Ô petite voix, si tu savais… - Nouvelle

Ô petite voix si tu savais comment la nuit tumultueuse referme ses voiles sur mes lourdes paupières. Le passé, jamais si loin, resurgit, déchirant dans mes songes. Petite voix, je le sens qui me poursuit, m’effleure, écorche ma quiétude et résiste à mon désir d’oubli. Au fil du temps, je ne suis devenue que l’ombre de ce désespoir qui traîne sur moi et corrompt la vitalité de mes forces. Et je sais que jamais je n’aurais la quiétude, que jamais, mon horizon travestit par la douleur ne retrouvera le bonheur évaporé avec l’amertume et les brides de regret. Car je me rappelle chaque jour. Toujours. Et je vois, impuissant, mes espoirs s’effondrent dangereusement dans l’abîme du silence où tombent tous les damnés de la terre. Qui pourrait me sauver et me donner goût à cette vie pâle, ignoble et sans attrait ? Personne. Je continue à croire que jamais je n’aurai la paix ici-bas. Jamais...

Seule, loin du bruit harassant de l’espèce humaine, je voulais pourtant recomposer les morceaux épars de ma vie, calmer la douleur qui agite mon cœur, et oublier. Je voulais me plonger dans le temps, noyer ce souvenir qui me hante. Mais comment oublier, petite voix, ces blessures encore béantes, ces humiliations encore vives, ces horreurs subies, cette tragédie vécue ? Et pourtant, petite voix, je n’ai jamais aspiré à une autre chose que l’amour…

*

En vérité, cela fait longtemps que je suis seule, mes enfants ont grandi et sont prêts à voler de leurs propres ailes. IL y a quelque temps, un de mes amis m’a aidé à m’inscrire sur un site de rencontres. Je n’y croyais pas, mais, Internet étant un nouveau mode de communication, pourquoi ne pas essayer. Je n’ai rien à perdre.

Me voici donc inscrite sous un pseudo, évidemment. Il faut rester discret sur ce genre de site. On ne sait jamais sur qui je pourrais tomber. Tu sais, petite voix, les hommes sont parfois très directs, ils se prennent souvent pour des chasseurs et je ne me considère pas comme une proie.

Et puis, un vendredi soir, pour une fois, je lis les messages publics. Je trouve un texte qui m’attire :

Sujet : Un coup de gueule à défaut des coups de coeur...

Message : Je fais le point après une opération de marketing intense. J’envoie 150 messages de 30 lignes, à des femmes dont le profil a attiré mon attention par une particularité ou une similitude avec le mien. Heureusement que j’ai le temps et surtout l’ADSL...

Je reçois 20 réponses positives et 10 réponses négatives dans la semaine. Ce seront d’ailleurs les seules, même après un mois. Après une semaine, il n’en reste plus que 6, les autres ayant effacé après deux ou trois échanges de messages, sans rien dire ni faire entendre.

Après deux semaines d’échanges constructifs, au moment où je convie la femme à se dévoiler et dépasser son anonymat, deux effacent toute trace d’elles, y compris leurs ID, sans rien dire.

Heureusement, qu’après 5 semaines, les quatre qui restent sont, ont l’air, vraiment chouettes.

Et vous vous plaignez que les hommes vous traitent de chieuses, de râleuses, de connasses et autres noms d’oiseau ? Et vous vous plaignez que vous vous faites traiter comme des moins que rien ? Ben dites donc, la naïveté de certaines n’a pas de limites. Il n’y a pourtant pas autant de faux profils sur ce site, pas autant de malotru(e) s qu’on voudrait nous le faire croire et pourtant, et pourtant, les faits sont là.

Ce site, c’est comme le monde qui nous entoure. Voyez la foule dans toutes les rues quand il fait beau. Vous y côtoierez le meilleur comme le pire, ni plus ni moins.

Encore pire : Une gentille madame qui se reconnaîtra, demande de l’aide pour dépanner son PC. Je me propose, en tout bien tout honneur, en lui demandant simplement de quoi ce PC est atteint. Et, hop, le message est effacé et un nouveau message public fait son apparition, dans le même style. Pour qui elle nous prend ? Pour des cons ? L’homme parfait ça n’existe pas, la femme parfaite non plus. Ne les cherchez pas, c’est un leurre. Si au moins la majorité des personnes de ce site avaient l’intelligence d’avoir un minimum de politesse, l’élémentaire. Ce n’est pourtant pas trop demandé. Mais peut-être que oui, c’est déjà trop demandé.

