FRED ROMANO S’ENTRETIENT AVEC LA SINGETTE

FRED ROMANO S'ENTRETIENT AVEC LA SINGETTE

Il y a peu de temps on a eu l’occasion de revoir “La Grande” Fred Romano, dans le film “Les Keufs” de Josiane Balasko, où elle tient le rôle de Lisa.

Lorsqu’on évoque Fred Romano, certains se plaisent à la dépeindre comme une “tox” qui était l’amie de notre regretté Coluche… ce raccourci très réducteur est un peu facile car on oublie de préciser que Fred Romano est aussi une artiste multiface, une femme de cœur et de bon sens, une écrivaine et une journaliste scientifique qui possède des connaissances très élevées dans le domaine de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), plus communément appelée la maladie de la vache folle.

Notre reporter sans frontières Franck dit Bart, qui sévit sous la plume de “La Singette”, est parti à la rencontre de la belle qui vient de se lâcher comme jamais (précise-t-elle).

Voici l’interview d’une femme formidable.

Salut à toi, oh ! Prince des singes, envoyé spécial pour notre Journal Culturel “Le Mague”.

Tu m’as proposé de me ramener les paroles de la belle Fred Romano, glanées au fil de l’entretient que vous avez eu ensemble… alors je t’offre cette page, mais avant de commencer qu’as-tu à dire à Fred Romano en préambule de savon :

L’autre interview, je me suis fait eu par le Ramon Pipin d’Odeurs et ses kilos de cacahuètes, puisque c’était macaque bonobo pour ma pomme. Aujourd’hui avec Fred Romano, ça risque d’être coton mon coco, étant donné que la grande crèche à Formentera aux Baléares !

“La mer ceint l’horizon d’un filet bleu imperturbable qui transforme l’île entière en un navire au cours incertain” (in “Le film pornographique le moins cher du monde”, de Fred Romano, page196)

Bonjour les distances qui déforment la jeunesse et vive ton incessante invitation à voyager.

Tant pis, je m’y risque, car à force de lire les aventures dans tes livres ou sur ton blog, j’apprécie ta révolte et son esprit frondeur toujours en alerte.

La Singette : Tout d’abord, Fred qu’est-ce qui t’a pris de quitter notre beau pays de franchouille bien avant qu’il se gâte les chicots avec le syndrome de Sarko et tous ses dérivés à choix multiples. Est-ce bien raisonnable ?

Fred Romano : Mettons les choses tout de suite au point, mon petit animal. Je ne vis pas dans le zoo où chaque cage est marquée d’un petit drapeau. Moi, citoyenne terrienne, vivre dans jungle planétaire. Résumé géographique de mon existence : a) enfance : née par hasard à Paris, puis île de Bréhat, Saint-Jean de Luz, Iles du levant, Saint-Jean des Cévennes, puis Bruxelles, puis Barcelona. Quand à 10ans je suis rentrée en banlieue parisienne, j’ai dit : “Et pourquoi ce serait mon pays, ça ?”. Plus de mer, ni de chevaux, ni de gitans, ni de matrone surveillant la marmaille, ni même de sucettes Chupa Chups, l’horreur, quoi… Ensuite, je ne me suis pas arrêtée là, avec mon ADN migratoire, tu vois ce que je veux dire, mon petit animal… Caraïbe, Inde, Colombie, Hong Kong. Grèce, Bali, USA, Sikkim, Mexique, Thaïlande, Maroc, Polynésie, etc. Il y a même eu un moment de mon existence où je ne savais plus du tout où j’étais, et même mon corps se refusait à reconnaître l’heure de manger ou de chier… Mais maintenant, depuis 15 ans, je vis en Espagne, et depuis 6 ans sur l’île de Formentera, dans l’archipel des Baléares… Enfin, Sarko, le bobo présidentiel, n’est pas vraiment plus grave que celui qui a recommencé les tests nucléaires dans l’atoll fissuré de Mururoa, que celui qui a détruit les campagnes françaises, responsable indirect de la crise de la vache folle pour cause de l’industrialisation du fermage, je veux dire son prédécesseur, Chirac. Ce que la droite espagnole aimerait bien savoir, c’est comment fait Sarko pour être aussi sexy. Pas très dur à imaginer. Un quart de crasse ignorance, un quart de culot, un quart de mensonges éhontés, un quart d’insultes, un zeste de gnagnaterie cucul, secouez bien. Les Espagnols de droite sont trop coincés pour ça.

