LE POLAR CORSE explose !

LE POLAR CORSE explose !

Il y a quelques années je ne savais même pas que le polar corse existait, et je crois d’ailleurs qu’il n’existait pas ! Au point qu’un éditeur corse, improvisé autant qu’audacieux, Méditorial, voulant donner au genre quelque couleur méditerranéenne, avait dû se contenter - mais ce n’est pas la moindre des choses - de lancer plutôt le polar marseillais, en étant le premier à publier avec mérite les manuscrits improbables des auteurs de la nouvelle vague, j’ai nommé Thomazeau et Carrese ; avaient suivi les éditions Jigal avec Del Pappas et enfin Gallimard avec Izzo, dont le succès éclipsa le rôle précurseur de Courbou, déjà auteure des Chapacans dans la Série Noire… Il était naturel que le polar insulaire voit le jour dans la foulée, et nul ne peut plus ignorer que nos amis Corses prennent leur envol : de plus en plus d’auteurs, d’éditeurs et de titres… et pour répondre à mes questions, Jean-Paul Ceccaldi !

Le polar corse, c’est tout de même un phénomène récent, non ?
Ce n’est guère moins récent que Thomazeau et Carrese puisque l’éditeur corse qui les a publiés, à peine lancé a effectivement édité aussi des auteurs Corses. Malheureusement Méditorial a rapidement arrêté... Mais en 2004 le polar a redémarré en Corse avec Jean-Pierre Orsi grâce au Journal de la Corse, également éditeur. A la même époque, les éditions Albiana ont créé une collection spécifique, Néra. Depuis lors de nouveaux auteurs sont apparus et d’autres se sont mis au polar. Mais il faut savoir que, de façon plus générale, le roman a eu du mal à trouver des auteurs de terroir car la Corse a une tradition orale qui les portait davantage vers d’autres genres comme la poésie ou le théâtre. Il y a maintenant un réel engouement pour le polar.


Vous êtes avant tout une bonne bande de potes, on dirait ?

La Corse n’est pas l’île austère. Il suffit d’aller voir le film « Sempré vivu » de Robin Rénucci pour comprendre que l’humour fait partie de notre culture. Alors, entre nous, on aime se rencontrer et faire la fête. Nous nous sommes réunis à Coti-Chiavari en mars 2007 pour constituer Corsicapolar. Nous étions une dizaine et aujourd’hui nous sommes près de la cinquantaine en comptant les auteurs amis de la Corse. Nous ne ratons pas l’occasion de nous rencontrer et les occasions se multiplient en Corse où les auteurs et les éditeurs sont de vrais militants culturels qui veulent « effacer la mer qui nous sépare et nous engloutit », pour citer Jean-Toussaint Desanti , philosophe d’origine corse décédé en 2004.

La Corse, terre de fantasmes maquisards et de bombinettes, se prête particulièrement au genre…, et vous ne vous gênez pas, les uns comme les autres, pour être parfois très critiques envers votre île : même pas peur ?

Les thèmes, imaginaires ou réels…, qui inspirent les auteurs corses ? On peut en dresser un inventaire en vrac et non exhaustif : la politique, les autonomistes, les barbouzes, les révoltes, la musique et les chants, l’écologie, la désertification, la pauvreté, le chômage, le huis clos, les mythes, les légendes, le banditisme… On peut citer aussi les particularismes : l’omerta, l’honneur, le clanisme, la cursita, ce mal du pays qui rend l’exil douloureux. En Corse, le tragique côtoie l’humour... Il y a aussi la volonté d’être Corse : un corps, plutôt qu’un corpus à ressasser, et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent d’une terre mystifiée — et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies. Peur ? Un Corse n’a jamais peur. C’est bien connu.

Cette littérature spécifique s’exporte-t-elle facilement sur le continent ?

Elle s’exporterait mieux si les Editeurs avaient recours aux distributeurs mais ce n’est pas le cas. Alors, des auteurs se bougent comme Jean-Pierre Orsi dont j’essaie de suivre l’exemple.

En tout cas ça bouge beaucoup : il y a même un Salon du polar corse, dont ce sera cette année la deuxième édition !
Cette année, la deuxième édition aura lieu du 4 au 6 juillet toujours à Ajaccio. Le départ des invités se fera de Marseille sur un bateau de la SNCM qui est notre partenaire. Des dédicaces seront organisées à bord. A Ajaccio, toujours sur la magnifique place Foch et à l’ombre des palmiers, ce sera trois jours de fête. Il y aura pas mal d’animations, dont une courte réadaptation en plus petit comité de la pièce « Mon vier ! Madame Olivier ! » dont la première aura lieu à Septèmes le 23 mai prochain. Ce sont trois polardeux et comédiens de la troupe des Tchapacans qui joueront : Michel Jacquet, André de Rocca... et un zouave avec un chien célèbre. Mais si nous accueillerons bien sûr des Marseillais, il y aura aussi des auteurs d’autres régions et des Italiens.

