaux, mais la première année, la mansuétude est de rigueur. Les sujets sont classiques, d’autant plus que dans ces sections, la philosophie n’est pas la priorité…

Le progrès technique est-il un bienfait ?

Qui a raison de croire au bonheur ?

L’homme de conviction a la foi pour épine dorsale. Rester aveugle à bien des choses, n’être impartial sur aucun point, être foncièrement de parti pris, avoir sur toutes les valeurs une optique stricte et obligée — voilà ce qui seul rend possible l’existence d’une telle espèce d’hommes. Mais c’est ce qui en fait l’antithèse, l’antagoniste de l’homme véridique, — de la vérité… Le croyant n’est pas libre de disposer de sa conscience pour répondre à la question du vrai et du faux : être probe en cette occurrence-là signifierait sa ruine immédiate. Le conditionnement pathologique de son optique fait du croyant un fanatique — Savonarole, Luther, Rousseau, Robespierre, Saint-Simon —, le type antithétique de l’esprit vigoureux, devenu libre. Mais la pose grandiose de ces esprits malades, de ces épileptiques de l’idée agit sur la grande masse, — les fanatiques sont pitoresques, l’humanité préfère voir des gesticulations plutôt qu’entendre des raisons… Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist.

1. Dégagez les idées du texte et les étapes de leur argumentation.
2. Expliquez :
a) en quoi l’homme de conviction est-il victime d’aveuglement ?
b) Le conditionnement pathologique de son optique fait du croyant un fanatique.
c) pour quelles raisons le doute est-il préférable à la croyance ?

 

 


Doit-on toujours avoir la foi en la sagesse ?
Cette idée invivable a fait beaucoup de morts
Sans jamais dans le monde inspirer de remords
À quiconque et fait vivre aussi mal que la gesse.


Le sage a pris du champ et pense avec largesse
Donner de bons conseils avec aux dents le mors
Au prince ouvert aux mots d’esprit, lequel l’aime hors
Les murs, que la foule ivre abat en sauvagesse !


Les questions sont sans fin et font de beaux débats,
En bon batteur d’estrade et instruit, tu les bats
Pour le plaisir d’un beau discours et pour la cause.


Le beau parleur nous plaît et nous savons qu’il ment
Mais s’il est découvert, soudain c’est la psychose
Nous avons bien compris que ce monde est dément !