Les Enseignants du Service public n’ont pas trouvé de Pavé sous la Plage

Les Enseignants du Service public n'ont pas trouvé de Pavé sous la Plage

De jolies processions se sont déroulées dans de nombreuses villes de France pour protester contre les suppressions de postes dans l’Enseignement et la fonction publique. Xavier Darcos a mégotté sur les effectifs de ses troupes et Nicolas Sarkozy en a tout de suite remis une couche afin de reproduire la splendide opération de remise en selle du général de Gaulle après les évènements de Mai ’68. Pour une fois, la police a déploré peu d’incidents, à Lille ou à Grenoble par exemple… Comment les forces de l’ordre ont-elles réussi à éviter les débordements après 40 ans de violence ? Pierre-Antoine Balland nous répond en expert et en praticien. Il a participé à plusieurs manifestations pendant qu’il faisait des études d’Histoire. Son sujet de prédilection est la période qui s’étend du XVIIIème siècle à l’Empire, il peint des figurines de soldats pour le plaisir. Les uniformes et l’art de la guerre le passionnent, pour la beauté du style autant qu’à cause de leur utilité. C’est la raison pour laquelle il est également fasciné par Byzance, où la stratégie fut poussée à son plus haut niveau. Ainsi l’Empire romain d’Orient avait-il jeté les fondations de la doctrine en matière de renseignement et des forces spéciales.

Le MAGue : Lorsque vous voyez les batailles qui présentent tout l’agrément des manifestations de rue, constatez-vous une évolution dans l’équipement des forces antagonistes depuis les temps antiques ?

Pierre-Antoine Balland : Je lis souvent que la façon dont les CRS se déploient est similaire aux manœuvres des légions romaines, et ce n’est pas faux ! Le revers de la tactique en formation compacte est que l’unité, en s’approchant de l’adversaire, fait une très belle cible. Les forces de l’ordre reçoivent beaucoup de projectiles, des pavés, des boulons, et il est plus facile de toucher quelqu’un dans le tas dans ces conditions. Les CRS ont eu à déplorer beaucoup de blessés en mai ’68 ! Aussi, l’évolution de leur équipement a d’abord eu pour objectif de mieux les protéger. De ce point de vue, il était très léger en 1968 : la tête couverte du casque Adrian de 1915, selon sa dernière variante — le modèle 1935 — est à l’épreuve des balles, mais il n’est pas adapté aux chocs produits par les jets de pavés ou de grilles d’arbre, qui ont fait des dégâts sur ce type de casque. Celui qu’ils ont actuellement en dotation est en kevlar, il dérive de celui de l’armée, mais il protège aussi les yeux et le visage avec sa visière. Le bouclier qu’ils possédaient en 1968 est un modèle rond qui ne couvre pas grand-chose, ils ont adopté ensuite un modèle en amande comparable à celui que portaient les chevaliers au XIème siècle… Leur bouclier est à présent de forme rectangulaire et ressemble à celui du légionnaire romain.

Le MAGue : De le même temps, quels sont les progrès enregistrés dans la tactique d’assaut ?

Pierre-Antoine Balland : Aujourd’hui, les forces de l’ordre évoluent en binôme, elles sont beaucoup plus mobiles… Auparavant, il s’agissait de faire barrage au cortège, il fallait lui interdire d’accéder à tel ou tel endroit. Avec le temps et la multiplication des échauffourées, l’objectif a consisté à arrêter le plus possible de manifestants. Elles ont eu affaire aux autonomes et lors des protestations contre la loi Savary en 1983, il y a eu des provocations du côté du Quai d’Orsay et c’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai ramassé un coup de matraque devant le trottoir des invalides. Le but est donc d’empêcher les manifestants de passer, puis de les disperser. Les forces de l’ordre lancent des grenades avant de charger. Ça les défoule bien dans la mesure où ils ont été copieusement insultés, arrosés de projectiles divers. L’innovation de l’époque était l’implication de pelotons à moto de voltigeurs… Leur rôle est certes de tabasser le plus possible afin d’accélérer la dispersion. Ce n’est pas une idée idiote et malgré cela les autorités ont du la reprendre. Michel Polac a fait scandale dans sa célèbre émission Droit de Réponse en affirmant qu’il ne fallait pas faire tout un plat pour quelques étudiants qui ont un peu de sang sur le nez… Les pelotons de voltigeurs ont été dissous suite au décès de Malik Oussekine trois ans plus tard : il y avait eu mort d’homme ! Cela n’a pas empêché la casse et les provocations, lors des manifestations contre le Smic Jeune d’Édouard Balladur par exemple : il y a eu de belles échauffourées du côté de Denfer-Rochereau et vers la Santé. C’est à cette occasion que j’ai remarqué sur certains CRS des protections pour les tibias comme en ont les joueurs de football américain, et qui leur confèrent un style à la Robocop. Ils se protègent de plus en plus !

