Ma vie de fumeur (ou comment je me suis disputé...)

Ma vie de fumeur (ou comment je me suis disputé...)

Alors que le prix du tabac va augmenter de 20% en moyenne le 20 octobre avant une nouvelle hausse au mois de Janvier, je me pose la question existentielle que n’importe quel accro s’est un jour posé : et si demain, j’arrêtais ?

60 euros par mois, c’est un ami, l’autre nuit, qui m’a mis dans la confidence, 60 euros par mois et ce, pendant 90 jours (échelle théorique, cela va de soi), pour quitter les désagréments d’une dépense aussi dispendieuse que nuisible à la santé :
"Finalement, ce dont j’ai besoin, c’est de la nicotine. J’ai fumé pendant 10 ans et aujourd’hui, je trouve le goût de la cigarette dégueulasse".
"Mais -se ravise-t-il, alors que j’allume mon énième clope de la soirée- ça me manque quand même"
Je lui réponds que je ne comprends pas très bien, si désormais, il ne peut plus supporter le parfum d’une malboro light ou d’une benson dorée, pourquoi cette désagréable sensation de nervosité quand le matin se fait jour ou à la fin d’un dîner ?
"L’habitude -me confesse-t-il- de tenir une cigarette dans les mains, comme un langage du corps devenu avec le temps, mécanique et machinal".

Cela fait maintenant 3 semaines qu’il a mis fin à sa dose quotidienne (entre 1 et 2 paquets par jour). Un peu comme moi, en fait. Sauf que moi, je continue. J’ai bien tenté de stopper l’engrenage par ma seule volonté, le pari n’a justement pas tenu plus de... 3 semaines.
Lui, plus malin ou du moins, plus sage, en bon addict qu’il était, a décidé que son obsession méritait d’être traitée par l’intermédiaire médicamenteux.
Résultat, le patch, à croire que les fumeurs sont de vrais junkies.

Alors, payer plus ou fumer moins ?
A vrai dire, selon la personne concernée, on trouve de multiples profils. Résumons schématiquement :

- Le fumeur qui n’avale pas la fumée, qui, des années après avoir commencé, crapote comme au premier jour, du temps où il fallait impressionner les copains, où fumer, c’était furieusement tendance, où tenir sa cigarette de telle ou telle manière donnait une étrange ressemblance avec tel personnage de série télévisée ou tel privé du grand écran, où on échangeait nos premiers baisers mouillés à l’haleine chargée.
Celui-ci n’a pas de sincère addiction à la nicotine. D’ailleurs, sa consommation n’est que passagère. Avec ou sans clope au bec, ça ne fait pas grande différence. Pourtant, pourquoi arrêterait-il ? Dans le cas présent, tabac rime avec plaisir.

- Deuxième catégorie, le fumeur irrégulier. Celui-là avale, sans états d’âme mais sa consommation se formalise de manière un peu bizarre. Dans un environnement propice à son bien-être, lors de réunions nocturnes largement arrosées, il peut frénétiquement enchaîner sèche sur sèche sans que le lendemain, il ne ressente le besoin d’en allumer une ou d’acheter son paquet, comme un geste (nous le disions auparavant) machinal. Il fait figure d’extra-terrestre pour le dernier tiers que nous évoquons ci-dessous. il bénéficie d’un avantage certain, si l’envie lui prenait de ne plus polluer ses poumons par cet usage pervers ou moins complet, s’il voulait pousser le frein à cette consommation intempestive, il n’aurait, a priori, pas de franches difficultés.

- Enfin, le fumeur régulier, le coupable dans la salle, ce gêneur professionnel qui transforme le moindre restaurant en fumerie d’opium. Lui, c’était lui. Lui, c’est toujours moi. Le matin, le soir, devant son écran, dans un troquet l’après-midi, partout, on le retrouve, boîte d’allumettes ou briquet dans sa poche, paquet plein au fond de sa sacoche qui toutes les 1/2 heure (parfois moins) obéit au même rituel. D’abord, prendre le paquet dans sa main. Ensuite, en sortir le précieux sésame. Etape provisoire et gravement pathologique, humecter l’odeur du tabac encore froid. Puis, porter la cigarette à sa bouche, l’allumer et ouf, gagner suffisamment de sérénité pour terminer cet article.

En somme, le phénomène d’addiction est tellement fort que l’on doute de sa capacité à prendre la décision qu’il faudrait : "demain, j’arrête !". Dieu sait que la charge financière de cette irrépressible lubie, pèse sur ses revenus mensuels mais le budget est réservé. Propriété privée, défense d’entrer.
Certes, les contre-exemples existent, il serait de bon ton d’affirmer qu’ils ne font que confirmer la règle, comme un placebo réconfortant. N’empêche, force est de constater, généralement, sa maladive dépendance à cette ridicule tige de quelques centimètres.
Si la seule force de sa volonté ne suffit donc pas, le nécessaire appel d’une aide extérieure devient primordial et là, bien sûr, se multiplient les méthodes. Par pure commodité, nous éviterons de les répertorier pour constater que le patch me paraît la plus aisée à défaut d’être pécuniairement la plus avantageuse.

Vous aurez compris, mon désir de mettre en berne mon douloureux rapport à la nicotine, ne serait-ce que pour de basses raisons matérialistes (investir en de multiples frivolités ce que je consacre aux cendres qui rougeoient dans mon cendrier), se situe pile-poil au moment où je vous parle, j’ai juste à franchir le pas. Attendez, je fais le rapide calcul :
- 60 x 3 = 180 euros (soit environ 1200 francs pour les usagers maladroits de la nouvelle monnaie).
- Cigarettes : 120 x 12 = 1440 euros (je sors mon convertisseur et j’obtiens environ 9500 francs par an).

Remarquable économie qui me permettrait de ne pas finir essoufflé une fois atteint le dernier étage (le 6ème sans ascenseur) de mon immeuble pour rejoindre un studio où les murs n’auraient plus cette odeur de tabac froid encore mal dissipée.

C’est sûr, demain, je me patche ! Du moins, l’ombre d’un instant, j’ai la foi...
A moins de tomber follement amoureux d’une non-fumeuse intégriste qui saurait, tout en délicatesse, me dévêtir de ce mauvais penchant.