Bon, je replace le message que j’avais envoyé auparavant en 150 exemplaires avec les résultats que je connais. On ne sait jamais. Je suis bien dans ma solitude depuis deux ans, maintenant. Mais, il me manque la tendresse et la complicité de l’être féminin. Dis, une barbe se laisse pousser ou s’enlève selon les affinités. Je n’ai pas de problèmes avec cela, la mienne est toute douce, plus courte et bien taillée, mais je la rase demain si nous en avons l’envie l’un et l’autre. Ton profil m’intéresse et j’aimerais, souhaiterais, faire ta connaissance. Le profil étant très restrictif, je ne sais pas si nous avons des points communs ou pas, c’est aussi le plaisir de la découverte de l’autre. Je ne refuse rien à l’origine, même si mes choix sont très précis. Accepter l’autre et la respecter comme elle est, est une de mes priorités. Je suis pragmatique autant que rêveur. Je suis à la recherche d’une femme, une vraie, qui a déjà vécu, qui n’a plus à apprendre grand-chose de la vie mais apprécie la tendresse, les câlins, les discussions, le partage intégral, la complicité et, surtout, le respect de l’autre. Je précise que c’est vrai qu’on apprend à tout âge même si parfois les gens sont lourds. Pour le moment, je réalise un de mes rêves, j’ai pris quelques années sabbatiques pour écrire, écrire et encore écrire. Et j’en tire un plaisir énorme que j’aimerais partager (entre autre). Je ne désire nullement une relation avec une cuisinière, une call-girl, une Baby Sitter, une banquière, une maman, une garde malade, une infirmière, une grande ou petite soeur, une maîtresse etc. Je me suffis à moi tout seul et suis bien capable de m’assumer tout seul sans aucun problème depuis longtemps et à tous les niveaux... S’il te plaît, faisons connaissance, sans préjugés de l’avenir, juste comme copain-copine et puis, si le coeur s’en mêle, nous apprécierons tous les deux. Je suis comme toi, éclectique dans mes choix, pragmatique et rêveur, rationnel et inconditionnel des rêves, pratique et joueur, pas dogmatique et ouvert à tout ce que la vie peut nous offrir comme cadeau, et, crois-moi, elle en distribue beaucoup. Alors, un petit message, même disant non merci, fait toujours plaisir et reste une marque de respect et de politesse élémentaire. Je te souhaite de passer du bon temps avec toi-même ou avec nous deux si le coeur t’en dit. Petit bisou doux sur le front... Dalila je voudrais me permettre d’ajouter :

- Si tu ne te sens pas capable de sortir de ton anonymat derrière l’écran orange, oublie-moi,

- Si tu es un faux profil, je commence à avoir de l’expérience et je te citerai en public, crois- moi,

- Si tu ne comprends pas la réalité de ce message, n’essaie pas de comprendre, tu perds ton temps,

- Si tu ne te reconnais pas dans mes lignes, n’insiste pas, je ne perds plus mon temps avec ce genre de personne.

Bonne journée à tout le monde et, sans rancune pour celles qui se sont reconnues dans mon coup de gueule :-)

Djamel

Ce message m’a interpellée sur plusieurs points et le profil qu’il a mis sur le site aussi. C’est peut-être lui que je recherche. Je m’empresse de lui répondre, un message laconique, simple. J’attends sa réponse, sans l’attendre.

Je lui écris que j’aimerais chatter avec lui et que je lui transmets mes coordonnées de chat à la demande. Il me répond aussitôt en me donnant les siennes.

Le soir même nous chattons ensemble. Nous nous expliquons le sens de notre recherche et nous nous découvrons plein de points communs. Après deux heures de chat soutenu, je lui annonce que je travaille ce week-end et lui donne mon numéro de téléphone au boulot. Comme c’est pratiquement du travail de nuit, nous aurons le temps de papoter. Puis, j’aimerais entendre sa voix.

Sa voix… Je frémis encore. Quelle voix annonçant une grande sensualité ! Ferme et douce à la fois, jolie à l’écoute, apaisante, relaxante. S’il est comme il se décrit, je suis tombé sur le bon. Ne pas se mentir à soi-même et surtout, rester moi-même. Ainsi, nous pourrions commencer sur de bonnes bases, solides, en béton armé.

J’ai beau résister, me méfier, j’ai l’impression de tomber en amour. Mais sans me faire mal, rassure-toi ! Je reste méfiante, mais je pense qu’avec celui-là, j’ai un ticket.

