Lettre ouverte à mon père

Lettre ouverte à mon père

Cognac, le 25 février 2008

Papa,

Tu te rends compte, j’ai déjà 35 ans… Toi qui m’a connu tout petit, et même avant, ça doit pas te rajeunir. 35 ans… Ça fait longtemps que je pense que c’est un tournant, une charnière. L’âge de la maturité ? Ah merde, j’avais pas vu ça comme ça !

Sans doute pas encore fermement décidé à grandir. Et pourtant, en effet, il y a des choses nouvelles pour moi cette année. Comme cette journée de samedi dernier, où tu as cru bon de me présenter ta nouvelle compagne, à l’heure où tu m’avais plutôt habitué à servir l’apéro…

J’avais jamais vu la mort d’aussi près !

Bien sûr, je l’avais croisée, aperçue au détour d’un chemin qui n’était sans doute pas tout à fait le mien. Ressenti son souffle glacial ou le poids du chagrin qui l’accompagne. Mais cette fois, elle est carrément venue me taper sur l’épaule pour me dire qu’elle venait te chercher.
Et la vie se rappelle à son évidence, à sa fragile ambivalence…

Autant on a fini par s’habituer, à force, à ce que chaque soir le jour cède sa place à la nuit, autant on n’est jamais très bien préparé à l’idée que la mort succède à la vie. Tu étais là, petit malin, et comme dans un tour de magie dont personne n’a bien compris le secret, d’un coup tu as disparu. Je te félicite d’avoir su le faire en gardant ce petit sourire accroché aux lèvres. Je t’en remercie aussi, c’est bien plus facile à accepter ainsi.

Tu étais là et on n’était pas forcément d’accord. Et voilà qu’on le devient pour toujours, à l’heure de signer ce pacte éternel qui ne laisse de place qu’aux bons souvenirs et aux vrais sentiments. Et même si on a n’a pas toujours été très doués pour les exprimer dans la famille, après tout on les connaît, on les sent, on les ressent et c’est bien le plus important.

Je suis triste pour ta mère et je suis triste pour la mienne. Moi, je joue les costauds, j’encaisse mais j’en mène pas large, et je regarde le clan et les amis se réunir pour célébrer ton départ. J’admire le respect, l’amour, l’énergie que tu inspires à tous ces gens qui veulent fêter ta mémoire, et ça me tient chaud…

Tu peux être fier de toi, moi je le suis…

Fais bon voyage…

Arno