Alija Izetbegovic, mort d’un honnête homme ...

Alija Izetbegovic, mort d'un honnête homme ...

Je ne pouvais pas ne pas y aller. Je n’aime pas les clins d’œil du Destin. Moi à Beyrouth en train de suer pour la bonne cause et l’entente entre les Hommes alors que mon ami Alija était déjà froid dans sa dernière demeure en sapin. Alors j’ai changé d’avis. Exit le billet de retour Beyrouth/Roissy, un détour par Sarajevo s’imposait. S’impose.

Ici il n’est plus question de joie ni de communion sportive. Le marathon de Beyrouth est encore dans mes yeux, dans mes jambes, et c’est en boitant que j’ai fendu les foule de ces milliers de Musulmans bosniaques qui s’étaient réunis ce mercredi 22 octobre 2003 sous la pluie grise et froide de Sarajevo. Ils voulaient tous être présents, participer aux obsèques de leur président, de leur chef, de leur mentor : Alija Izetbegovic était leur père à tous, LE "père de l’indépendance" de la Bosnie.
Dans le petit matin, tremblotant de fatigue et d’émotion, je suis descendu d’une limousine noire qui m’a conduit à travers le centre-ville où la circulation a été interdite, sous le regard perdu du portier qui n’arrivait pas à s’empêcher de pleurer, j’ai marché bien droit vers l’escalier. Un officiel dont je n’ai pas entendu le nom est venu me saluer, il m’accompagna à la dépouille d’Alija Izetbegovic, enveloppée dans le drapeau bosniaque, déposée sur un lit de fleurs dans le hall de la présidence. Je vis des ombres s’attarder pour prier auprès de la dépouille mais je n’entendais plus rien. J’étais partis près de quinze ans en arrière et mes oreilles bourdonnaient du son ineffaçable du canon serbe qui martela les artères de Sarajevo pendant des jours et des nuits, des nuits et des jours. J’étais de nouveau dans les caves de l’Hollidy Inn, sous les tapis de bombes, dans les travées avec les résistants, dans la boue et l’horreur, dans l’abject infernal.

Sortant sur le perron, toujours les yeux dans le vide, les larmes amères et insipides qui me brouillaient la vue, je butais sur un jeune homme, un étudiant du nord qui était venu en train avec des amis saluer une dernière fois le père de la nation. Des Musulmans qui vivent en Croatie et en Slovénie voisines ont aussi fait le déplacement. Je me suis mêlé à eux, ne voulant à aucun prix me retrouver piégé dans la délégation française … Bernard-Henri Lévy passa au loin, loin …

Etrangement, j’appris que la Bosnie n’avait pas décrété de deuil national, en raison de divergences au sein de la présidence tripartite (musulman, croate et serbe). Nous voilà donc une nouvelle fois happée par la politique et la bêtise des hommes qui ne veulent pas s’écouter et encore moins s’entendre. Revoilà les divisions ethniques qui resurgissent huit ans après la fin de la guerre (1992-1995).
Mais la Fédération croato-musulmane, qui forme avec la Republika Srpska (entité serbe) la Bosnie d’après-guerre, a proclamé une journée de deuil. Allez comprendre quelque chose. Je me dis qu’eux-mêmes n’y comprennent plus rien. C’est un peu le même schéma qu’en Palestine ou au Liban : les hommes vivent ensemble pendant mille ans puis un beau jour on leur dit que non, ce n’est plus possible parce que l’Autre est un salaud, un monstre, un ennemi, que sais-je … et la barbarie fait son apparition.

Que n’avons-nous pas compris, au sortir de la guerre du Liban, la leçon d’humanité que nous avions sous les yeux ? Comment l’Occident a pu laisser la Bosnie mourir sans lever le petit doigt ? … Parce que la Bosnie était peuplée de Musulmans. Parce que personne n’a vu en Alija Izetbegovic le musulman modéré européen, et que cette erreur d’appréciation qui découla sur l’embargo sur les armes eut pour effet de faire venir les moudjahidin et leur corollaire : l’islamisme radical.

Sur le chemin de l’aéroport, je me suis souvenu de son surnom, « Dedo » (grand-père), que lui donnaient ses proches et ses collaborateurs, avec respect et affection. Car Alija Izetbegovic est un symbole, le symbole de la résistance bosniaque (1992 et 1995), face aux forces des ultranationalistes serbes de Slobodan Milosevic, et aux ultranationalistes croates de Franjo Tudjman.
Plus de 250 000 Musulmans bosniaques sont morts avant que nous levions le petit doigt en juillet 1995, après le massacre de Srebrenica où plus de 8 000 civils furent passés par les armes par les forces serbes, abandonnés par un général français de sinistre figure, commandant des Casques Bleus, mais si peu enclin à sauver des vies civiles.

