Rétrospective Camille Claudel

Rétrospective Camille Claudel

Se tient au Musée Rodin, du 15 avril au 20 juillet 2008, une rétrospective exceptionnelle consacrée à l’œuvre de Camille Claudel. Plus de 80 sculptures en marbre, terre cuite, plâtre, onyx et bronze, ainsi qu’une dizaine de gravures et dessin y sont exposés. Et certaines œuvres sont ici montrées pour la première fois.

On raconte que Camille Claudel fut une très belle femme, qui défia sa famille et son époque pour se consacrer avec passion à son métier de sculpteur et s’unir à l’homme dont elle était tombée amoureuse, son maître, Auguste Rodin. On raconte tellement de chose … Sur son travail qui fut donc, logiquement, influencé par l’œuvre de Rodin, mais on oublie de dire que cela ne dura qu’un temps, car l’originalité remarquable de Camille s’imposa rapidement. A tel point que Rodin finit par craindre que son élève ne lui fît ombrage … et il ne l’aida jamais à percer. Pire, il la força à avorter, ce qui participa à son déclin intellectuel. Son humiliation ne fit que renforcer son orgueil : Camille Claudel s’enferma dans son atelier et se consacra pleinement à ses sculptures. Mais à ce petit jeu, elle sombra très vite dans une profonde crise de dépression et entreprit de détruire systématiquement une grande partie des œuvres qu’elle produisait. Jusqu’au jour où, sur les ordres de la famille Claudel, des infirmiers firent irruption dans son atelier pour l’emmener dans un asile. Elle y resta trente ans.

"Le caractère promet d’être la qualité maîtresse de Mlle Camille Claudel. Dans tout ce qu’elle entreprend, elle accentue la force et l’expression."
Léon Gauchez, L’Art, 1886

La représentation du corps, l’expression des visages constituent – dans les années 1890 – l’essentiel du travail de Camille Claudel. Elle donne aussi à cette époque un des plus beaux portraits de Rodin que l’on connaisse, malgré les relations houleuses qui les habitent …
Dans Sakoutala, sa première grande œuvre, elle affronte pleinement la question de la composition. La sculpture, élaborée vers 1886, connaît bien des variations et, selon le matériau utilisé, devient Vertumne et Pomone, en marbre, puis L’Abandon, en bronze.
C’est aussi sa première œuvre conçue à partir d’un sujet littéraire qu’elle a choisi dans le répertoire mythologique de l’Inde. La question de la destinée est d’emblée au cœur de ses préoccupations. Les variations autour du thème et de la composition initiale ne peuvent être regardées simplement comme la marque d’un manque d’imagination ou comme la trace des troubles mentaux qui interrompront, plus tard, son travail …
De l’Inde, on passera ensuite à la province française, de la mystique hindoue à l’émotion chrétienne, de l’amour humain à l’amour divin.

"Ces petites choses nouvelles"

L’expression est empruntée à la lettre écrite en décembre 1893 à Paul Claudel et que l’on peut considérer comme un des rares manifestes artistiques de Camille Claudel. Car, dans ces années-là, la recherche artistique du sculpteur prend une voie nouvelle, différente de celles qu’elles suivait habituellement. Après la période néo-florentine, liée à son apprentissage auprès d’Alfred Boucher et de Paul Dubois, la rencontre avec Rodin l’invite à développer sa puissance créatrice. Les nouveaux sujets, dont elle donne de très rapides représentations graphiques et dont elle envisage la réalisation, s’efforcent de capter et de restituer de brefs moments de la vie, ce que Kierkegaard appelait "les petits riens accidentels, insignifiants" (Journal, 1841) qui donnent néanmoins du sens à la vie, surtout lorsqu’on les charge d’une signification quasi religieuse. Kierkegaard évoquait le joueur d’orgue de Barbarie, croisé au coin d’une rue. Cela devient, chez Camille Claudel, Le Violoneux, Les Bavardes
On sait par Mathias Morhardt la curiosité de l’artiste pour le spectacle de la vie ordinaire. De ces croquis, seules Les Bavardes ont subsisté ; placées nues dans une encoignure sans âge, avec leur visage hors du temps, elles inscrivent le "petit rien" dans une forme d’universalité.