Nous chattons plusieurs jours, il me téléphone, parfois trois heures durant, me lit ses nouvelles, me donne ses impressions. Il a l’air nature, naturel, simple et sa voix…

Il me contacte, je suis au boulot, j’ai la migraine. Sa voix me fait du bien, m’apaise, me permet de m’endormir. J’ai peut-être gagné la chance de le voir deux journées ou deux petites heures. Peu importe. Je le verrai. Il prend le bus mercredi prochain et me fixe rendez-vous sur à la gare routière de Kharouba.

J’ai faibli. Je ne peux pas lui résister et je n’en ai aucune envie non plus.

Il va arriver, que mettre pour le séduire ? Oui, un string parce que je vais le raccompagner chez lui et nous ferons l’amour, ça me semble évident. Nous sommes tellement proches l’un de l’autre. J’ai l’impression de le connaître depuis plus de dix ans et lui aussi et, pourtant, nous ne nous sommes jamais vus.

J’ai un chouette pantalon, des souliers bien cirés, un beau pull qui ne baille pas de partout. Un petit soutien sans bretelles, qui lui plaira certainement. Je sais qu’en le raccompagnant, il va me séduire au maximum et que je tomberai dans le piège.

Il me préparera un plat italien et comme il a l’air de cuisiner comme un chef, je ne vais pas faire un nez. J’ai quinze ans avec la maturité de mon âge, dans la quarantaine… Quoique, je reste une éternelle adolescente dans mon esprit.

Il m’envoie des mails sirupeux, me déclare sa flamme. Il en a du culot, nous ne nous connaissons même pas, sauf virtuellement. Oui, l’amour virtuel c’est quelque chose, le naturel, c’est encore différent. Nous n’en sommes qu’au virtuel.

Et puis, comment sont ses mains ? Ses yeux ? Sa moustache ? Son regard ? Sa politesse ? Le respect qu’il aura pour moi ?

Lors de notre dernière conversation téléphonique, qui a quand même duré plus de trois heures, il m’a proposé de nous faire une toile ensemble. Mais ce n’est pas vrai quand même. Il ne va pas me faire le coup de la salle obscure ? Pas à notre âge quoi ?

C’est pas croyable, et dire que j’ai accepté tout de suite. Maintenant, je suis à la gare, je l’attends. Il m’a envoyé un SMS pour me dire qu’il était dans le bus puis un autre pour m’annoncer que " plus que six minutes ".

Il va débarquer, le train vient de rentrer en gare. Mon cœur bat la chamade. Le sien aussi, je suppose. Le bus se gare à l’arrêt indiqué, les portes s’ouvrent. Où est-il ? Je ne le vois pas. Ah ! Il est là, il se dirige dans ma direction. Mon cœur va quitter ma poitrine tellement il bat vite. Mes jambes tremblent, je cache mes mains à l’intérieur de ma grande écharpe.

Il a l’air plus petit que je ne pensais. De beaux cheveux, une belle allure avec son sac de sport bleu marine. Sa veste noire tranchait avec le restant du quai. Il a le sourire aux lèvres, les yeux perçants. Moi, je souris aussi. J’ai envie de plonger dans ses bras, mais il m’attrape avant et me serre contre lui. Fortement. Dieu, quelle force il a. Il ne va pas me casser en deux ?

Il me regarde, ses yeux bleus brillent de bonheur, il a l’air heureux, je le suis. Il marche droit, comme un Seigneur, un noble, la tête haute. C’est vrai qu’il m’avait donné l’impression d’être noble de cœur. Il a la démarche ad hoc. Il tient son sac haut et nous parcourons la gare bras dessus, bras dessous, comme un couple qui s’aime. Sans se prendre la tête.

En prenant ma voiture, il me conduisit dans un endroit que je ne connaissais pas. Nous avons pris place à une table éloignée dans salon de thé branché loin des autres consommateurs. Pas très intime, mais un bon début.

Il commença à me faire la cour, il me séduisait déjà. J’étais sous son emprise, il était, avait l’air si merveilleux. Je pus observer ses mains à l’aise. De belles mains, elles doivent être douces et fermes à la fois. Nous nous comprenions si bien. Il avait toujours chaud et transpirait abondamment, moi j’avais froid ou du moins tout juste. J’avais commandé un jus de pêche abricot avec des glaçons, lui un thé glacé.