L’avion va décoller dans quelques minutes, l’hôtesse me demande d’éteindre mon PC, je boucle donc, le cœur gros, et vous envoie en direct live ce papier via le WiFi non-officiel installé par les GI’s sur le périmètre de l’aéroport.

PS -
Né en 1925 dans le nord de la Bosnie, Alija Izetbegovic a par deux fois fait de la prison sous le régime titiste. Juste après la Seconde Guerre mondiale, quand les communistes s’installent au pouvoir, le jeune Alija, alors étudiant en droit, est envoyé pour trois ans derrière les barreaux sous l’accusation de « nationalisme musulman ». En 1983, il est à nouveau condamné, cette fois à quatorze ans de prison, pour « propagande islamique ». Il était l’auteur de la Déclaration islamique, dans laquelle il prônait une rénovation avant tout morale et spirituelle de la société musulmane. « Notre but : l’islamisation des Musulmans. Notre devise : croire et se battre », clamait le surtitre.
Ce n’était pas un brûlot, mais cela a nourri chez ses adversaires les accusations de « fondamentalisme ». Remis en liberté en 1988, il fonde deux ans plus tard le SDA (Parti d’action démocratique) nationaliste musulman. Il triomphe lors des premières élections libres en même temps que les partis nationalistes serbes et croates dans leurs communautés respectives. Ils gouvernent ensemble, puis l’alliance se fracture. Musulmans et Croates misent sur l’indépendance. Armés par Belgrade, les Serbes de Bosnie décident de faire sécession.
Icône intacte. Izetbegovic haïssait la guerre et croyait pouvoir l’éviter. Il ne l’avait donc pas préparée. Certains lui en ont fait longtemps le reproche. Chef de guerre malgré lui, il couvrit des exactions commises en représailles par des éléments des forces bosniaques contre des civils serbes ou croates.
L’après-guerre entama sérieusement le prestige de son parti, éclaboussé dans des affaires de corruption. Comme les partis ethniques des Serbes et des Croates, il fut accusé par la communauté internationale de freiner l’application des accords de Dayton, le retour des réfugiés et la réconciliation entre les communautés dans l’interminable après-guerre.

PS -
Né en 1925 dans le nord de la Bosnie, Alija Izetbegovic a par deux fois fait de la prison sous le régime titiste. Juste après la Seconde Guerre mondiale, quand les communistes s’installent au pouvoir, le jeune Alija, alors étudiant en droit, est envoyé pour trois ans derrière les barreaux sous l’accusation de « nationalisme musulman ». En 1983, il est à nouveau condamné, cette fois à quatorze ans de prison, pour « propagande islamique ». Il était l’auteur de la Déclaration islamique, dans laquelle il prônait une rénovation avant tout morale et spirituelle de la société musulmane. « Notre but : l’islamisation des Musulmans. Notre devise : croire et se battre », clamait le surtitre.
Ce n’était pas un brûlot, mais cela a nourri chez ses adversaires les accusations de « fondamentalisme ». Remis en liberté en 1988, il fonde deux ans plus tard le SDA (Parti d’action démocratique) nationaliste musulman. Il triomphe lors des premières élections libres en même temps que les partis nationalistes serbes et croates dans leurs communautés respectives. Ils gouvernent ensemble, puis l’alliance se fracture. Musulmans et Croates misent sur l’indépendance. Armés par Belgrade, les Serbes de Bosnie décident de faire sécession.
Icône intacte. Izetbegovic haïssait la guerre et croyait pouvoir l’éviter. Il ne l’avait donc pas préparée. Certains lui en ont fait longtemps le reproche. Chef de guerre malgré lui, il couvrit des exactions commises en représailles par des éléments des forces bosniaques contre des civils serbes ou croates.
L’après-guerre entama sérieusement le prestige de son parti, éclaboussé dans des affaires de corruption. Comme les partis ethniques des Serbes et des Croates, il fut accusé par la communauté internationale de freiner l’application des accords de Dayton, le retour des réfugiés et la réconciliation entre les communautés dans l’interminable après-guerre.