Sexe et Utopie, de Patrick Califia (La Musardine)

Sexe et Utopie, de Patrick Califia (La Musardine)

La lesbienne Pat Califia, écrivain féministe est devenu après opération, le transsexuel bisexuel Patrick Califia, écrivain et thérapeute. Ce transsexuel né de sexe féminin dans une famille mormone est un auteur prolifique d’essais, de fictions. Il a publié de nombreux ouvrages aux USA, en France, seul le Mouvement transgenre a été traduit aux Editions EPEL en 2003.

Sexe et utopie regroupe un choix de treize textes des combats, des réflexions de l’auteur. Témoignage éclairant mêlant expériences autobiographiques et recherche sociologique sur les minorités sexuelles. Autant d’informations sur le sadomasochisme, l’homosexualité, le transgenre, le fétichisme.

D’une rare intelligence, et d’une grande liberté d’esprit, les articles de cette personne hors du commun, nous interroge sur notre relation à autrui, notre propre logique, nos perversions...

Au-delà de la censure, des conventions, d’une sexualité normée, Sexe et Utopie, est avant tout, une réflexion personnelle sincère et brillante contre la haine et la discrimination, et devient à sa manière, un manuel de sexologie d’un nouveau genre.

PRÉFACE

Novembre 2003, aéroport de Roissy, dans le grand
terminal 2 où se croisent sans s’arrêter tant d’inconnus,
j’attends Patrick Califia qui arrive directement de San
Francisco. Il ne s’agit pas de Pat Califia, la lesbienne féministe
SM qui utilise l’écriture avec verve pour donner corps
à sa révolte ; j’ai entendu parler d’elle plus dune fois lors de
mes déplacements aux Etats-Unis mais n’ai pas eu l’opportunité
de la rencontrer. Non, il s’agit bien de Patrick Califia,
auteur prolifique et controversé dune multitude de livres,
fictions, essais, poèmes, textes érotiques, nouvelles, etc.

Patrick Califia est bien le continuum de Pat Califia :
l’auteur de Public Sex a entamé en 1999 ce qu’on appelle
une transition, en se faisant opérer et en prenant de la
testostérone. De la lesbienne, nous passons au transsexuel 1 !
Cette stupéfiante évolution qui fit couler beaucoup d’encre,
n’était pourtant pas la première péripétie de sa vie mouvementée.
Pendant un mois, nous allions traverser ensemble la
France pour aller à la rencontre d’un public médusé, venu
entendre parler de transgenre, de SM, de LGBTI, de féminisme,
de Queer, et j’en oublie certainement.

Cette tournée était organisée dans le cadre de la sortie de
son livre Sex Changes : The Politics of Transgenderism devenu
en français Le Mouvement transgenre : changer de sexe 1.
Paradoxalement, bien que celui-ci ne soit pas son ouvrage
majeur, et probablement le plus éloigné de ses précédents
écrits, il fut le premier à être traduit en français.

Ce périple me permit de découvrir la richesse de la
personnalité de Patrick Califia, lors de moments privilégiés
où nous pouvions dialoguer, comme dans ce train qui nous
emmenait chaque jour vers une nouvelle destination où,
le soir venu, à l’occasion de chaque nouvelle conférence,
j’appréciais aussi le silence dont il usait pour répondre à tous
ceux qui étaient venus l’écouter, en prenant le temps de
choisir chaque mot. Ne se moquant aucunement de son
public, la qualité de ses réponses fit vibrer bon nombre de
psychanalystes présents lors de la conférence que javais
organisée avec l’École Lacanienne de Psychanalyse à Paris le
23 novembre 2003.

Si je devais définir Patrick Califia, ce serait pour affirmer
que cet écrivain a certainement su laisser son instinct de vie
parler ou... écrire. Né dans une famille mormone, il fait son
coming-out en tant que lesbienne à Salt Lake City en 1971 ;
deux ans après, départ sans retour pour San Francisco.

Très
impliqué dans le monde associatif, son premier livre,
Sapphistry 1, un manuel d’éducation sexuelle pour lesbienne
publié en 1980, va lui attirer les foudres dune partie de
l’élite des mouvements lesbiens séparatistes et féministes
anti-porno. L’évocation de ses aventures sadomasochistes
sera jugée inacceptable. Plus encore, la non-condamnation
de ces pratiques et de la pornographie oblitèrera le paradigme
de l’identité lesbienne telle quil était institué jusqu’alors
 ; et que dire de la colère provoquée par la suggestion de
l’usage de godemichets ! Pour autant, le livre rencontra un
franc succès auprès des lesbiennes lambda.

