THEATRE : TEATRO MALANDRO ET OMAR PORRAS

THEATRE : TEATRO MALANDRO ET OMAR PORRAS

En deux décennies, Omar Porras, metteur en scène suisse d’origine
colombienne, a su imposer un style « baroque » : sensuel, onirique,
délicieusement naïf… A la tête de sa compagnie du Teatro Malandro,
créée en 1990, il ne cesse de nous étonner. Et ses récents « Pedro et
le Commandeur » (Lope de Vega) et « Maître Puntila et son valet Matti »
(Brecht) confirment la vivacité de son art. Un superbe ouvrage « 
TEATRO MALANDRO ET OMAR PORRAS » offre une rétrospective inédite de
l’univers théâtral de la compagnie et de son fondateur, de 1990 à
2006. Il rassemble photographies, dessins, documents iconographiques,
commentaires et interviews du metteur en scène. Le livre réunit
également des textes explorant la démarche artistique de Porras.

Le parcours d’Omar Porras pourrait être décrit comme celui d’un
autoditacte à la fois poète, talentueux et excentrique… Issu d’une
famille pauvre de Bogota, il est clown à 14 ans, se rendant aux fêtes
d’enfants des quartiers chic du Chico, puis soldat, coursier,
marionnettiste dans le métro, danseur de salsa, acteur… Celui qui fonde
à Genève le Teatro Malandro, nom emprunté à un personnage de carnaval,
est visiblement possédé très tôt par l’art qui donne à voir ce qui
n’existe pas comme si cela existait. Enfant de chœur, l’Eglise lui
apparaît comme le lieu des enchantements : « Pour moi, le théâtre a
commencé là, dans ces cérémonies religieuses, dans ces assemblées où il
y avait une communion, une réflexion commune, une pensée commune et
tout de même une concentration spirituelle. »

Faire partager une émotion esthétique est peut-être une des clés du
théâtre de Porras. En effet, le texte ne sert pas forcément d’Evangile.
Les créations de Porras nous font pénétrer un univers à la fois
poétique et onirique, dans lequel le message social reste en veilleuse.
A propos de son « Don Quichotte », Porras avertit : « Il s’agit de
restituer non pas le verbe mais l’esprit de Cervantès : les songes et
les visions de Don Quichotte. » Avec beaucoup de finesse, Porras dans « 
Maître Puntila et son valet Matti » atténue la coloration politique de
Brecht favorisant la description des rapports fusionnels entre
personnages.

Avec un rare perfectionnisme, Porras ressuscite les grands textes
classiques : « Othello » de Shakespeare, « Don Quichotte » de
Cervantès, « Don Juan » celui de Tirso de Molina, « Faust » de Marlowe
ou encore « Les Bacchantes » d’Euripide. Les auteurs modernes (« Ubu
Roi » de Jarry, « Noces de sang » de Garcia Lorca) et contemporains
(« La visite de la vieille dame » de Dürrenmatt, « Strip-Tease » de
Mrozek) sont également le cadre de mises en scène autant audacieuses
que somptueuses. L’humour, un certain lyrisme, une poésie presque
enfantine sont des traits caractérisant le théâtre de Porras. Masques,
costumes, lumières, décors : tout concourt à créer un climat de
puissance. L’univers de l’homme semble se nourrir de tout : théâtres
balinais, japonais, commedia dell’arte…

Une gestuelle très étudiée donne aux nombreux personnages du Teatro
Malandro d’infinies nuances : sans doute, peut-être même davantage
que le texte, le corps chez Porras constitue l’élément dominant : un
corps, tantôt hésitant tantôt survolté - à la démarche zigzagante -,
qui fait souvent rire. Ce corps, qui constitue une part essentielle de
la vision extravagante et carnavalesque de l’univers porrassien,
s’agrège à d’autres éléments scéniques mineurs mais d’une efficacité
redoutable : feux d’artifice, pétarades, figures mixtes
(décor/costume) comme les jupes-arbustes (« L’élixir d’amour ») ou des
représentations ambivalentes (humain/animal) comme la fiancée-antilope,
le rival-cheval, le père-morse (« Noces de sang »).

Cet environnement festif, parfois délirant, atteint peut-être son
paroxysme dans « Les Bacchantes », tragédie d’Euripide. Porras y
célèbre à sa façon le culte dionysiaque du corps. « Le corps de
l’acteur est la plume. Ce qu’il laisse comme sensation, l’encre »,
signale Porras. Avec lui, la frontière des arts reste floue : danse,
mime, musique, cinéma… Porras est un poète de la sensation, un maître
des univers visuel et sonore. Et parfois l’on songe à certaines
prestations scéniques du rock des seventies comme celles chamarrées
de Genesis (« Nursery Cryme », 1971), celles expérimentales d’Hawkwind
(« Space Ritual », 1973) ou celles plus loufoques d’Alice Cooper (« 
Welcome to my nightmare », 1975). Porras, l’illusionniste, exhibe un
nombre considérable de personnages bariolés et déguisés pour tous les
goûts, pour toutes les mythologies. L’un peut y voir une œuvre
picturale d’un Bosch ou d’un Bruegel, l’autre, un héros de film gore,
le suivant un personnage de Fellini et ainsi à l’infini…

Précurseur, Porras l’est assurément. Mais ce n’est pas un frimeur…
Juste un poète. Dans TEATRO MALANDRO, il nous raconte :

« Le matin, lorsque je me lève, je ne me réveille pas vraiment. Je
veux continuer à rêver. Et je rêve toute la journée. » […] « Voilà ce
que je demande aux comédiens : ne réfléchissez pas.Une fois sur le
plateau, on doit seulement sentir. Ne pas penser, mais faire.
Privilégier l’action. Il ne s’agit pas d’apprivoiser l’instant, mais de
le percevoir. Et je reviens toujours à cette phrase qui, pour moi, est
au cœur du théâtre. Faust : “Si je pouvais dire à l’instant qui passe,
arrête-toi.” C’est si beau. C’est une alchimie permanente. »

Villegas Editores, 2007
384 pages, 526 photos
format 28 x 18.5 cm
disponible en version française, anglaise et espagnole