Paroles clandestines

Paroles clandestines

Avec le petit dernier de sa collection Paroles, les éditions Libertaires nous livrent un curieux livre co-signé par Roland Cros et un mystérieux Harpocrate.

Il y a plusieurs manières d’entrer dans cet ouvrage. La curiosité nous commande d’abord de tourner les soixante-huit pages pour laisser l’œil se régaler avec des illustrations très dynamiques. Sur des fonds bleus, roses ou verts tirant presque sur le fluo, s’entrecroisent des mots, des signes, des dessins gravés.

Dans un second temps, on découvre des petites légendes sous les gravures. Les cryptogrammes prennent sens. Un glossaire nous aide à décoder, à décrypter l’hindi, le persan, le maya, le baybayin (Philippines), l’abolan (Mélanésie), le wenduk (langue inuit nouée sur une corde), le russe, le surinaprati (Sri Lanka), les glyphes paulistes (tags de Sao Paulo), le mopi tonga (Congo-Tanzanie), l’anglais... et même le français. Des mots, des formules deviennent lisibles : Servitude volontaire (en hindi), Ni dieu ni maître (en persan), Secret (en maya, en russe, en baybayin, en tsalgi, en coréen), Le mensonge est une autre vérité (en mopi tonga), Liberté (en japonais)...

Enfin, on se lance dans la lecture des aphorismes et des pensées d’Harpocrate. Sachons pour commencer que, dans la mythologie, Harpocrate était le dieu du silence. C’est pourquoi il est représenté avec un doigt sur la bouche. Sa statue gardait l’entrée des temples grecs et romains pour rappeler que les dieux doivent être honorés dans le silence et le mystère. Une chouette, symbole de la nuit, était parfois placée à ses pieds. On retrouvait la tête d’Harpocrate sur des cachets afin de préserver les secrets des courriers.

L’Harpocrate des Paroles clandestines nous propose une exploration politique et esthétique du secret, une réflexion sur les codes cachés, sur la circulation et le contrôle des savoirs. Quelques extraits piochés en vrac :

« Rien n’est plus pathétique que de les entendre vanter la pratique démocratique de la communication dans un jargon déchiffrable par les seuls membres de la secte. Ils parlent de communication ouverte, mais comment en parlent-ils ? Ils parlent du destinataire universel, mais pour qui parlent-ils ? Ils parlent d’éthique de la discussion, mais pourquoi en parlent-ils ? »

« La censure n’est presque plus nécessaire parce qu’elle est parfaitement intériorisée par ceux-là même qui ne font presque autre chose que de la dénoncer. »

« Si tu n’as plus rien à cacher, c’est vraiment que tu n’es plus rien. »

« Feins de te livrer, feins de te trahir, feins de te confier, non pas – seulement – pour amener les autres à se livrer, à se confier et à se trahir (ce qui est toujours utile, parfois intéressant, rarement drôle), mais pour détourner leur attention de ce qu’il t’importe vraiment de taire. »

« Nous voyageons incognito masqués de nos seuls visages, nos papiers sont en règle, mais qui sait de quoi nous sommes capables ? »

Quelques mots pour conclure sur Roland Cros. Né en 1958 dans le sud de la France, il a été photographe. Roland a suivi Bérurier Noir pendant quelques années et a co-signé un livre sur le groupe, Ta rage n’est pas perdue, avec Virginie Despentes. Il a aussi été documentariste avant de s’intéresser à la gravure sur lino et sur bois. Cros, en occitan, veut dire creux. Ça tombe donc pile poil pour quelqu’un qui creuse pour s’exprimer aussi bien dans le fond que dans la forme.

Harpocrate et Roland Cros, Paroles clandestines*, éditions Libertaires. 13€.

Plus d’infos sur le site des éditions Libertaires

*À ne pas confondre avec le livre de Virginie Lydie, Paroles clandestines - Les Étrangers en situation irrégulière en France, sorti aux éditions Syros en mars 2008.