La Singette : Quelles sont tes relations charnelles et fraternelles avec ton île d’adoption ?

Fred Romano :Charnelles, tu as bien raison. Depuis 1981, je viens au moins une fois par an dans cette petite île, et depuis ce moment-là, je savais qu’un jour je viendrais y vivre. En 2002, on m’a diagnostiqué la sclérose multiple et je n’ai plus supporté la ville, à l’époque Barcelona, que j’adorais pourtant. Alors je suis partie pour Formentera, vivre avec mon mari basque espagnol. C’est un paradis, qui à la faveur de l’oubli et de l’éloignement (nous sommes au cœur de la Méditerranée), a été moins abîmé que d’autres sites, livrés à la fureur touristique. En d’autres temps, l’absence d’eau courante était vécue comme un grave défaut, ce qui nous a épargné le tourisme de masse, qui a besoin de deux douches par jour. A présent, des bobos de toutes les capitales du monde trouvent ça follement chic de puer un peu. Mais en hiver, l’île est nôtre, elle se donne à une poignée de chevelus rêveurs et bons à riens, de toutes les nationalités. Notre unique point commun est notre amour pour ce bout de rocher. Ensuite, il y a une importante partie de moi-même qui vis très mal sans eau de mer à proximité, ma partie sirène (voir le torse de Michel). Je ne suis jamais malade en mer, même avec l’ouragan aux trousses force 9 et que tout le monde à bord du Johnny B. Good vomit, (Ramón Pipin doit encore s’en souvenir). Ensuite, je suis une plongeuse, j’adore suivre les poissons ou les poulpes tout en leur chantant des chansons de bulles sous-marines. Je ne chasse que les oursins, et encore, plus tellement depuis que les touristes français ont proprement pillé les bancs de Formentera. Par chance, la maladie n’a pas affecté ma partie marine. Á défaut, je suis donc la lente dégradation des fonds marins. J’ai été l’une des premières à dénoncer la présence d’algues invasives s’attaquant à nos champs de posidonies. Ça n’a servi à rien. Les touristes n’aiment pas les posidonies, ils trouvent que ça fait sale sur les plages. Dommage pour les poissons, qui aiment bien y élever leurs alevins.

La Singette : Dans un papier sur ton blog, tu racontais que tu traduisais la Topographie d’Alger de l’espagnol ancien. Tu peux nous raconter où tu en es et de quoi il retourne ? Ca voudrait aussi dire que tu jactes l’espagnol couramment, bravo chapeau l’artiste si je m’abuse ou je m’amuse !

