La Théorie de la paella générale

La Théorie de la paella générale

Comme souvent chez HFB (pour les intimes), le titre en dit déjà long… qui suffirait à résumer notre triste époque. Mais l’histoire vaut davantage encore !

La Théorie de la paëlla générale, Henri-Frédéric Blanc, aux Éditions du Rocher

J’en suis même un peu vexé, car je préfèrerais franchement que ce soit moi, mais je tiens Henri-Frédéric Blanc pour notre plus grand auteur vivant, probablement. Pourquoi ? Parce qu’il écrit comme nul autre, avec une liberté de ton fracassante et une force d’imagerie qui me laisse hésitant à voir en lui le génie ou la folie… L’un peut-il être bâti de l’autre ? Au final, une littérature inventive, subversivement incorrecte, qui laisse rêveur devant tant d’acuité au fil d’opus régulièrement accouchés par voie naturelle… Car le salopard prolifique n’est ni alcoolique ni drogué, non, mais un quinquagénaire négligemment barbu et sincèrement timide, qui s’excuse presque lorsqu’on le complimente sur ses livres.

Cependant, vous serez prévenus, ne vous attendez pas dans ce roman à croiser un grand auteur au sens où on l’entend à l’école, c’est-à-dire issu des Belles Lettres : non, Henri-Frédéric Blanc écrit comme un clodo vous raconte une histoire, un peu déglinguée et certainement incroyable, à laquelle son auteur croit lui-même assez peu… mais dans laquelle vous trouverez cette vérité rare et précieuse qui est celle de la fable, ou du conte, en somme toute cette humble écrivaillerie passant pour un genre mineur depuis que les plumitifs sont des gens sérieux, c’est-à-dire depuis que le monde est monde.

Cette fois-ci, il s’agit de l’histoire imbécile de Prune, adolescente sauvage et surdouée, boulimique de surcroit, qui reste seule un soir à la maison : ses parents vont à l’opéra. Certes, un tueur en série, l’étrangleur à la chaussette, rôde dans la ville, mais la maison est bien protégée, du moins tant que les verrous restent fermés…

On se trouve en direct dans l’esprit tendre et détonnant d’une adolescente de notre temps qui aimerait appeler les extraterrestres sur son portable, rêve de rencontrer Robinson Crusoé ou de sauver les ours blancs, s’imagine cardinal et dialogue avec Einstein, sans oublier d’explorer le réfrigérateur. L’impossibilité totale qu’elle éprouve d’accéder à cet état de mort cérébrale en vigueur chez les adultes bien-pensants ne cesse de faire des étincelles, entre théories farfelues et résolutions extravagantes.

Un autre personnage a beau jeu : notre tueur en série, qui se surnomme lui-même « le justicier du sexe » et se livre en ces pages à une confession délirante où chaque mâle lecteur reconnaîtra la part en lui de persécution spirituelle dont il est l’objet de la part des femmes. Vit-il leur indifférence à son égard comme une agression permanente, qu’aussitôt il les étrangle… ne pouvant supporter leur beauté, et comme je le comprends en écrivant cette critique à la terrasse d’un café peuplé d’inabordables femelles à moitié nues sous leurs vêtements de demi-saison !

La Théorie de la paella générale, Henri-Frédéric Blanc, aux Éditions du Rocher

Article proposé en partenariat avec le bimensuel MARSEILLE LA CITE