Patrick Poivre d’Arvor Travailleur précaire

Patrick Poivre d'Arvor Travailleur précaire

La France est choquée : Patrick, l’éternel jeune homme que les ménagères de moins de 50 ans convient tous les soirs à dîner non sans plaisir risque de disparaître à tout jamais des étranges lucarnes… Le journaliste a donné les nouvelles du monde aux foyers français du 16 février 1976 au 11 juillet 2008 presque sans interruption, 32 ans de bons et loyaux services accordés sans faille à la télévision française : après toutes ces années, ces exigences journalistiques méritaient, je pense, un peu plus d’élégance, a constaté jeudi, amer, le présentateur-vedette du journal de 20 heures de TF1… C’est pourquoi il a pris acte de la désinvolture de son employeur, filiale de la maison Bouygues, en présentant mercredi sa démission et en lui offrant de s’éclipser dès vendredi soir.

Patrick Poivre d’Arvor est donc venu rejoindre la cohorte des travailleurs précaires, pressés comme des citrons par des patrons brutaux, puis jetés à la rue, tout fumants comme des mégots. Comme des millions de salariés, cette figure emblématique de la France courtoise et cultivée est devenue victime du système après l’avoir servi : j’ai eu la surprise d’apprendre cette décision lundi, comme tout un chacun, en découvrant la "une" des journaux. Les dirigeants de TF1 me l’ont, depuis, fébrilement confirmée, sans me donner la moindre explication sérieuse, a-t-il écrit à l’Agence France-Presse. Son éviction du journal télévisé le plus regardé de France est-elle une surprise ? Pas le moins du monde, puisqu’il avait été annoncé depuis plusieurs mois les départs de Claire Chazal et de Patrick Poivre d’Arvor. Harry Roselmack avait été prévu de longue date pour succéder à la première. Le nom de la remplaçante du second tardait à s’imposer dans le public et parmi les directeurs de la 1ère chaîne, qui ont l’embarras du chois parmi les stars féminines du petit écran. Laurence Ferrari, qui connaît bien les locaux mais qui sait également s’adapter à toutes les situations, a emporté le morceau finalement, et s’est décidée le week-end dernier pour répondre à la proposition en or de TF1.

Surprise d’un départ programmé


Pour Le Parisien, qui a donné la nouvelle dans son édition du lundi 9, Patrick Poivre d’Arvor est averti tout de suite, puisqu’il y est écrit que le présentateur est rentré chez lui du tournoi de Roland-Garros effondré, dimanche donc… Le moins qu’on puisse dire est que la nouvelle est tombée mal pour le clan Chirac, qui mettait la dernière main à l’inauguration de la fondation pour la paix et le développement durable, que le précédent président de la République avait prévu d’inaugurer le lendemain. Du coup, le départ de Patrick Poivre d’Arvor a fait le tour des gazettes, éclipsant à peu près l’initiative de Jacques Chirac. Faut-il y voir la main habile de son successeur au palais de l’Élysée, dont les journaux et les magazines ne tarissent pas de spéculer sur les relations que Nicolas Sarkozy a su lier avec la presse ?


Il y a une tendance de ce pouvoir exécutif à se mêler des affaires des médias, en intervenant sur la télévision et en critiquant la presse. Mais on est libre et ils sont libres de nous critiquer, explique Christophe Barbier à Libération vendredi. Pour Bernard Violet, auteur d’une récente biographie du présentateur-vedette, le journaliste est sans aucun doute un homme de pouvoir, confiait-il à Marianne au début de l’année. Sa surface médiatique est énorme. Car ce n’est pas seulement TF1, mais aussi ses émissions littéraires, à la télé et la radio, des connivences dans le monde de l’édition. Il a des copains partout dans la presse écrite. Avec habileté, il se fait mousser par la presse people. C’est sa façon à lui de renforcer son statut de star. En interne, il est très critiqué par les journalistes. C’est un autocrate qui agace ses collaborateurs. En même temps, il sait que personne n’est irremplaçable. Pour preuve : ses remplaçants obtiennent les mêmes scores d’audience que lui.