Fred Romano : Oui, je parle et j’écris en espagnol. “La Topographie et Histoire d’Alger”, de 1602, est un projet monumental que je traîne et sur lequel je travaille depuis 10 ans, tentant de le faire publier en France, ou en Algérie, et dernièrement, en Espagne (où il n’a pas été sérieusement ré-édité). Au départ, il existe une ré-édition en français, mais ce qui est scandaleux c’est que cette traduction date de 1887 et de surcroît, elle est l’œuvre d’un moine bénédictin. Autant dire que ce chef-d’œuvre mérite une traduction plus moderne. Il s’agit de l’une des premières descriptions d’une culture différente de la nôtre, et l’un des rares témoignages sur le royaume pirate d’Alger. Par ailleurs, ce texte est truffé des sous-entendus et double sens secrets si typiques du 16ème siècle, une époque où il fallait surveiller ce que l’on écrivait si l’on ne désirait pas finir sur le bûcher, à cause des Inquisitions déclenchées par l’église catholique. Un vrai labyrinthe. Au bout du compte, mon épluchage intensif m’a menée à certaines conclusions : tout d’abord, son auteur déclaré (Diego de Haedo) n’a jamais existé(bien que le roi d’Espagne Philippe III lui-même menace dans sa préface d’une lourde amende quiconque remettrait en cause le contenu de cet écrit). Sur ce point, à peu près tous les spécialistes actuels s’accordent, lesquels attribuent cette œuvre à De Sosa, un prêtre portugais retenu en esclavage à Alger, et cité dans le texte. Le problème, c’est que les mêmes spécialistes n’ont pas travaillé sur l’original que j’ai traduit, car il s’agit d’un livre égaré, (de surcroît annoté par un lecteur musulman). Mais les spécialistes actuels ont tous travaillé sur une déplorable ré-édition exécutée lors de la dictature de Primo de Rivera et qui a grossièrement modifié le texte original. S’ils avaient consulté l’ouvrage de 1602, ils se seraient rendus compte qu’il est impossible que De Sosa l’ait écrit, un prêtre n’aurait pas laissé passer les grossières fautes de latin qui s’y trouvent. Pourquoi tant de peine, me diras-tu, petite Singette, pourquoi se donner tant de mal pour camoufler le nom du véritable auteur ? Quand on sait que l’autre personnage cité dans le texte n’est autre que Cervantès, on commence à comprendre… N’oublions pas que l’auteur de ce texte a certainement du se convertir à la foi musulmane pour sauver sa peau, puisqu’il y décrit intérieur de mosquées et prières. Or je sais, ayant moi-même été lapidée pour avoir tenté d’entrevoir l’intérieur de la mosquée d’or à Bagdad, que l’intérieur des mosquées est interdit aux non-musulmans. Voilà pourquoi, chère Singette, je m’acharne sur ce texte. Car je prétends que la “Topographie et Histoire a Alger” est la première œuvre de ce génie, Cervantès, lorsqu’il fut retenu comme esclave par les rois d’Alger durant 5 ans. Il composa cet ouvrage pour le compte des services secrets du roi d’Espagne Philippe III, s’évitant ainsi les foudres de l’Inquisition. Le texte en présente au demeurant toutes les caractéristiques, ainsi que l’humour féroce de l’écrivain de la Mancha. Malheureusement, je ne possède aucun diplôme. Et j’ai été mise en contact avec ce livre fascinant et unique de la plus étrange façon qui soit, par l’intermédiaire d’une bague que j’avais acheté quarante pesetas (10cent d’€) aux Puces de Barcelona, et qui s’est avérée d’or, diamants, aigue-marine, du 17ème siècle… Par là, j’ai découvert le monde corsaire de la Méditerranée puis été mise en contact avec ce livre (au demeurant identifié comme de 1602). Mais on ne peut pas écorcher la légende du grand écrivain, disent les spécialistes. Qu’ils relisent Don Quichotte ! Les textes du Manchego sont si explosifs et révolutionnaires que l’on comprend pourquoi la droite espagnole l’a pris en otage…

La Singette : Sur ton blog véritable écran de tes humeurs, tu nous offres aussi à partager tes expressions diverses et variées. Je veux parler de tes “portraits inventés”, tes photos et tes films. Dans quel état d’esprit crées-tu ces images et quels rapports entretiennent-elles avec tes écritures ?