Notre discussion porta sur tout et rien, il me caressait le dos à travers mes deux pulls. Ses mains… Etaient chaudes et me donnaient des frissons. Puis, ses yeux, sa voix. J’étais sous l’emprise, comme une jeune adolescente qui découvre l’amour. Il me parlait de lui, me prenait sous le bras, déposait ma tête sur son épaule large et solide. Comme ça fait du bien d’être à ses côtés. J’ai tant rêvé de ce moment et le voici arrivé. Il m’écoute parler, avec tendresse, j’en ai des frissons qui me parcourent tout le corps. À un moment, il se lève pour aller aux toilettes. Ah ! Je vais pouvoir observer ses fesses. Il a un beau pantalon bleu marin qui lui va à ravir. Il moule bien son petit fessier prometteur de bonnes choses. Sa démarche est belle, le port altier. Un mec quoi, doux et tendre, mais un mâle quand même.

Puis, après avoir payé les consommations, le moment fut venu de rejoindre la salle de cinéma. Nous n’étions pas nombreux, peut-être une dizaine de personnes dans la salle. Nous avons choisi, enfin, lui a choisi, les places du milieu tout au-dessus, au dernier rang.

Se débarrasser de nos manteaux, s’asseoir, fermer les téléphones portables. Voilà, nous sommes prêts pour la séance. Je frémis déjà à ce qu’il va me faire pendant le film. Je ne pense pas qu’il ira vite en besogne, ce ne doit pas être un amateur de fast food. Déjà, au salon de thé, ses lèvres avaient déposé quelques bisous contre les miennes, mais sans appuyer, délicatement, furtivement. Ses yeux plongeaient dans les miens. Merveilleux lagon, répétait-il souvent en me fixant de son regard doux. Tes yeux sont un merveilleux lagon…

Le film commence, nous sommes main dans la main. Il est sage. Mais peut-être n’est-ce que reculer pour mieux avancer. Je suis à l’écoute de ses mouvements. Le film est en version originale anglaise et sous titré bilingue. C’est vrai qu’il parle anglais. Moi j’ai du boulot, suivre ses mouvements, lire le texte, regarder les images, suivre l’histoire sans me perdre.

Parfois il dépose sa tête sur mon épaule. Elle est lourde mais très agréable. Il me caresse souvent les cheveux, mes cheveux de soie comme il dit souvent. Il soupire souvent, de contentement. Il me lâche parfois de petits bisous dans le cou. J’en frissonne encore, il mordille aussi ma nuque, tendrement. Ses lèvres s’égarent parfois sur ma bouche, parfois un morceau de langue apparaît.

À un moment, il pose délicatement sa main sur mon sein gauche. Je ne souhaite pas qu’il le touche, pas maintenant, je dois encore mieux le connaître. De mon pouce, je retire sa main. Il l’enlève prestement, sans poser de question. Comme si mon geste était naturel pour lui. Quel respect ! Je pense que je ne vais pas m’ennuyer avec lui. Mon bas-ventre est en ébullition. Il y avait longtemps. Mon string est trempé. En plus, il le prend dans sa main. J’espère qu’il ne sentira pas mes frissons intérieurs. En tout cas il ne laisse rien paraître d’extérieur. À part de grands sourires qui me font fondre. Je suis fondue, allumée, scotchée à son corps, ses mains, ses yeux, sa voix.

Parfois il me glisse un commentaire dans le creux de l’oreille et en profite pour en mordiller le lobe et lâcher de petits bisous tout doux, ceux qui vous réveillent, vous font voyager dans le temps du rêve. Je suis en plein rêve. Est-ce possible qu’un homme comme cela existe réellement ? Je dois rêver. Si je ne sentais pas sa main baladeuse sur mon ventre, quel bonheur, je me poserais des questions. Mon string colle sur moi, je vais marcher comme un canard à force.

Le film se termine. En quittant la salle, voilà ma fille qui vient à notre rencontre. Elle n’aurait pas manqué de voir sa mère avec " son " homme, voir à quoi il ressemble. Sûr qu’elle me fera ses commentaires par après. Après tout, c’est mignon de sa part. Nous sortons, il commence à faire déjà noir, direction la voiture et après son appartement.

Cette route n’en finit pas, comme c’est long. Il me guide. Il a le sens de l’orientation, moi pas du tout. Sa main prend souvent la mienne. Il a l’air tellement attentionné avec moi. C’est le rêve intégral. Nous arrivons dans le parking de l’immeuble. En sortant de la voiture, je respire profondément. Mes mains tremblent légèrement. Nous y voici, c’est maintenant le test. Même si je sais à quoi je peux m’attendre, il m’avait prévenu qu’il ferait tout pour me séduire, j’ai tout de même une certaine appréhension.

