PUTAINS DE PAUVRES, par Maurice Gouiran, aux éditions Jigal

PUTAINS DE PAUVRES, par Maurice Gouiran, aux éditions Jigal

Il rentre tranquillement tous les soirs au Rove, où la famille Gouiran élève depuis Colbert cette race endémique de chèvres, rustiques et biscornues, qui transforment l’herbe des collines en une gourmandise unique, notre brousse la meilleure du monde ! Maurice, lui, n’est pas dans le fromage mais dans la littérature, nourriture de l’esprit, et en est à son quatorzième roman des aventures de Clovis Narigou, ermite et justicier qui est certainement son double de fiction. L’auteur de Sous les pavés la rage, de livre en livre garde intact ce potentiel de révolte et d’humanisme qui est la marque de ses polars. Avec Putains de pauvres, nous pénétrons au cœur d’une ville malade, celle qu’il connaît le mieux : Marseille !

Marseille où les quartiers les plus pauvres perdurent en centre-ville envers et contre certains, particularité qui contrarie la spéculation immobilière et le choix d’un renouveau économique élitiste. Avec Clovis Narigou, nous prenons le temps de découvrir la situation alors faite aux plus démunis, passagers clandestins des foyers d’hébergements délabrés, minots errant comme des chiens dans les rues, lorsque tout se passe comme si cette précarité n’était pas suffisante : une terrible épidémie de grippe s’attaque aux plus faibles, modernes misérables soudain décimés, et l’incurie des pouvoirs publics mise en œuvre dans le roman n’est pas sans nous rappeler la canicule de 2003… Cette nouvelle peste pourrait bien être l’aubaine tant attendue par quelques uns, avec leurs idées de luxe et de grandeur, pressés de passer la ville au Karcher ! Clovis Narigou a pourtant du mal à croire cette bougresse dépenaillée qu’il reconnaît à peine, ravagée avant l’âge et qui fut pourtant son amour de jeunesse, devenue SDF, pauvre chose déchue et parano qui essaie d’attirer son attention sur ce qu’elle va jusqu’à soupçonner d’être un complot…

Mais la rumeur enfle, malgré les démentis des politiciens de tous bords, Bélléphoron Espingole - premier magistrat de la ville - en tête ! Alors quand Clovis se décide enfin à enquêter, n’est-il pas trop tard ?

Avec un style efficace et un naturalisme élégant, Gouiran appuie sa démonstration sans pathos excessif, comptant davantage sur la réflexion du lecteur, qu’il a toujours semblé considérer comme doté d’intelligence. Ce qui en fait un auteur particulièrement attachant, dont la production régulière commence à faire œuvre. Ce qui va de pair avec un début de reconnaissance nationale qu’il mérite largement, lui qui démonte les travers de nos sociétés et pose des problématiques qui dépassent les frontières du département, tout en ne reniant pas un certain folklore bien de chez nous et qui participe sans complexe du charme de sa prose !

Article publié en partenariat avec le bimensuel Marseille La Cité