Fred Romano : Dès mon enfance, ma mère me comparait au “petit Paul en arlequin” de Picasso. Je lui ressemblais étonnamment et j’étais très précoce. J’ai toujours écrit et dessiné. Ça me permet de me reposer les neurones. Je fais aussi de la céramique et je prends mon pied à chercher de nouvelles formes, ou à donner des formes aux mots (j’ai ainsi réalisé le vase YO). Ça fait bien dans le portrait “vieille hippie”, pas vrai, petite Singette ? J’ai besoin d’activités manuelles pour me débrancher un peu de l’ordinateur. Un jour, je ferais de la peinture à l’huile. Je pense toujours mes images ou mes objets, assez précisément, je dois les voir, et ensuite je les fais. Souvent, la résolution d’une perspective me permet de trouver la clé d’un personnage de roman. Et puis je construis mes portraits inventés comme mes personnages de romans : le nez de ma sœur, la bouche du facteur, les rides de ta mère ou encore la démarche du capitaine.

La Singette : Tu es également la créatrice de deux cyberomans sur la toile qui mêlent pèle mêle différentes techniques informatiques et différents langages. Tu peux nous exposer la genèse de cette création tout à fait étonnante et innovante et l’accueil de ton lectorat de poils aux doigts ?

Fred Romano : Je dois tout d’abord expliquer que j’ai approché le monde virtuel par le Minitel, comme beaucoup de Français programmateurs. Je travaillais sur Minitel, sur un site d’astrologie. J’étais chargée de faire patienter les clientes (et de les faire consommer) aussi je devins Armando, un écrivain sud-américain très misogyne, qui obtint un franc succès (la force du changement de sexe, tu dois comprendre ça, pas vrai, Singette). Je dus provoquer quelques divorces pour cause de note téléphonique. Mais cela me permit (excusez-moi, chères mesdames, de vous avoir abusées de la sorte, mais c’était pour le bien de l’Art) de prendre la mesure du monde virtuel et de ses vertus. Tout de suite j’ai compris qu’il y avait là de la place pour un nouveau mode d’expression. Aussi, quand Internet est parvenu en Espagne (vers 1996), j’ai compris qu’il fallait que j’apprenne à programmer, pour écrire le premier roman virtuel, impossible à éditer dans son intégralité. Les Américains m’avaient prise de vitesse, qu’importe, je réaliserai le premier cyberoman en français. J’ai pris six mois de cours avec une Polytechnicienne catalane (payés par la CEE)et je suis devenue assez bonne au point de créer des formules Java script originales, qui allaient être la base et la marque de fabrique de mes cyberomans. Je n’ai eu aucun problème d’apprentissage, c’était comme suivre avec plaisir le Lapin Blanc et pénétrer ainsi dans le pays des Merveilles et manger le gâteau qui fait grandir. Ainsi débuta l’aventure d’Edward_Amiga et de sa fille Marlene_PC, deux programmateurs de génie qui doivent faire face au conflit des générations, et dont les émois sont suivis par le monde entier (jusqu’au Pentagone, qui a pénétré huit fois sur mon site). Je considère le langage de programmation Java script comme un véritable langage à part entière, avec ses invocations et ses variables. Cependant, je n’ai reçu que très peu de réactions, bien plus du côté des universités américaines, qui ont toutes linké mon site, ainsi que l’université de Ratisbonne (Allemagne). Aux USA, l’intérêt a été immédiat, bien que mon roman possède à leurs yeux un grave défaut : il est entièrement gratuit. Je suis une militante du savoir gratuit mis à la portée de tous. C’est un statut révolutionnaire, dans les temps où nous vivons, ceux des nouveaux-intellos qui capitalisent et structurent l’accès au savoir. Par référence aux nouveaux-riches, les nouveaux-intellos sont nés dans la plus crasse ignorance et ont découvert le fait de penser il y a peu. Ils s’en badigeonnent la face et le fion pour faire croire qu’ils ont ça dans les tripes.