Je me dis que c’est incroyable, je le connais si peu, seulement quelques jours de chat virtuel, d’autres petites heures au téléphone et je me retrouve chez lui après la salle obscure. Je suis pire qu’une adolescente, je me laisse guider. J’espère que l’ascenseur ne tombera pas en panne. Quelques marches, un couloir lugubre. Une porte brune, quelques gémissements derrière, le chien. J’espère qu’il m’acceptera sinon, la soirée sera foutue.

La porte se referme derrière moi. Nous y voici. L’appartement est superbe, finement éclairé, décoré avec goût, simplicité. C’est vraiment son reflet. Il arrive à me mettre à l’aise, me débarrasse de mon grand manteau noir et de mon écharpe, me prend dans ses bras, me présente la vue superbe qu’il a devant les yeux tous les jours. Sa voix est rassurante, sensible, émotionnée. Il me décrit les pièces, l’une après l’autre, comme si elles faisaient partie de son âme.

Ici, je suis dans son bureau et j’entends sa voix, douce : C’est ici que ça se passe, que j’écris, rêve, aime virtuellement. Je m’assois dans son fauteuil et je repense à sa nouvelle intitulée "Un train nommé Amour ". Il m’entoure de ses gros bras chauds et solides, m’embrasse dans le cou, ses lèvres s’égarent sur les miennes, sans insister. Quel baiser de feu, respectueux de l’autre, profond, simple, sans fioriture.

Il me présente la chambre, grand lit, placards, je remarque que les oreillers sont déjà placés l’un contre l’autre. C’est probablement ici que je passerai à la casserole tantôt. Et ce sera lui le cuisiner. Je n’appréhende pas ce moment, plus dirais-je. Je me sens en confiance avec lui. Nous nous serrons fortement l’un contre l’autre. Il m’entraîne dans la cuisine. Caverne d’Ali Baba, casseroles en cuivre, couteaux rangés, des huiles et vinaigres, des épices. Il me fait un exposé sur les différentes sortes de sels avec lesquelles il travaille.

C’est véritablement un expert. Dehors il pleut, il fait noir. Il faut encore sortir le chien. S’il avait la bonne idée de le faire tout seul, je n’ai plus aucune envie de sortir. À moins que le chien ne prenne l’air plus tard. Cela contrarierait mes projets. Mais, comme s’il avait senti mes pensées, il propose de promener la bête pendant qu’il me confie la casserole à réchauffer. Et pas question de le brûler hein ? Oups, pas intérêt à gaffer ici.

Je suis seule chez lui, je fais le tour du salon et de la cuisine pour mieux m’imprégner de lui, de sa vie. Il a un très beau meuble. La table est mise, chandelles, couverts en vermeil, serviettes pliées. Quel bel intérieur, les meubles sont fraîchement cirés, il fait super propre partout. Au moins, il sait nettoyer, c’est un gros point en plus, j’ai horreur de nettoyer.

J’entends la porte qui s’ouvre. Déjà ? Vite, surveiller la casserole. Ce qui mijote sent tellement bon cela à l’air délicieux, j’en ai déjà l’eau à la bouche. J’ai retiré mes chaussures, et me suis installé à l’aise dans le divan. Je regarde ses mains, sa guitare. Ah ! Oui, sa guitare, il faudra qu’il m’en joue un peu, depuis le temps que j’attends.

Il se place à mes côtés dans le divan. Tiens, il a aussi ôté ses chaussures, tant mieux, nous sommes à deux à nous mettre à l’aise. Il me prend dans ses bras, m’embrasse doucement et masse mon ventre. Un de mes points sensibles, il a déjà trouvé et en profite. Il n’est pas le seul à en profiter, c’est qu’il me fait de l’effet son petit massage.

D’un coup, il se lève et bondit dans la cuisine. Il lâche une bordée de noms d’oiseaux, le fond est brûlé. Hum ! Je ne peux pas rire et dois me retenir. Lui, par contre, il ne rit pas. J’ose un petit " moi j’aime bien quand ça a un petit goût de brûlé " ! La réponse fuse tout aussi vite et claque sèchement : " Moi pas " ! Me voici fixée. Une chance que ce n’est pas à moi que c’est arrivé. Il n’a pas l’air content. J’espère que la soirée ne sera pas foutue à cause de cela. Je ne sais pas, je ne le connais que si peu.