Le choix de Laurence Ferrari n’apparaît pas comme anodin. Des rumeurs, lancées par le Daily Mail à l’automne, spéculaient sur une idylle entre la journaliste et le chef de l’État, mais plusieurs magazines ont été condamnés en France pour l’avoir entretenue. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! Nicolas Sarkozy non plus n’a pas bonne presse, surtout quand il se mêle d’annoncer aux journalistes les changements d’organigramme au sein des rédactions, comme ce fut le cas lors du transfert de Nicolas Beytout du Figaro aux Échos… D’autre part, Patrick Poivre d’Arvor est certain d’avoir vexé le président de la République en le comparant à un petit garçon quelques jours après son élection, le 6 mai 2007, à la magistrature suprême.

Un professionnalisme à toute épreuve


Celui qu’on ne désigne plus depuis longtemps que par ses quatre initiales est aussi un vieux routier de la politique : longtemps d’obédience centriste, il côtoie Rachida Dati, Jean-François Copé, Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy dans les cénacles du club Le Siècle… parmi tant d’autres personnalités du monde politique. Étudiant à Sciences-Po, il est membre des Républicains indépendants et il entre à Antenne 2 lorsque Valéry Giscard d’Estaing arrive au pouvoir, avant d’y effectuer une ascension rapide, et déjà, d’y présenter le journal de 20 heures. Son sens politique ne l’a jamais abandonné, comme en témoigne Bernard Violet :


C’est un bon professionnel. Il fait assez correctement son travail. Il est très habile dans sa façon de traiter l’information. Lors de l’affaire de l’appartement Gaymard, il s’est quand même débrouillé pour en parler à la 25ème minute. Pour la garde à vue de l’ancien conseiller en communication de Jean-Pierre Raffarin, Ambiel, l’info n’a été traitée que par une brève plateau. Sans oublier la fameuse interview truquée de Fidel Castro. Mais ce n’est pas tout. Lors du procès Botton, un collaborateur de Carrignon accusé de corruption, PPDA avait été mis en examen, plusieurs journalistes syndiqués ont protesté, arguant de ce que cette affaire entachait l’image de TF1. PPDA a décroché son téléphone et fait venir les journalistes un par un pour prêcher la bonne parole. Au final, ils se sont tous dégonflés. Certains d’entre eux ont obtenu peu de temps après des postes prestigieux de correspondants à l’étranger

Les amours contrariées de la presse avec la politique


La collusion des gens de presse et du monde des affaires et de la chose publique ont toujours été l’objet de soupçons de la part du public, quand ce n’est pas par eux-mêmes ! Ainsi, Léon Blum écrivait-il dans L’Échelle humaine : On ne peut pas évoquer sans honte le tableau de la grande presse en France pendant ces vingt dernières années où l’on ne saurait disconvenir sans mauvaise foi que sa vénalité presque générale, traduite chaque fois par une déchéance technique, n’ait été un foyer d’infection pour le pays tout entier.


Bien plus tard, au cours de l’été 2006, François Bayrou s’est distingué en prenant à partie les dirigeants de TF1, qu’il a explicitement accusé de le marginaliser au profit de son rival Nicolas Sarkozy. Le débat s’est poursuivi plusieurs mois durant, offrant au candidat de l’UDF une audience inespérée… Depuis, d’autres voix se sont élevées pour réclamer un partage strict entre les capitaux des groupes de presse et des prétendants aux marchés publics, ou le décompte du temps de parole du président de la République à la télévision. La main du 4ème pouvoir est-elle pour autant dans celle du pouvoir politique ? Pour Christophe Barbier, le fait n’est pas avéré : c’est légitime de la part de Fillon de publiquement me dire ce qu’il m’a dit. Mais je maintiens mes informations. Je considère qu’il n’a pas franchi la ligne jaune. Je préfère ça que Fillon téléphonant à mon actionnaire. Il ne le fait pas et je lui en sais gré.


Les règles paraissent bien établies, en dépit de ce que chacun pourrait supposer. L’antienne que Patrick Poivre d’Arvor s’évertue à présenter au public depuis le début de la semaine est une vieille lune, comme on l’a vu, et elle resurgira tant qu’il y aura des restructurations dans les hautes sphères. Ce qu’il observe comme un licenciement déguisé n’en est pas un, et l’Élysée ne fait pas la pluie et le beau temps dans les organes d’information comme dans les conseils d’administration. C’est également ce qu’a écrit récemment le chef de Cabinet de Nicolas Sarkozy à l’auteur en d’autres circonstances : je suis au regret, toutefois, de vous faire savoir que la Présidence de la République ne peut intervenir auprès d’un organe de presse qui recrute en toute indépendance ses collaborateurs.