La Singette : Dans ta force de caractère, tu me rappelles le regretté Jean-François Bizot lorsqu’il combattait Jack, son cancer, en connaissance de cause de la pharmacopée. Tu te ressens dans ta chair invalide dans un monde de valides, alors que les docteurs te prédisaient la vie à brève échéance, six mois à peine. Mais toi, fortiche et toujours sur le qui vivre tu as l’art de fiche une bonne mornifle au conformisme ambiant de la bonne santé en rigueur. Quelles sont tes sources de vigueur ?

Fred Romano : Tout de suite, petit singe, je t’avertis : faut pas mélanger les serviettes et les torchons. Bizot était l’une des trois premières fortunes de France, un hippie de la haute société, héritier des barons de l’industrie(comme tu dis, pharmaceutique). De surcroît, il a été le premier à refuser mon article sur la vache folle en 1991 parce qu’il “n’y croyait pas”. Il a toujours été faux-jeton, avec une certaine classe, je te l’accorde. Mais cette façon de faire ami-ami avec sa maladie me semble un peu douteuse cependant pas très étonnante chez un menteur donneur de leçons vivant ses rêves utopistes avec l’argent (très) sale de papa. J’ai toujours pensé que les cancéreux avaient quelques comptes à régler avec eux-mêmes, comptes qu’ils ont laissé traîner jusqu’à ce qu’ils se reproduisent sans frein. Dur-dur, pas vrai, le Singe ? Mais je suis une ressuscitée, j’ai vaincu la mort et rien ne peut m’arrêter(mis à part les forces de l’ordre). Il y a 6 ans de cela, on m’a diagnostiqué la sclérose multiple, à moi la spécialiste de la maladie de la vache folle, qui connaît par cœur les schémas de la dégradation neuronale mais qui n’avait pas su les reconnaître en moi. Quand j’ai exigé la vérité, le docteur a regardé ailleurs pour dire “peut-être six mois”. Pas de traitement connu. Etant bouddhiste de tradition Bönn, j’ai commencé à faire les rituels de préparation à la mort (Törgal) et c’est quand je me suis aperçue que je n’allais pas mourir tout de suite. J’ai vu clairement que je n’appartenais pas à cet univers de glaces éternelles, au bout du tunnel. Alors j’ai cherché sur Internet, éliminant escrocs et gourous, et j’ai trouvé trois possibilités : l’acupuncture électrique en Inde, les abeilles à Cuba et une source thermale en Hongrie. Mon mari et moi nous sommes décidés pour la Hongrie parce que nous n’y étions jamais allés et que tant qu’à faire un dernier voyage, autant que ce soit dans un pays inconnu. On a oublié de mettre de l’antigel dans la voiture et elle s’est cassée, mais on pleurait de joie dans l’avion qui nous a rapatriés. Au bout de trois jours de trempette, j’avais dit à mon mari : “je n’y crois pas vraiment, mais je pense que je suis guérie”. Depuis, c’est une très lente remontée à la surface, absolument exceptionnelle puisqu’on suppose qu’il n’y a pas d’amélioration possible dans les cas de maladie neurodégénérative. La source de ma vigueur se situe donc en Hongrie, dans le village d’Egerszalok. Sans cette source (qui a exactement le même âge que moi, découverte en septembre 1961), sans les éléments rares contenus dans ces eaux, je ne serais pas là pour t’en parler.

La Singette
 : Avec une certaine pointe de nostalgie, Ramon Pipin de chez Odeurs et Au bonheur des Dames, dans l’interview que je lui ai consacré constatait : “Nous transposions l’esprit frondeur et la musique. (…) L’humour a grandement évolué, les barrières que nous avions poussées se sont écroulées”. Et toi Fred qui a bien vécu cette époque survoltée et créative des délices de la dérision à plein tarin, qu’est-ce que tu retires des années 70 / 80 ? Et selon toi, au nom de ta verve littéraire, dans quelle direction ont évolué l’humour et la société de nos jours ?

