Décomposition de l’éclair en brindilles

Décomposition de l'éclair en brindilles

Subitement, la poésie semble s’emballer pour parvenir à toucher l’indicible dans un concert d’infinies nuances. Et, comme pour mieux stigmatiser cette musique du verbe, une peintre est invitée à imprimer le sacré dans la majesté des couleurs.

Le chemin est long que celui du poète : puiser dans les assises du monde pour en tirer matériau suffisamment ténu pour subir l’affront du tailleur, dessiner l’écheveau qui reliera les sentiments contre vents et marées, inventer enfin le chaînon manquant pour que la métamorphose s’opère ; et tout cela en parcourant le monde avec des yeux d’aveugle car les sens aux aguets ne suffisent plus pour se dépêtrer de la gangue libérale … Il faut un don, une abstraction, un phénomène en quelque sorte, pour lire entre les lignes cette infime source de vie qui ne veut pas disparaître au profit du sens commun, et nous la rapporter dans son écrin de papier. Le poète seul prévient des maux à venir, sonde l’espace des possibles pour témoigner d’autres horizons masqués par les courbes des analystes, et nous offrir un peu d’espoir …

Brisant le mur du matérialisme ancré dans nos vies, Salah Stétié invite la sérénité qui nous manque à venir fleurir notre quotidien par le biais de ses vers ici composés en miroir des peintures de Colette Ottmann, à moins que ce ne soit l’inverse, tant on ne peut les dissocier dans cette ombre portée depuis l’origine des origines …
Vers en prose, prosodie poétique enluminée dans un rapport avec l’espace qui ferait penser à un journal, à un récit ; mais il n’en est rien : nous sommes dans l’épur, dans l’essentiel ici-bas, calme banquise que ce papier vernis qui s’embrase des émois d’un homme revenu des enfers. Oui, l’enfer ce sont les autres, mais c’est aussi le paradis inversé dans l’ombre du tain à travers lequel, finalement, nous tendons tous à espérer y apercevoir une once de lumière divine. Dieu pour le nommer, même si l’on sait bien qu’il n’en est rien, mais Dieu pour nous sauver de nous-mêmes dans le typhon de nos espérances inabouties, Dieu alors convié à arbitrer les saveurs terrestres quoiqu’on aimerait en subir tous les outrages d’une overdose …

En vingt tableaux, l’autopsie des émois du corps et de l’âme permet de farfouiller vers les brumes du cœur, ce grand timide qui conduit l’homme à n’être qu’un enfant, alors que l’amour quémande du rouge pour empourprer le rose de la peau déflorée, cette algue de rien, cette algue de femme qui fait que, si les hommes rêvent de bleu, c’est bien le rouge qui les obsède … Carnivores dans l’anthropophagie des sens ils aiment les corps fermes et la douceur des interdits comme l’on déguste en cachette une friandise, ces hommes-là doivent-ils être blâmés de tant de convoitise dans le péché de chair ?

Ballade à travers la roseraie de ses envies, ce livre nous permet de mieux appréhender l’univers onirique de la poésie de Salah Stétié en ces lieux où la Divinité domine. Mais une roseraie peut aussi se voir comme la vallée de la mort. En la traversant, les parfums viendront vous assaillir : cristaux coupants ; et le sang se mélangera au sang … Une rose en épines n’est qu’un exercice de la beauté que l’Absolu impose pour mettre en échec l’illusion du possible, de la réussite, d’un bonheur virtuel alors que la plénitude n’est pas quantifiable. Son, musique et rythmique iront droit au cœur du lecteur, plus loin, plus fort qu’une rose, blessure de lune que l’éclipse révélera dans la splendeur du corps, réceptacle de tout amour …
Et sans amour, point d’avenir.

PS -

- Lire des extraits

- Visualiser et/ou télécharger trois planches du livre avec les peintures de Colette Ottmann

Salah Stétie, Décomposition de l’éclair en brindilles, avec des peintures de Colette Ottmann, Les Petites Vagues éditions, décembre 2007, 30 p. – 19,00 €