Mais il me rassure et nous passons à table. Délicieux, même avec le petit goût dans le fond. Nous parlons de tout et de rien, il a l’air si calme, si bien, si doux.

Après le souper, il prend sa guitare et ses doigts pianotent sur les cordes, c’est l’échauffement. Souvent, il ferme les yeux, j’ai l’impression qu’il vit dans sa musique, que son instrument fait corps avec lui. Quelle est belle union. Cet homme a l’air entier et vrai. Tout ce qu’il m’a dit jusqu’à présent se vérifie. C’est bien de lui qu’il s’agit. Comment peut-il être aussi doux et tendre ? Il joue bien, chante même. Je suis en admiration devant lui, mais je n’ose pas me l’avouer. La soirée sera belle, j’en suis certaine à présent.

Oui, vivre le moment présent, intensément, c’est le secret du bonheur. C’est vrai. Le moment présent. Il ne devrait jamais s’arrêter le présent. Il me sort de mes réflexions et prend place à mes côtés. Il est déjà tard dans la soirée, la nuit est prometteuse. Il m’embrasse plus profondément et toujours aussi tendrement. Oh ! Ses mains, elles sont douces, fermes, caressantes. J’ai l’impression de vivre un rêve, mais, à mes sensations, je sens bien que le rêve est une réalité présente.

J’entame, moi aussi, les manœuvres et risque une petite main sur son torse velu. Comme sa peau est douce, il a l’air sensible à mes caresses. Mais quelle sensualité il dégage de lui, c’est simplement génial. Nous continuons à nous caresser mutuellement. Ses mains se faufilent partout. Il découvre mes seins, il est vraiment très adroit et respectueux. Il les appelle " ses petites pommes d’amour ". J’en ai presque la larme à l’œil, cette tendresse me donne des frissons partout.

Il continue ainsi à explorer, à son aise, lentement mais sûrement et il connaît les zones érogènes de mon petit corps. Comme s’il me faisait l’amour depuis des années. C’est incroyable. Il connaît pas mal de choses de la femme, je sens ça. Il défait mon pantalon, délicatement et me voici en string, toute offerte à lui, mon homme, mon mâle, mon mec à moi.

Il ne me raconte pas d’histoires, mon mec à moi, il me fait me découvrir de nouvelles zones érogènes. Et dire que je croyais connaître mon corps. Ses mains voyagent maintenant partout, il dégrafe mon soutien-gorge avec dextérité et douceur, enveloppe mes petites pommes d’amour dans ses mains, les caresses partout, délicatement, fermement aussi. Sa langue s’égare sur mon corps, partout, c’est tout qui y passe. C’est une revue générale. Il s’attarde parfois à quelques endroits stratégiques, puis, continue son exploration.

Je deviens folle sous ses caresses, la tête me tourne. À un moment, après avoir fait le tour d’une jambe, massé un mollet, il prend mes orteils dans sa bouche, les suce avidement et les mordille, l’un après l’autre. Je tourne chèvre et je lâche : " Mais tu es un expert, toi ". Il se contente d’arborer un large sourire et me dit, tout naturellement, que lorsqu’on aime, tout est bon à prendre et à faire et qu’il a la ferme intention de me faire connaître la femme que je suis. Dieu que c’est bon. Je n’ai plus de notion du temps, je suis dans l’action et n’ai pas envie de l’arrêter, de la freiner. Je le laisse faire, sens sa langue partout. Elle est souple et douce et fouine, fouine partout, rien ne lui échappe.

Nous profitons tous les deux de ce moment de bonheur partagé. Cela fait maintenant près de trois heures que nous faisons l’amour, en prenant le temps de fumer, de boire un verre de vin, de parler, de nous sourire, de nous aimer. La fatigue commence à se faire sentir, le matin va bientôt pointer. Le lit est grand ouvert. Je prends une douche rapide tandis qu’il me met un t-shirt à chauffer sur le radiateur. Mais quelle béatitude. Il pense même à ça. Je n’en reviens pas. Combien de temps, cet instant de bonheur peut-il durer ? Est-ce passager ? Est-ce pour mieux me séduire ? Et dire que je lui avais dit qu’il me fallait un certain temps pour me lâcher entièrement.