Fred Romano : Triste, triste, triste à en pleurer. La société de nos jours est tellement dépourvue de talent que l’on sanctifie les grands anciens sur l’autel du commerce, que l’on récupère les violents anarchistes de l’humour en les affichant dans les stations de métro. Affligeant. Notre société aujourd’hui récupère jusqu’à la récupération. Voir les politiciens de droite, qui nous ont volé toutes les idées généreuses, les idées qui plaisent à ceux qui ne sont pas hippies mais qui ont un cœur quand même. À ce stade, ce monde est en train de perdre toute substance, et l’humour qui y est servi n’est plus qu’un substitutif. D’ailleurs, il suffit de constater le succès des imitateurs. Pourquoi leur donne-t-on tant de place ? Mais c’est enfantin, chère Singette, parce que la France traverse une période encore plus bourgeoise qu’à la fin du dix-neuvième siècle et que les imitateurs sont beaucoup moins dangereux. L’humour original est corrosif. Depuis que Michel a fait la connerie de récolter 15% d’intentions de vote aux présidentielles, appelant les prostituées, les déserteurs, les drogués à voter, les politiciens se sont affolés. Depuis, ils n’ont plus jamais fait l’erreur de laisser la place à un véritable humoriste. Mais il y a aussi un véritable problème de société, à mon sens du à l’Education Nationale : depuis des décennies, on fabrique des spécialistes à l’école, qui ont perdu la vue d’ensemble. J’ai eu la chance de recevoir des cours par correspondance, j’ai pu ainsi apprendre à me fabriquer mes propres systèmes d’apprentissage et c’est pourquoi je reste curieuse. Mais ce n’est pas le cas de la majeure partie de la population. Je crois que c’est un fait exprès, un immense programme de domptage des esprits, pour avoir une population modelable, gentille et bien obéissante, qui consomme quand on lui envoie les signaux télé pour ça. Donc, l’humour là-dedans, n’a pas beaucoup de place. L’humour francophone encore moins, mis à part des cas isolés de résistance rigolote au Québec (dont la série Catherine) ou encore Caméra Café en France, qui ont retourné les armes de l’ennemi contre celui-ci, en investissant la télé. Bon, allez, je t’accorde que la Floresti m’a fait ricaner, et aussi cette algérienne au théâtre du Splendid. L’humour féminin est en train de prendre la relève en France, mais tièdement.

La Singette : Qu’est-ce qui tourne sur tes platines et qu’est-ce que tu lis en ce moment ?

Fred Romano : Pour m’endormir, des bruits de mer, chansons de dauphins ou d’oiseaux, ou des classiques, Nushrat Fateh Ali Kahn, Philip Glass, etc. Sinon, je suis super-fan de l’extraordinaire Amy Winehouse, j’adore sa voix rauque, son culot, ses jambes, sa superbe et sa grande gueule. Courage, chica brava, tu es la plus belle, la plus forte, la seule vivante dans ce monde d’ombres ! Sinon, je lis beaucoup en espagnol (je viens de terminer Toreo de salón, de Camillo José Cela, une farce méchante et délectable), en fait, beaucoup de sud-américains (Cortazar, Charpentier, Byo-Casarès, etc.). Je suis persuadée que la meilleure littérature du monde se fait en Amérique, que ce soit en espagnol ou en anglais, peut-être parce qu’il s’agit de civilisations acculturées de colons, qui ont du se ré-inventer des références voire des mythes, après avoir détruit les locaux. Sinon, je suis en train de lire en français “Les bienveillantes” de J.Littel, quoique ça ne m’enthousiasme guère. J’aime bien lire les best-sellers avec deux ou trois ans de retard, quand on entend plus parler d’eux. J’attends cependant le dernier livre de Thomas Pychon avec impatience. Enfin, j’adore acheter mes livres aux Puces. Tu y trouves des trésors épuisés, comme “L’imprécateur”, de René-Victor Pilhes, un roman fabuleux des années 70, dans lequel des gens sans scrupules comme Houellebec ont pompé sans retenue. Il y a une vieille dame polynésienne qui écrit des merveilles absolues, elle n’a été publiée que dans des revues universitaires australiennes, je l’ai rencontrée à l’hôpital de Papeete : Flora Devatine. J’espère la retrouver un jour. J’ai un projet pour lequel il faudrait que je passe au moins trois mois à Moorea. Qu’est-ce que tu en penses, petit Singe ? Les cocotiers me manquent cruellement, à moi aussi.