Pour les gens que ça intéresse, tu tiens un blog consacré au polar corse :
Depuis juin 2006, je tiens un blog « Corse noire ». Mes articles sont repris sur le site collectif Corsicapolar. J’ai ouvert un journal « Isula nera » chez Cozop. Ils sont faciles à trouver sur Google et Yahoo. Nous parlons du polar bien sûr, du polar corse mais pas que du polar corse et d’ailleurs pas que du polar.

Parle nous un peu de ton premier roman…

Mon premier polar « Tamo ! Samo ! » est plutôt un thriller avec un personnage surnommé le Flicorse en un seul mot. Etre flic est plus qu’une profession, cela devient une identité. Mais ce n’est pas la seule identité que l’on porte. On porte aussi son identité d’origine et celle que l’on se construit. Dans ce roman, je me suis servi de l’enquête judiciaire comme moteur de l’intrigue. Et puis, c’est sa corsité et sa connaissance de la mythologie corse qui va servir au Flicorse dans la traque d’un tueur en série qui trucide les clients d’un café philosophique. On me demande souvent ce que signifie le titre. Traduit du serbo-croate, ça signifie « Au delà ! Seulement ! » mais en Corse il n’y a pas de traduction. C’est une imprécation mystérieuse liée à une légende corse. Je n’en dirai pas plus. Dans le prochain , je fais sortir le Flicorse de la légalité et du confort administratif pour une enquête officieuse qui doit établir l’innocence d’un homme que tout accuse d’un meurtre. Une enquête judiciaire est un peu une tragédie grecque avec son fatum. Dans le mot « fatum » il y a aussi le mot grec « L’até ». Les deux mots « fatalité » et « erreur » concernent l’enquête judiciaire. Le coupable en est le héros tragique. Lorsqu’il a commis son acte, il va laisser derrière lui des traces et des indices qui vont sceller son destin. L’erreur est humaine : le coupable et l’enquêteur, peuvent en commettre. Toutefois, un innocent peut aussi laisser des indices et des traces derrière lui sans pour autant être coupable. C’est l’objet de mon prochain roman qui est en cours d’édition.

T’es un ancien flic, tu n’en fais pas mystère… C’est un plus ?

Je ne sais pas si c’est un plus mais, à travers le polar, on dispose d’une liberté totale d’écriture et c’est une offre que l’on ne peut refuser après avoir vécu dans des carcans administratifs et juridiques. Ceci dit, mon métier de flic m’a aidé à écrire mes premiers polars. C’est un plus pour moi mais pas par rapport aux autres. Si l’on prétend littérariser la réalité policière, il faut, à mon sens, l’intégrer dans une fiction qui est ce qu’il y a de littéraire dans le roman au sens premier du terme. Il ne s’agit donc pas d’écrire un ouvrage technique ou documentaire. Même si, par formation, on est poussé à coller à la réalité en respectant par exemple des règles de procédure, il ne s’agit pas de relater simplement des faits comme dans un rapport de police. Des auteurs non policiers écrivent d’excellents polars comme mon ami Jean-Pierre Orsi.

Il y a un recueil assez particulier, qui va sortir bientôt, dont Orsi et toi êtes à l’initiative, je crois ?

Fabrice Albertini, responsable d’une association corse en faveur des handicapés ( Handi 20) a contacté Corsicapolar pour éditer un recueil de nouvelles noires. Corsicapolar a fait le relai avec les auteurs et l’ouvrage est terminé. Il comprend 30 nouvelles inédites écrites par 26 auteurs corses et amis de la Corse. Nous avons baptisé l’operata « Noirs de Corse » et l’ouvrage porte le titre « Piccule fictions ». Une souscription a été lancée à 10 euros pour un ouvrage qui devrait sortir à plus de 15 euros pour 330 pages. Tous les renseignements sont en ligne sur Corsicapolar.

Pour finir, si t’étais le Bon Dieu : tu ferais quoi pour la Corse ?

J’ai un peu de mal à me mettre à la place du Bon Dieu avec qui j’ai quelques désaccords. Mais, puisque nous sommes dans la science-fiction, je me prête au jeu mais il y a tant à faire... Je la protégerai d’abord d’un éventuel tsunami en plantant des palétuviers pour créer une mangrove. Ensuite, je ferai en sorte que tous les Corses qui veulent vivre en Corse en aient la possibilité. Et je ferai que l’île reste une terre d’accueil. Amen !

Interview publiée avec l’aimable partenariat du journal Marseille La Cité