Avec lui, je n’ai même pas eu le temps de réfléchir, de me retenir, son corps entier est en moi, je n’ai pas d’autre choix que de me laisser aller. Et, c’est si bon dans ses bras. Il me propose, en plus, la cerise sur le gâteau, de chauffer mon lit pendant que je me change. C’est pas vrai un type pareil, ça n’existe que dans les romans à l’eau de rose. Jusqu’où ira-t-il ainsi ? Jusqu’où m’emmènera-t-il ? En tout cas, je le suis de près, je ne tiens pas à perdre un mec comme ça. Et, en plus, il n’a pas l’air con du tout.

Je me glisse sous la couette, tout contre lui. Je m’aperçois qu’il dort la fenêtre ouverte mais m’avoue qu’il est un radiateur ambulant. Pourvu qu’il dise vrai, je caille dans ce grand lit. Et la chambre est froide. Brrrrrr !!!! Il est là, tout contre moi, je me blottis contre lui et sa chaleur permanente me fait du bien. Je voudrais ne plus l’aimer que je n’aie vraiment pas le choix. Je l’ai entièrement dans la peau. Comment est-ce possible ? Si rapidement ? La vie est parfois étrange.

Je sens que le sommeil me gagne, il est près de quatre heures du matin. Je pars dans ses bras chauds et attentionnés. Mes quinquets se ferment tous seuls. Je m’endors en toute confiance, avec lui, en lui. Je l’aime.

Le lendemain matin, lorsque je suis rentrée à la maison, un mail de sa part a fini par m’achever :

Depuis que ma peau exhale ton parfum d’amour,

Depuis que je te sente contre moi,

Depuis que je respire les effluves de ton corps,

Depuis que j’éprouve le plaisir que tu m’as donné,

Depuis que tu m’as offert le plaisir de te connaître,

Depuis ma réponse à ton message,

Depuis ma lecture de mes Nouvelles au téléphone,

Depuis que j’éprouve le plaisir de t’aimer,

Le plaisir de te voir nue,

Le plaisir que tu partages ma table,

Le plaisir de se faire réveiller par une attaque de bisous,

Le plaisir de vivre à tes côtés, ces quelques heures,

Le plaisir de partager avec toi mon intimité, notre intimité, ton intimité,

Le plaisir de découvrir un corps que mes mains pourront parcourir jusqu’à plus soif,

Le plaisir de savoir ne jamais pouvoir étancher cette soif de te caresser,

Le plaisir de mélanger mon odeur à la tienne, ton odeur à la mienne,

Le plaisir de sentir ta peau contre la mienne, ma peau contre la tienne,

Le plaisir de sentir tes caresses douces et délicates,

Le plaisir de ce mélange inattendu et Ô combien merveilleux,

Le plaisir de reprendre ses points de repère après cette nuit magique,

Le plaisir de se retrouver soi, heureux de vivre, chantant la vie.

Depuis que je sais que là-bas, une femme, un amour de femme, pense à moi avec tendresse,

Depuis tout ce temps là, je ne cesse de t’aimer encore et de penser à toi d’avantage,

Grâce à toi, j’ai compris que le simple plaisir de pouvoir être moi-même, entier devant l’autre, sans me cacher, sans me mentir, sans me prendre la tête, est l’expression même du bonheur. Merci pour cette nuit magique ma gazelle.

Il m’a achevé, je suis à lui, inexorablement.

*

Malheureusement, le bonheur ne dure pas petite voix. Oui, il ne dure jamais. Une semaine après cet inoubliable épisode d’amour, le 11 décembre survint. Oui, le 11 Décembre. Je n’oublierais jamais cette date. Je n’oublierais jamais ce jour où je perdis à la fois mon amour, l’espoir et la foi en la vie. Djamel se trouvait à Ben Aknoun. L’un de ces meilleurs amis travaillait à la résidence des juges. Quant à moi, je dormais chez moi. Je ressassais encore dans mon sommeil cette douce aventure amoureuse dont dieu m’a à peine esquissé le prologue. Et soudain, une très forte explosion me secoua et me réveilla brutalement. Oui, petite voix, Elle était vraiment violente l’explosion. Etait-ce un séisme ? Non, j’en doutais fort et la suite des évènements m’avait donné raison. Bouleversée, je sortis jeter un coup d’œil à travers le balcon. Là, c’était toute la rue que j’aperçus en train de crier : « Attentat kamikaze à la cour suprême… »

Une vieille femme s’est évanouie par terre, des jeunes couraient dans tous les sens, les gyrophares des ambulances et des voitures de polices enveloppaient toute Alger par une symphonie macabre. Quant à moi, petite voix, j’étais sous le choc. Immobilisée pendant un moment, je ne sus quoi faire. Le site visé était vraiment fréquenté, des jeunes, des vieux, des enfants étudiaient dans une école à côté, et… Zut, Djamel, il devait passer par là pour voir son ami….