Le MAGue : Y a-t-il des ressemblances et quelles sont les différences avec la guerre, la vraie ?

Pierre-Antoine Balland : Il y a effectivement beaucoup de points communs entre une manifestation et une bataille rangée. Premier point, les deux groupes font barrage à l’autre, mais dès que ça dégénère, l’affrontement se résume à des assauts individuels ; les manifestants sont en général très mobiles et agissent le plus souvent à titre individuel. Ensuite, dès que le groupe de manifestants apparaît trop important, les forces de l’ordre utilisent des grenades offensives, qui ont un gros effet de souffle et dispersent les gens en les envoyant sur les fesses… Leur rayon d’action est moins important que celui des grenades défensives, mais il est très concentré autour du point d’impact. Les grenades lacrymogènes, elles, ne pètent pas, tout comme les obus qui envoyaient les gaz dans la tranchée ennemie pendant la Grande Guerre. La grenade s’ouvre en tombant et libère une ampoule de verre qui se brise en laissant échapper son gaz. Enfin, il n’est pas rare de voir les CRS avancer en ordre serré en tapant avec leur matraque sur le bouclier. Les légionnaires le faisaient également avec leur glaive pour impressionner l’ennemi. Ils pensaient affronter des barbares, et supposaient qu’un groupe compact progressant bruyamment devait flanquer une bonne trouille en face, il ne restait plus qu’à disperser ceux qui n’avaient pas fui. CRS et manifestants se tabassent alors copieusement, ils se défoulent… Le reste du temps, les forces de l’ordre restent immobiles ou dans leurs véhicules. Ce n’est pas très intéressant de ne rien faire !

Le MAGue : Les forces de police sont au travail alors que les manifestants ont très envie d’en découdre, c’est bien cela ?

Pierre-Antoine Balland : Bien entendu, matraquer défoule bien et offre un dérivatif à un travail peu gratifiant. Les forces de l’ordre reçoivent probablement des techniques spécifiques pour renforcer leur cohésion, car le problème du maintien de l’ordre est la motivation du personnel. Les pouvoirs publics ont créé les CRS en 1947, lors des grandes grèves dans le nord de la France. Il y avait alors un gros différent politique entre les communistes et le gouvernement Ramadier. Ils sont fonctionnaires de police, et ils se distinguent en cela des gardes mobiles ou de la troupe. L’armée n’est pas forcément la force la plus sûre, elle peut sympathiser avec les manifestants dans le sens où pendant très longtemps, l’infanterie se composait du contingent, qui vit souvent les problèmes du camp d’en face, où ils retrouvent en général leurs proches et leurs amis. Des fraternisations se sont produites en 1831, lors de la révolte des Canuts à Lyon, et la Garde nationale s’est rangée aux côtés des insurgés. En mai 1968, de Gaulle a demandé au général Massu s’il pourrait compter sur l’armée, mais la réponse fut négative. La gendarmerie, elle, part en charge beaucoup moins rapidement, elle est plus disciplinée, plus rigoureuse, mais ils portent des coups de mousqueton. Un coup de crosse est bien plus douloureux qu’un coup de matraque ! La gendarmerie est généralement très sûre, elle ne compte que des engagés. Ceci dit, c’est moins certain depuis que Nicolas Sarkozy est passé par le ministère de l’Intérieur où il a aiguisé les antagonismes avec la police. Dans la gendarmerie, on compte la Départementale, dont les hommes portent des galons blancs, c’est pourquoi on l’appelle aussi la Blanche… La gendarmerie mobile porte des galons jaunes, et la Garde républicaine des galons rouges, qui est la couleur de l’élite depuis l’époque des Grenadiers de la Garde.

