L’amère...défaite

L'amère...défaite

Les années Tony Blair de Peter Kominsky est avant tout le constat d’une désillusion. A travers le parcours de quatres militants travallistes, le réalisateur décrit d’abord l’ascension du New Labour au sein des organes du parti pour finalement arriver au pouvoir en mai 1997, après une campagne féroce contre les tories. Ensuite, le téléfilm s’attache à décrire le temps du pouvoir, mélange cruel de renoncement et de lourds reniements, fondé sur la phobie de rejoindre à nouveau les bancs de l’opposition.

A ce titre, ces reniements que nous évoquions, commencent bien avant 1997 et pour arriver au 10, Downing Street, l’équipe de Tony Blair n’a pas hésité à laminer le "Old Labour" en usitant de méthodes pour le moins agressives (stratégie de ringardisation de la vieille garde, mise en cause de ses leaders historiques, etc.) et à livrer en pâture à la presse à scandales, les turpitudes privées de députés conservateurs aux accents puritains.
Cependant, le plus intéressant n’est pas là mais comment très vite, les communicants ont eu la main mise sur le New Labour, ont élaboré sa stratégie afin de séduire l’électorat de centre-droit, en se départissant des bases idéologiques de la gauche, ce fameux revirement à la notion d’un pseudo-réalisme, supposé devenir une porte ouverte vers la modernité.

En fait de modernité, le New Labour a minutieusement déconstruit son étiquette politique pour se convertir à une conception libérale de l’économie, en oubliant sur la route les aspirations sociales des classes les moins favorisées. Ainsi, furent mis de côté les axes programmatiques censés tirer un trait sur le passé tchatchérien du pays. En lieu et place, tout un tas de mesures (suppression ou diminution d’un certain nombre d’allocations, politique sécuritaire faisant la part belle à la répression, continuation de la privatisation des services publics, universités devenant payantes, etc.) furent en totale contradiction avec les engagements promis par Tony Blair durant sa campagne pour accéder au poste de premier ministre. La pilule est d’autant plus amère qu’elle s’accompagna pour les députés ne suivant pas la discipline très stricte du 10, Downing Street, de menaces plus ou moins voilées s’ils n’allaient pas dans le sens "réformiste" imposé par ce gouvernement. Parallèlement, l’affaire Kelly ne fut qu’une séquelle de trop dans cette machine si rigoureusement huilée.

Ce qui importe, c’est l’image. A partir de ce constat, se substitue une logique dont la chose politique, au sens noble du terme, finit forcément perdante.
C’est en ce sens que la leçon est la plus douloureuse pour l’homme de gauche qui voit ses espoirs salement trahis au nom d’une troisième voie au sein de laquelle il n’est qu’un pion passif, voyant passer un train qui déraille et qui porte, hélas, en lui les germes d’un relatif succès.
Il suffit pour cela d’analyser la réaction de la rue londonienne suite au premier triomphe électoral de Tony Blair où, croyait-elle, les lendemains qui chantent, étaient possibles, cédant même à la naïveté d’un idéalisme révolutionnaire et l’atonie inquiétante qui émergea de la concrétisation de son deuxième mandat.

Le premier ministre est aidé dans son parcours par une opposition devenue faiblarde. Déjà, avait-on senti les prémices de cette décomposition avec l’ère Major, dernier tory en date au 10, Downing Street mais le manque de charisme de William Hague et les relents populo-poujadistes de Ian Ducan-Smith ont condamné les conservateurs anglais à fréquenter pour longtemps les bancs de l’opposition.
Quant aux libéraux-démocrates, considérés aujourd’hui comme plus à gauche que le New Labour, nonobstant le fait que leur base électorale est aussi minoritaire que fragile, ils sont embourbés dans un paradoxe gênant : comment se définir par un discours de centre-gauche tout en prenant pied sur des électeurs de centre-droit ?

En somme, malgré les errements du gouvernement actuel, le New Labour remplit encore aujourd’hui, tout l’espace nécessaire afin de rempiler lors des prochaines législatives.
Notons d’ailleurs, à travers cette brève réflexion, que cela montre d’un autre oeil le courage de Blair sur le dossier irakien. Quand on a, à ce point, les coudées franches, ce ne sont pas les coups de boutoir de l’opinion publique qui détermineront son renvoi vers une sagesse enfin revenue ("a new wisdom for a new century", slogan laconique qui ne manquerait pas de piquer au vif ce locataire bien arrogant) et si l’étape est déplaisante, quelques têtes tombant au passage, les scories de cette tempête se confrontent au manque patent de crédibilité politique de ses adversaires et ce, conclusion immédiate, au grand bénéfice des dirigeants en place.
Reste que la gauche anglaise se trouve vidée de tous ses dogmes et le téléfilm de Kominsky souffre, à ce titre, d’un défaut qui résonne comme un vent de pessimisme, il n’offre aucune perspective, aucune solution à cette démission face à une mondialisation aux excès indéniables.

Malheureusement, la contagion s’étend au-delà du royaume de sa très Gracieuse Majesté.
Là où au sein de l’Union européenne, la gauche continue à gouverner.
Si nous mettons en marge l’exemple de quelques pays scandinaves, elle est obligée, par pur opportunisme mais aussi par crise identitaire, à subir plus qu’à proposer. En Allemagne, notamment, le chancelier Schröder fait passer un plan social et économique austère que la droite française n’oserait même pas esquisser, de peur d’être martyrisée par les organes corporatistes très vivaces au sein de notre pays.
Pire, dans l’opposition, soit elle se fait mordre par les syndicats (comme en Italie), soit elle est pour l’instant incapable de fonder un projet pour l’avenir (comme le parti socialiste français et ses alliés dissipés) qui éviterait de trahir ses fondements tout en s’inscrivant dans un mouvement de globalisation qu’elle doit s’efforcer de contenir et d’utiliser, au lieu d’en être la victime plus ou moins consentante.
Souhaitons qu’elle (re)trouve rapidement cette capacité-là pour reprendre les rênes d’une Europe à la tonalité sociale solidement affirmée.