CONFESSIONS D’UNE BABE IDOL/6

CONFESSIONS D'UNE BABE IDOL/6

C’est vers le milieu de l’après-midi que je me décidais à l’appeler.
Le lendemain très exactement, car il était inconcevable que je laisse
un espace temporel dissiper la proximité qui s’était établie la veille
au soir, et qui par la chaleur diffuse que je ressentais encore au
creux de l’estomac attestait de l’existence des ondes, de l’abolition
dans le dialogue des émotions des barrières entre le réel et l’irréel.
Je n’avais pas le numéro à son travail mais je me souvenais qu’elle
oeuvrait comme modiste pour un théâtre public parisien.

Par les renseignements je n’eus aucun mal à obtenir le sésame à
partir duquel on m’indiqua le numéro du poste. Aussitôt je la fis
demander et pendant que j’attendais qu’on allât la chercher, tout un
éventail de possibilités se disputait dans mon esprit. Pour moi qui
ait tenté sur une multitude d’inconnues toutes plus intimidantes les
unes que les autres les openings les plus insensés, les entrées en
matière les plus funambulesques, l’épreuve du téléphone reste la plus
périlleuse. Le risque y est nettement plus élevé que dans le cas d’un
"affrontement direct".

Et ce d’autant plus que l’on connait la
personne. Au téléphone nous n’avons que la voix pour convaincre. Pas
de geste, de regard, de mimique à laquelle se raccrocher. Et cette
voix qui est notre meilleur et notre seul atout peut devenir
pareillement notre pire ennemi, notre talon d’Achille. Un souffle, une
hésitation, un rire à contretemps, une émotion mal contenue peut nous
trahir. Tout manque d’assurance, humeur peu enjouée, vivacité
déficiente, aboulie ou état dépressif nous inflige dans l’instant des
pertes irréparables.

Game over. Le temps me parût long même si je
considérais comme un avantage le fait de n’avoir pas été annoncé.Cela
me permettrais de la surprendre et de me donner une légère avance
stratégique ou peut-être décisive en m’évitant de me voir servir une
réponse toute faite, le plus souvent négative. Mais lorsqu’elle
décrocha et qu’elle entendît ma voix elle sût très vite transformer
sa surprise en une froide colère.J’eus droit pour toute réponse à un
sévère sermon , une pluie d’invectives qui se clôtura par le bruit peu
convivial du combiné claqué à toute volée. Il devait être 20 heures
lorsque je l’appelais à nouveau. Contre les apparences je savais que
j’avais marqué un point.

Après tout c’est elle qui avait perdu son
sang froid. Je ne lui laissais pas le temps de me sous-estimer
davantage. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, proverbe non
chinois mais néanmoins pertinent. Je me mis avec toute la mauvaise foi
dont j’étais capable à plaider contre moi, à me mettre plus bas que
terre, à me traiter moi-même d’indélicat.

Je chargeais tellement la
barque que ce fût elle qui finît par s’excuser de s’être ainsi
emportée, excuse que je n’acceptais pas, remettant encore une tartine
en ma défaveur au point que nous nous trouvions tous deux en train de
nous défendre mutuellement. Son humeur acheva de se modifier lorsqu’au
milieu d’une série de rires elle me confia que le lendemain était son
jour de repos. Je n’attendis pas une seconde de plus pour lui proposer
de visiter mon atelier.

"Je t’attends demain à trois heures !" ne
manquais-je pas de lui préciser (A suivre)