Cette expérience a assurément stimulé son désir décrire
pour la réalité des faits ; comme nombre de personnes
appartenant à une minorité, Califia ne supportait plus de
lire des mensonges sur son vécu, sa sexualité, des mensonges
niant finalement son existence. Les leaders associatifs ont
souvent cette fâcheuse tendance à faire de l’assimilationnisme,
profitable selon eux, car occasionnant ainsi une accélération
du processus d’acceptation par la norme hétérosexuelle.
Cependant, copier n’est pas être ; et ce processus
entraîne obligatoirement la mise au ban dune partie de la
minorité, engendrant de fait le déni de sa propre diversité.

Pendant cette époque difficile où nombre d’amis lui
tournent le dos, Califia tient une rubrique dans le magazine
The Advocate que l’éditeur en chef, ancien mormon,
soutient ; c’est justement ici que naitra une grande partie des
écrits qui viendront articuler Public Sex et dont nous vous
présentons des extraits dans ce livre.

Si on replace les textes de ce recueil dans leur contexte,
de la fin des années 1970 au début 2000, on comprend que
chacun d’entre eux est un témoignage très éclairant, qui fait
partie intégrante de l’évolution historique du mouvement
des minorités sexuelles. Croisant expérience autobiographique
et recherche sociologique, c’est en les chahutant sans
réserve et avec une réelle délivrance que Califia nous offre
ses descriptions lucides des contradictions de certaines
pensées féministes. Ainsi il nous livre sans compromis ce qui
rend l’humain sans âme, ce qui fait de l’individu le simple
maillon d’un système moraliste et obscurantiste..

En se dévoilant dans une écriture sans édulcorant, en
utilisant des termes crus, en explicitant des relations intimes,
Califia prend parti de dédramatiser la sexualité et, comble de
l’incroyable, arrive à la force de sa plume à ne pas choquer
le lecteur ni le rendre voyeur. Grâce à son éloquence et sa
volonté de se garder de tout jugement, c’est également avec
un certain humour que Public Sex plonge au tréfonds de
nous-même, nous interrogeant sur notre propre relation à
autrui, notre propre logique et évidemment notre propre
perversion.

Cette introspection invite le lecteur à concevoir les
choses sous un nouvel angle, à s’ouvrir à une dynamique
nouvelle, celle du souci de soi et du libre-arbitre, en ne
cautionnant plus implicitement l’oppression et en se libérant
du conformisme. Nous sommes tous responsables de la
perpétuation du racisme, de l’homophobie et des autres
formes de domination. Si le langage de Califia est fluide, ses
arguments, sont dune logique implacable tout comme
son éthique est impressionnante : il fait partie de ces rares
personnes capable de consigner dans leurs écrits en toute
franchise leurs erreurs passées et leurs faiblesses. En toute
transparence, il dévoile son évolution psychologique et
philosophique, donnant ainsi plus d’aisance à son public
pour faire son propre cheminement.

Doit-on rappeler le sous-titre américain de l’ouvrage The
Culture of Radical Sex ? Perversion, sadomasochisme, pornographie,
contestation des normes de genre, le sexe radical
interpelle tout un chacun sur sa place dans la société. Pour
Califia, le sexe radical ne renvoie pas au fait d’être hors de la
norme hétérosexuelle, mais il s’agit bien de la conscience
que lon peut avoir de l’iniquité sexuelle et comment celle-ci
relève du contrôle social. D’ailleurs ses éditeurs ne diront
pas le contraire : Califia a la palme de l’auteur ayant subi le
plus de saisies par la douane canadienne réputée pour ses
restrictions en matière de sexualité.
Finalement, ce qui ma amené à accepter décrire cette
préface, en dehors de mon amitié pour l’auteur, c’est le
respect qu’on peut lui porter. Cette capacité de l’individu à
prendre sa vie en main et à assumer ses actes, Califia ne fait
pas que l’écrire : il la vit, et personnifie nombre de ses
recueils.

Probablement notre parallélisme professionnel y participe
également, aujourd’hui il a une activité de thérapeute
licencié en psychologie agrémenté d’un diplôme de thérapie
conjugale et familiale ; alors que mon métier de sexothérapeute
ma confronté aux demandes de « guérison » de l’homosexualité,
du travestisme, etc. Comment ne pas être
particulièrement sensible à toute action pouvant susciter
une évolution libératrice des mœurs ?

Loin des divagations théoriques habituelles sur les
minorités sexuelles, tel un tribun, Patrick Califia sait
valoriser la diversité sexuelle, la recherche d’autonomie, de
l’empowerment, dirait-on outre-Atlantique, de lestime de
soi. Et tout cela est autrement plus important.

D’un certain point de vue, n’aurions-nous pas entre les
mains un manuel de sexologie moderne dun nouveau
genre ?

Armand Hotimsky