La Singette : Dans tes livres publiés, tu embrasses différents registres d’écritures. Je sens chez toi un amour immodéré pour la langue française et en même temps tu écris également en espagnol, je me demandais de quelle manière tu parvenais à passer d’une langue à l’autre et comment tu t’y retrouvais pour écrire tout ce que tu avais à dire ?

Fred Romano : J’écris toujours dans la langue dans laquelle j’ai conçu l’intrigue. J’adore les langues. Apprendre une langue c’est découvrir un système de pensée. Je comprends une dizaine de langues souvent, par l’étymologie. Mais pour la balancelle franco-espagnole, je n’ai pas été la première, il y a même des classiques. J’ai une admiration sans bornes pour Gérard de Nerval et son poème bilingue El desdichado :

Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé,

Le prince d’Aquitaine à la tour abolie

Ma seule étoile est morte et mon luth constellé

Chante le noir soleil de ma mélancolie…

Sous ses aspects gothiques, ce poème contient toute l’histoire secrète de l’Occitanie, que Gérard de Nerval a préservé pour l’éternité. C’est à mon sens la première tentative d’intégrer le réalisme fantastique dans la langue la moins rationnelle du monde (le français est la langue des exceptions). C’est mon but dans la vie. Avec le chausse-pied de l’imagination, je tente d’introduire le réalisme fantastique dans le français, parce que c’est un raccourci pour parler aux esprits. Quant à l’espagnol, il existe une raison numéraire à tous mes efforts : au bas mot, 500 millions de lecteurs. Et l’espagnol est la seule langue au monde qui possède deux mots pour “être”, ce qui a d’incroyables répercussions philosophiques. Mais la langue philosophique est l’allemand, parce que l’on pourrait théoriquement faire un livre composé d’un seul mot. C’est magique.

La Singette : Qu’est-ce qui t’indigne actuellement et te fais vibrer dans notre société du pestacle et de la tragédie des apparences sur le dos de notre dame nature abonnée aux parjures des humanos fétides, dixit une Singette animal qui a mal à sa planète ?


