NECESSITE DU VOYAGE

NECESSITE DU VOYAGE

Il faut voyager. C’est une nécessité impérieuse pour qui ne veut pas
tomber dans les pièges de l’égocentrisme, de l’endogamie
intellectuelle et des trivialités qu’une vie prolongée dans le même
bocal finissent par susciter.

Il faut voyager pour ne pas se vêtir du
voile de l’amertume, pour devenir plus grand que ce petit soldat
méprisable, homme ou femme obsédé par son territoire dans la
configuration sociale.

Lorsque je suis loin, loin de mon confort et du
carcan de mes habitudes, loin de ma méprisable propension à plaire et
à vouloir montrer mon meilleur côté, je deviens enfin moi-même. C’est
sans doute la première vertu du voyage que de nous rendre, dans une
enivrante parenthèse, et pour quelque temps, de nous rendre à nous-
mêmes.L’adage ironique "Aussi loin que l’on aille on ne peut partir
que de soi-même" n’est pas dénué de fondement. Une fois en marche vers
un ailleurs improbable nous nous dévêtons des hardes fatiguées de
notre pensée pour endosser la tenue d’un vagabond, la seule qui
permette à notre corps physique et à notre corps éthérique de
dialoguer de concert sans se livrer une lutte sans merci.

Lorsque je marche dans la vieille Havane juste avant le soir, juste
avant l’heure bleue qui est vraiment bleue en cette région des
caraïbes, lorsque je marche non sans avoir subi auparavant les embruns
du Malecon , promenade défoncée longue de plus de vingt kilomètres,
lorsque je me perd dans l’entrelac des rues et que je lève les yeux en
permanence vers les balcons ouvragés ou je ne manque jamais de croiser
le regard d’une renversante beauté aux cheveux de jais, lorsque je me
perds sans souci de me retrouver, me laissant bercer par quelque
musique épicée ou porté par quelque fumet démentiel échappé de la
cuisine du diable en personne, lorsque je rêve éveillé tout immergé
pourtant de réalité vibrante, eh bien la vie me semble une et
indivisible comme il est dit de Dieu dans le Talmud ou dans la très
ancienne philosophie chinoise du Yin et du Yang.Je l’aspire alors par
tous les pores de la peau et il n’est guère plus question de temps ni
de course à rebours dans le courant furieux des choses.

Mais je vous
parlerai d’elle ou d’une autre, plus tard, lorsque elle ou une autre
se décideront à revenir avec l’amour, les parfums du soir et l’odeur
de sa peau.

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