À quelques pas de l’usine...

À quelques pas de l'usine...

Jean-Pierre Levaray, l’auteur de Putain d’usine, sort un nouveau livre. « A quelques pas de l’usine » est un recueil de dix-huit nouvelles. On y découvre une humanité décalée qui cohabite avec un site AZF. Des histoires vraies.

Après avoir abordé le quotidien des ouvriers d’une usine chimique de la région rouennaise dans Putain d’usine (livre décliné en documentaire et en bande dessinée ou dans sa pièce Des nuits en bleus, après nous avoir présenté son père dans un livre touchant, Du Parti des myosotis, Jean-Pierre Levaray nous parle à présent d’une poignée de gens ordinaires qui vivent autour de l’entreprise où il pointe depuis trente-cinq ans.

A quelques pas de l’usine Grande Paroisse, juste à la lisière des grillages qui ceinturent l’entreprise, il y a le Vieux-Bourg. Il n’était pas question de périmètres Seveso en ces temps-là. Après guerre, la municipalité a laissé tomber ce quartier un peu délabré pour construire une ville nouvelle plus loin, sur les hauteurs. Confort moderne oblige. Place aux immeubles neufs, du moins pour ceux qui avaient les moyens de quitter les vieilles maisons en briques pour payer le loyer des appartements dernier cri.

Comme pour tourner la page et bien montrer le chemin parcouru, ce qui était un quartier comme les autres fut alors appelé le « Vieux-Bourg ». C’est là qu’habitent toujours des personnes âgées, des chômeurs, des Rmistes, des travailleurs d’origine étrangère. Quelques commerces ont survécu. Des bars-hôtels-pensions-meublés. Un restaurant. Le tout baignant dans une pollution étouffante.

Noir c’est noir. Les personnages de Jean-Pierre Levaray ne pètent pas la santé. La vieillesse, l’alcool, le cancer, les histoires glauques et la folie grignotent le Vieux-Bourg. Le premier portrait dépeint un vieux qui récupère de la ferraille dans un Caddie pour gagner quelques euros. Le pauvre homme fait partie de ces fantômes que l’on croise sans les voir. Jusqu’au jour où… On rencontre plus loin un militant CGT, bouliste virtuose, qui trépassa après son dernier tournoi de pétanque. Trop de tabac, de pastis, sans parler des vapeurs acides et des poussières irritantes. Le Vieux-Bourg a aussi son artiste, André. Un bar propose une exposition permanente de ses œuvres. Paysages rageurs et nus débridés à faire pâlir Gustave Courbet s’offrent à tous les regards.

Et puis, il y a la brochette des déracinés. Le berger portugais qui termina ses jours à l’hôpital psychiatrique. Le Cesare qui reçoit la police avec un fusil de chasse avant de construire une réplique de la grotte de Lourdes dans son jardin. Le Driss qui grille ses économies dans un projet de bananeraie. Le couple cauchois qui laisse une ferme à Bréteville-en-Caux pour venir perdre la raison « à la ville ». Il y a encore Abdelkrim, ancien instituteur algérien devenu ouvrier maçon pour fuir les balles du GIA.

A quelques pas de l’usine, nous sommes loin du parcours sans faute, de l’ascension sociale rêvée. Pas d’happy end à l’horizon, même accidentelle. Les gens modestes jouent au Loto sans jamais gagner. Une vie merdique de A à Z avec des gosses pas faciles à élever, des fins de mois difficiles, des ruptures, des pétages de plomb. « Nobody’s born to lose… » chante Little Bob. Et pourtant…

Les habitants du Vieux-Bourg passent sur terre sans se faire remarquer. Ils sont vite oubliés quand ils disparaissent. Les deux ou trois mots que Jean-Pierre Levaray a pu dire d’eux les raccrochent in extremis à la communauté des vivants.

Jean-Pierre Levaray, A quelques pas de l’usine, éditions Chant d’orties, 123 pages. 11€.

Les éditions Chant d’orties adhèrent au Club du livre libertaire.

Jean-Pierre Levaray sera sur le stand des éditions Chant d’orties au salon du libre libertaire de Paris qui est proposé par Radio Libertaire et la librairie Publico le samedi 31 mai (de 10h à 20h) et le dimanche 1er juin (de 10h à 16h) à l’Espace d’animations des Blancs Manteaux (48, rue Vieille-du-Temple 75004 Paris). Métro lignes 1 ou 11, station Hôtel de Ville.