L’actuelle popularité de Camille Claudel excède la place que les historiens lui accordent. Au point que son destin s’est confondu avec celui de toute artiste femme. Quant à la reconnaissance qu’elle reçut à l’aube des années 1880, elle la doit largement au fait d’être la sœur de l’un des plus grands écrivains de langue française de son temps, Paul Claudel (1868-1955). Avant donc d’exister à nouveau comme artiste, Camille Claudel réapparut comme l’héroïne d’une biographie extrêmement romanesque, aux prises avec les personnalités incontestées d’un homme de lettres et d’un géant de la sculpture.
Cependant, une fois balayé ce côté fait divers, Camille Claudel suscita l’intérêt d’une recherche passionnée. Le décès prématuré de Jacques Cassar avait, certes privé l’artiste d’un biographe attentif, mais en 1983, sous la signature d’Anne Rivière, parut la première étude scientifique, avec un essai de répertoire de l’œuvre, L’Interdite.
En 1984, Reine-Marie Paris fit paraître son premier ouvrage consacré à Camille Claudel et, à l’occasion de l’exposition successivement présentée au musée Rodin de Paris et au musée Sainte-Croix de Poitiers, un premier catalogue raisonné fut publié, représentant l’ensemble des informations disponibles à l’époque.

Aujourd’hui Camille Claudel est enfin reconnue comme elle doit l’être, c’est-à-dire comme une artiste unique, à l’initiative d’une œuvre révolutionnaire qui aura su s’extraire de la gangue de son époque et s’affranchir de toute influence. Toujours à contre-courant, mais pour le meilleure, Camille Claudel répond à Rodin qui élabore de plus en plus un art du signe – qui annonce les recherches de Giacometti, de Picasso ou de Matisse dans la sculpture – tandis qu’elle pousse sa recherche davantage du côté de la composition, de la polychromie et d’un artisanat qui la rapproche, à bien des égards, de l’objet d’art.

L’exposition permet de découvrir ou de redécouvrir les œuvres qui ont fait la renommée du sculpteur : La Valse où un couple de danseurs passionnément enlacés semble porté par un tourbillon ; L’Age mûr, œuvre autobiographique symbole de sa rupture avec Rodin ; La Vague ou Les Causeuses, exemples représentatifs de sculptures où Camille Claudel s’affranchit du maître pour réaliser des pièces plus personnelles, fortement influencées par les arts décoratifs et le japonisme.

Ce très bel ouvrage est aussi une somme (une biographie, un catalogue raisonné, une suite d’études, une synthèse de sa correspondance) qui reprend l’ensemble de la vie et de l’œuvre de Camille Claudel et, en l’état, il peut tout à fait être lu et consulté comme bien plus qu’un simple catalogue d’exposition.
Habillement construit et magnifiquement réalisé, il présente textes et photographies dans une harmonie parfaite : tantôt des clichés en noir et blanc d’un rare piqué, gros plans et détails de sculptures se succèdent dans des dégradés de gris qui imposent la splendeur révélée de ces œuvres ; tantôt des vues d’ensemble en couleurs pour mieux figer la perspective et les élans de l’artiste.
L’extraordinaire qualité des photographies permet, notamment pour les petites pièces qui n’excèdent pas quarante centimètres, de s’introduire, par la magie d’un objectif grossissant, dans les recoins des visages, des corps, là où le détail force l’admiration, et où le regard, dans une exposition, ne fait que survoler … A l’exemple de la Femme accroupie, un plâtre patiné de 36 centimètres dont une photo pleine page nous impose l’arrêt prolongé, le temps d’en mirer tous les reflets colorés selon la lumière exposée, toutes les courbures, les plis et autres saillis musculaires qui modèlent ce corps nu de femme … Tout simplement sublime.
Après un premier tiers consacré à l’histoire et l’étude de l’œuvre, le catalogue positionné en deuxième partie est suivi par des textes de Paul Claudel sur sa sœur et des extraits de la correspondance de Camille Claudel, riche et variée.
La subtilité et le talent des concepteurs est à signaler : elle s’affiche jusque dans la qualité du papier, blanc médical et mat pour les deux premières parties, puis sable et parcheminé pour le dernière tiers qui présente des fac-similés de lettres avec leur transcription … il flotte alors une ambiance sépia qui crée une atmosphère plus douce, plus propice à découvrir les petits secrets de l’artiste, en sortant de la gifle que l’on vient de prendre en parcourant le catalogue qui s’achève sur des pièces d’une grande ferveur …
En deux mots : un livre extraordinaire !

PS -
Les photos, ici présentées, sont toutes issues du site de l’association Camille Claudel : elles ne sont là qu’à titre d’information. Elles n’approchent en rien de la qualité des photographies du livre.
On pourra aussi, pour les curieux, se reporter sur la nouvelle édition de la Correspondance de Camille Claudel

Rétrospective Camille Claudel (1864-1943), Collectif sous la direction de D. Viéville, A. Magnien et V. Mattiussi, relié, couverture couleurs, 195 x 270, 335 photographies couleurs, Gallimard, avril 2008, 424 p. – 39,95 €