Tout comme l’arrivée à la télévision du jeune homme en 1974 a coïncidé avec un besoin de renouvellement, son départ est motivé par l’usure. Bernard Violet, une fois encore, assène des vérités qui dérangent : Patrick Le Lay et Etienne Mougeotte ne sont plus là pour le défendre. Leurs successeurs ont une autre vision du développement de la chaîne. TF1 fait partie d’un groupe industriel, ses dirigeants se foutent de l’information, mais ils doivent réagir face au dévissage de l’audience. TF1 doit rester une machine à cash. Même à Canal +, on songe depuis un moment à remplacer la marionnette de PPD.

Partir, c’est mourir un peu :


Branle-bas de combat, jeudi en fin d’après-midi, à TF1. À la conférence de rédaction, Patrick Poivre d’Arvor a annoncé son intention d’officialiser son départ sans plus attendre. Le présentateur a voulu prendre de vitesse la direction de la chaîne qui n’a toujours pas confirmé officiellement la nouvelle. Un signe qu’il est entré en conflit ouvert avec sa direction. Il semble aujourd’hui improbable que Patrick Poivre d’Arvor accepte les contre-propositions formulées par le directeur général de la chaîne.


Sa direction souligne qu’un autre poste lui a été proposé : s’agissant de Patrick Poivre d’Arvor, la direction générale de la chaîne lui a proposé le poste de directeur délégué de l’Information, avec la responsabilité de l’ensemble des magazines de l’information, de l’organisation de toutes les opérations spéciales, du pilotage de la réforme des éditions des journaux du groupe TF1 (TF1 et LCI). Il lui a été aussi proposé de conserver en parallèle ses émissions Vol de nuit (TF1) et Place aux livres (LCI). TF1 attend de connaître la décision formelle de Patrick Poivre d’Arvor, explique le communiqué de la chaîne.


Patrick Poivre d’Arvor ne l’entend pas de cette oreille. La brutalité de cette décision est d’autant moins compréhensible que je pense avoir accompli ma tâche, durant plus de 20 ans, avec dignité, professionnalisme et une efficacité qui a permis à TF1 de devancer tous les soirs, sans exception, une concurrence talentueuse, fait-il savoir très vite. S’estimant lésé par une décision attendue depuis plusieurs mois, il bat le rappel de ses amis et parvient à faire circuler une pétition qui recueille 200 signatures. À TF1, certains journalistes commencent à trouver que le détrôné commence à en faire beaucoup : Poivre va foutre le feu à la maison en réglant ses comptes perso. Du coup, la Société des journalistes, tout juste ressuscitée, a convoqué une Assemblée générale.


Les magazines profitent de l’événement pour composer une couverture à sensation, tandis que le petit monde éditorial trouve un peu de grain à moudre au moment où des enjeux bien plus graves se font et se défont ailleurs… Incapable de jeter l’éponge, le vieux soldat de l’information, à 60 ans révolus, envoie une lettre de démission pour mettre la direction dans l’embarras pour assurer l’intérim, tout en jouant les bons princes vis-à-vis de ses supérieurs hiérarchiques et les vierges effarouchées vis-à-vis du public. L’imposture, en France, a toujours de beaux jours devant elle.

 

 


Au pied du mur, a-t-il vu plus que la mélasse ?
La vie est un problème et se joue à l’envers
Mais pas ailleurs non plus dans cet autre univers
— Tant la télé n’est pas la vie où l’on s’enlace…


Pour faire un coup, il doit tirer sur la culasse,
Il lance un jour la bombe et c’est un fait-divers
C’est laid, pour qui porta rosette à son revers
Et toujours saur s’il a vécu dans un palace !


Demain, il fera jour et nous serons tous nus
Comme au premier d’entre eux bientôt circonvenus,
Et nous n’aurons pour nous nourrir que du sel gemme.


Les gens n’auront pu voir qu’ils sont toujours cocus
Trop tard, hélas pour mettre en marche un stratagème,
Les cris du cirque ont bien tous dit mort aux vaincus !