Le MAGue : Quels sont les moyens mis en œuvre pour faire face aux forces de l’ordre ?

Pierre-Antoine Balland : S’il y a des débordements à l’intérieur d’une manifestation, les CRS sont censés ne pas intervenir. Tout est bien encadré par la police et le service d’ordre des manifestants. Je sais pas grand-chose à ce sujet. Dans les manifestations étudiantes, il venait souvent de la CGT, qui est considéré comme le service d’ordre le plus efficace et le plus discipliné. Il serait même un peu soupçonneux, comme j’en ai pu faire l’expérience. Il surveille bien l’intérieur du cortège et fait en sorte que la manifestation demeure sous son contrôle. Les vitrines cassées et les voitures incendiées n’ont jamais bonne presse… Leurs membres ne se distinguent pas des autres manifestants, à part le port d’un brassard et ils s’équipent souvent d’un casque de moto, c’est pratique et discret, mais ce n’est pas une bonne idée. Le casque a tendance à s’ouvrir en deux après un bon coup de matraque. Ils mettent aussi des foulards sur la figure, et en cela le service d’ordre ne se distingue pas des casseurs ou des autonomes. J’ai vu quelquefois des porteurs de boucliers faits de couvercles de poubelle, mais ce n’est plus possible avec les conteneurs modernes. Le gros problème du maintien de l’ordre en 1968 est que les gauchistes avaient tous les projectiles sous les pieds. Ils ont lancé les pavés des rues et descellé les grilles d’arbre. Les autorités ont donc revêtu progressivement les voies de macadam, ce qui fut l’un des aspects méconnus de la politique pompidolienne pour l’automobile. En 1983, il y avait un chantier aux Invalides, avec des parpaings et des ferrailles à béton que les manifestants ont offert en cadeau aux CRS. Ce fut une belle bêtise de la part de la préfecture ne n’avoir pas prévu cela.

Le MAGue : Quelles seront d’après vous, les améliorations futures en matière de maintien de l’ordre ?

Pierre-Antoine Balland : Pour ce que j’ai pu en constater, il est de plus en plus efficace avec le temps. Force doit rester à la loi et l’appareil répressif de l’État doit être le plus efficace possible. Le moins de blessés du côté de la police et pas de bavure à la télévision sont les 2 mamelles du maintien de l’ordre. Le but est d’éviter que les choses dégénèrent. Ils ont beaucoup appris du métro Charonne, où il y a eu carence dans le commandement : une unité est partie hors de son contrôle. Les transmissions sont bien meilleures, et je ne vois pas de raison que les CRS n’aient pas déjà d’oreillette… Les radios ne sont pas discrètes. L’équipement ne va pas cesser d’évoluer, c’est une constante du maintien de l’ordre et de la stratégie militaire. Plus la menace évolue et plus la protection évolue. On a constaté pendant les dernières émeutes en banlieue des tirs d’armes à feu, mais les forces de l’ordre, avec le casque en kevlar, sont déjà protégées contre les balles et les plombs à distance. En ce qui concerne les manifestants, ils prennent ce qu’ils ont sous la main parce que ce qu’on apporte exprès n’est pas franchement discret. On peut juste emporter des boulons et une fronde dans les poches.

 

 


Ont-ils la rage au cœur comme en mai soixante-huit ?
Le problème est tout autre et ils n’ont plus trop l’âge,
Mais de leur jeunesse ivre ils nous font l’étalage
Dans les journaux en ligne et ce n’est pas fortuit…


Leur plan est autre et ne va pas tomber tout cuit :
Pour prendre à bras-le-corps un vilain nivelage,
Ils vont prendre un retour de bâton qui soulage !
C’est juste un dernier coup et il n’est pas gratuit.


Pour rassembler son camp l’occasion est trop belle
De mettre en plus le droit de grève à la poubelle,
Comme il n’a plus la main ils n’auront rien, tintin !


Un culte idiot brandi lui offre un beau couplage
Pour restaurer trop tard l’ordre au quartier latin,
Les gens n’ont plus chanté sous les pavés, la plage !