Fred Romano
 : Regarder la planète aujourd’hui, c’est comme ouvrir un catalogue d’horreurs et de conneries abominables, perpétuées toujours par avidité et souvent pour des sommes ridicules. Le désastre, une fois effectif, est impossible à régler et ça coûte des milliers de dollars pour éviter qu’il ne s’étende. L’exemple de la “maladie de la vache folle” est significatif, bien qu’on en entende moins parler, alors que la maladie continue chez les ovins et les bovins et progresse chez les caprins et les humains, risquant de s’étendre de forme pandémique par les transfusions sanguines, implants dentaires et vaccins. Tout a commencé quand Margaret Tatcher a décidé de faire des économies sur le retraitement des déchets de moutons malades, bien qu’elle ait été avisée par les services vétérinaires islandais de ne pas le faire. Les pertes aujourd’hui sont mondiales, incalculables. Et avec ça, en 2007, les Américains rêvent de forcer l’Europe de remettre sur le marché les restes de bovins, parce que ça représente beaucoup d’argent ! Aux USA, avec leur vision pragmatique des choses, ils ont mis le secret défense sur le sujet. Les trusts de la viande ainsi n’entendront pas parler dans leurs médias de leur maladie endémique, la CWD, la maladie du cerf fou, qui ravage les Montagnes Rocheuses et menace de s’étendre au Canada et au Mexique. Ça me fait penser aux engrais, un chapitre assez répugnant dont on ne parle jamais. Où sont passées les milliers de tonnes de restes bovins qu’il est à présent interdit d’utiliser ? Ça coûte très cher d’engranger ad vitam eternam tous ces squelettes et organes, d’autant que nous en produisons des tonnes par jour et par pays. En dépit des risques, ça coûte moins cher de les utiliser, songent les spécialistes de l’économie. Les risques sont lointains et faibles en pourcentage (quoiqu’en prospective, ils aient des conséquences terrifiantes). Donc, tous nos champs sont tartinés avec cette merde dangereuse et contaminante, qui n’apparaît même pas dans la composition des engrais alors qu’elle représente parfois plus de 50% du produit. Or, n’oublions jamais que la maladie de la vache folle peut se contaminer à n’importe quel mammifère (y compris les rongeurs), qui développera alors sa version d’espèce de la maladie. Curieusement, le scientifique qui a démontré que l’agent contaminant de la maladie de la vache folle, le nuisible prion, reste contaminant durant 5 ans, une fois enterré, s’est vu accusé d‘une sordide affaire de pédérastie qui serait advenue 40 ans auparavant. Il a été déchu de ses postes et recherches, ses papiers ont été détruits et il a été condamné à perpétuité. Récemment, pour cause de santé, on l’a autorisé à sortir de prison, à condition qu’il renonce à sa nationalité américaine, qu’il fuie le sol américain et qu’il ne parle jamais plus de ses recherches. C’est un homme totalement brisé qui est sorti de prison. Le docteur Gadjusek n’a jamais plus ouvert la bouche.

La Singette
 : Liberté chérie, quelle est la question que l’on ne te pose jamais et à laquelle tu aimerais répondre ? Ne te gêne surtout pas et exprime-toi à ta guise.

Fred Romano :

Q : Qui est ton véritable père ?

R : J’aimerais tant que ma mère ait pété les plombs avec Pablo Picasso, un soir de nouvel An 1961. Mais j’ai bien peur que mon père soit le salopard que je connais.

Q : Pourquoi tu n’as pas eu d’enfants ?

R : J’ai toujours su que ce monde ne représentait pas un cadeau dans un avenir proche, aussi j’ai mis un mouchoir sur mes désirs égoïstes de maternité. Si un jour je gagne suffisamment d’argent, j’adopterai un petit délinquant, un gosse qui n’aurait aucune chance de trouver des parents adoptifs normaux.

Q : Quels sont tes projets littéraires en français ?

R : Je suis en grand chantier perpétuel. J’ai au moins trois romans non achevés et deux autres terminés, qui n’ont pas trouvé acheteur. Mais le problème est autre : j’ai totalement perdu confiance et espoir dans le système littéraire français, et je ne me vois pas avec les forces suffisantes pour y survivre. Ce qui explique ma renaissance en espagnol. Comme le système littéraire espagnol s’est totalement renouvelé voire re-créé à la chute de la dictature franquiste, il me reste un peu d’espoir de ce côté-ci des Pyrénées. Au bout du compte, il ne me restera qu’à traduire mes travaux en français…

La Singette : C’est déjà fini ! A toi charmante Fred, je ne demanderai que ton sourire le plus exquis gorgé du soleil de Formentera.

Fred Romano : Je veux qu’il pleuve ! Bises à tous !

Retrouvez Fred Romano sur son blog : http://FredRomano.canalblog.com

Les cyberomans en ligne de Fred Romano :

http://www.telefonica.net/web2/worldwindows/hipno/index.htm

Les livres publiés par Fred Romano :

“Le film pornographique le moins cher du monde” roman chez Pauvert, (2000)

“Contaminations” Nouvelles, Pauvert, (2000)

“Basque Tanger” roman chez Scali, (2006)

Retrouvez sur le blog de la Singette, ses notes de lecture des ouvrages de Fred Romano : http://lasingette.blogspot.com/