Petite voix, à l’évocation de ce souvenir, c’est tout mon corps qui frémit encore. Mon cœur risque bien de lâcher à tout moment. J’avais essayé de le joindre par téléphone, mais c’était en vain. Il n’y avait aucune couverture de réseau. Je sortis alors pour prendre la voiture en ayant le projet de me déplacer sur place. Ce n’était même pas la peine d’essayer. Toute Alger fut bloquée. Et les services de sécurité dressaient des barrages. Les bruits faisaient courir qu’un autre attentat kamikaze allait se préparer dans la même journée.

Je pris des lors la résolution d’aller à pied sur les lieux de l’attentat avec l’espoir de ne pas trouver le cadavre de mon amoureux gisant sur le sol. Je marchai pendant pratiquement une heure. Vers mon amour, je marchai. Vers mon destin, je marchai. Et en marchant, dieu seul sait, combien de larmes j’avais versé. Les palpitations dont mon cœur faisait l’objet étaient pareilles aux vagues de la mer agitée. Au fur à mesure que je m’approchais des lieux de l’attentat, mes yeux ne brillaient qu’à travers leurs larmes. Un terrible pressentiment m’étranglait à la gorge. Comme si une partie de moi-même était à l’agonie. Et puis me voila enfin sur place. Une foule immense se débattait avec les agents de l’ordre qui maintenaient un cordon de sécurité. Des photos de personnes et des affiches sur lesquelles on pouvait lire des noms hâtivement griffonnés étaient brandies de partout. Les gémissements des vieilles femmes entonnant les noms de leurs fils ou filles supposés présents sur les lieux avant l’attentat kamikaze plongeaient l’atmosphère dans un chant funéraire semblable au cantique de la mort.

J’avais tenté avec succès de me fondre dans cette foule. Mais ma percée fut rapidement interrompue par des policiers décidés plus que jamais à disperser tout ce monde qui traînait derrière lui le désespoir et l’angoisse de perdre un être cher.

- Vous n’avez rien à faire ici. Circulez, rentrez chez-vous. Laissez les secours et la police faire leur boulot…

- Je cherche mon fiancé…SVP, il est tout ce qu’il me reste…

- Il n’y a plus personne, allez voir à l’hôpital, on a tout évacué…. Il ne reste que les cendres et la désolation…

- En êtes-vous sur monsieur…

- Vous nous faites perdre un temps précieux, allez vérifier dans les hôpitaux… Tout le monde croit avoir perdu un proche aujourd’hui… Allez voir dans les hôpitaux, c’est tout ce que je peux vous dire…

J’avais hâté le pas. Et une vingtaine de minutes après, je me trouvais dans l’hôpital le plus proche. C’est là que la plupart des victimes furent acheminés… Petite voix, pénétrer dans cet hôpital par de telles circonstances fut la plus terrible épreuve de ma vie. D’emblée, à l’entrée, plusieurs listes affichant les noms des personnes décédées, blessées, évacuées, paraient tout un mur. Alger avait des ce jour-ci son mur des lamentations. Les gens ne purent contenir leur crise de convulsion à la lecture des noms et prénoms de leurs proches. Quant à moi, je n’avais guère le courage de poser mes yeux sur ces listes… Si Djamel y figurait, oui si Djamel y figurait, ô petite voix pardonne moi mon émotion, je ne pourrais certainement pas tenir le coup… Et puis, prenant mon courage à deux mains, je me faufilai parmi une foule si dense que je pouvais à peine me frayer une voie. Et là, petite voix, oui là, à ce moment c’est toute la terre que je sentis se diviser sous mes pieds… Djamel Louni, c’était son nom complet, Djamel Louni, décédé… Cette phrase que j’aperçus me fut fatale… Mon amour, mon ange, mon homme, est donc mort… En un clin d’oeil, je m’évanoui et tombai par terre… Quelques heures plus tard, je me réveille sur un lit d’hôpital… Ma fille était à mon chevet, en croisant mon regard, elle ne put retenir ses larmes…. « Mes condoléances maman », me lança-t-elle… En contemplant le plafond, j’entrevis sa figure angélique, son sourire charmeur et ses lèvres qui me jetèrent un dernier bisou… Ô petite voix, si tu savais… Mais que dis-je ?! De ces choses-là, tu ne sauras jamais rien petite voix…