Ghardaïa, la cité des mille et une passions

Ghardaïa, la cité des mille et une passions

Ghardaïa, la simple évocation de cette ville est vraisemblablement déjà une évasion. Telle une oasis qui se détache du désert, cette cité aux multiples visages est non seulement le berceau d’une civilisation ancestrale, mais aussi un lieu de pèlerinage pour des touristes étrangers comme nationaux qui veulent découvrir son architecture exceptionnelle et particulière des k’sours de la vallée. Perchée sur une colline et nichée au cœur de sa splendide palmeraie, Ghardaïa se déploie en effet dans un festival d’architectures qui témoignent de son histoire millénaire. D’un côté, il y a le désert et ses interminables étendues ocres. De l’autre, Ghardaïa avec son minaret qui perce le ciel pur et défie le soleil étincelant.

Ghardaïa, la cité des mille et une passions

De prime abord, il est difficile pour un simple mortel de ne pas s’émerveiller devant le génie scintillant d’hommes qui n’avaient que leur courage à faire prévaloir sur des terres stériles et arides pour bâtir une pentapole en dialogue permanent avec la lumière et en perpétuelle quête d’ensoleillement.

Un joyau architectural

En entrant à Ghardaïa par la porte ouest, une vue panoramique de la cité s’offre aux visiteurs et d’après la légende, Cheikh Baba Ould Jema en remontant la vallée du M’zab aperçut une lueur sur ce col. En s’approchant, il trouva une femme de nom de Daya, habitant une grotte. Par la suite il épousa cette femme qu’on nomma plus tard Lalla Sahla. Plusieurs versions de la dénomination de la cité sont données par les historiens. Toutefois, d’après Cheikh Tfeych, le nom de la cité est lié à la grotte de Daya qui veut dire en arabe Ghar-Daya. Ghardaïa naît à partir de ce moment là et devient avec le temps l’escale incontournable qui suborne tant de visiteurs avides de se libérer des lacets angoissants des steppes et du Nord. Une fois dans la ville, on peut pénétrer le souk de Ghardaïa qui est le plus grand de toute la région. Entouré d’arcades protégeant des entrées de magasins en grande majorité de produits artisanaux, le souk est aussi un lieu de rencontre entre les sédentaires et les nomades de toute la région. Quant à la placette du marché, elle est occupée le vendredi par des forains venant de tout le pays créant à l’occasion une ambiance très particulière. Autre constat qui s’impose à l’esprit, les rues dans la cité, comme dans toute la pentapole, sont en forme de pyramide et ce, pour des raisons de défense et aussi pour permettre à l’air frais venant du bas de la cité de rafraîchir les maisons. Ainsi, cette architecture qui a suscité un intérêt mondial si considérable que Ghardaïa a depuis des décades été surnommée la Mecque des architectes.

A cet égard, Beni Izguen incarne parfaitement cette virtuosité architecturale qui fait tant la réputation internationale de Ghardaïa. Représentant l’une des cités de Ghardaïa, sa dénomination vient du fait que les premiers habitants de cette cité étaient les Ouled Annane dont l’un de leurs ancêtres s’appelait Izguen. Beni Izguen gardé jusqu’à nos jours son aspect architectural initial. Il faut dire à son sujet que c’est la cité la plus conservatrice de la vallée. Le Ksar de Beni Izguen comporte quatre portes principales et des portes secondaires dites "Kharjates". Il est entouré de tous les côtés d’un mur d’enceinte avec des bordjs à différents endroits. Les maisons du Ksar sont édifiées de façon à permettre à chaque foyer de recevoir les rayons de soleil, sans que cela gêne le voisinage. Pour eux " la maison où le soleil entre ne recevra pas de médecin". Les cheminées sont disposées de telle sorte qu’aucune fumée n’incommode les voisins. En sortant de la cité de Beni Izguen vers le nord est sur le flanc opposé de la vallée se trouve la cité de Mélika. En arpentant les rues en forme de pyramide, le visiteur découvre une cité qui abrite plusieurs sites anciens dont le plus connu reste le mausolée de Cheikh Sidi Aïssa. Le visiteur peut admirer également le minaret millénaire qui se dresse au milieu de la mosquée de la cité comme un éternel rappel de toute l’importance que revêt la religion dans la vie des habitants du K’sar. "Ici, c’est la mosquée qui dirige tout ; seules comptent la loi du Coran et celle du Prophète, et non la loi de la nation, ni aucune autre", nous dira à ce propos un cheikh de Beni-Isguen pour nous expliquer que de toutes les villes de la pentapole ibadite du Mzab, Beni-Isguen est celle qui a su le mieux résister à l’assimilation. En fait, protégée par ses remparts, cette petite ville de 6.800 habitants que les guides touristiques décrivent volontiers comme "fanatiques" a su néanmoins préserver des institutions uniques dans le monde islamique.

Avec sa disposition qui a dû s’adapter au profil des collines rocailleuses de la région et un style architectural unique en son genre comprenant la mosquée au sommet de la colline et les commerces à ses pieds, la grande place du marché à la criée, et des ruelles formant un véritable labyrinthe, Beni Izguen offre aux visiteurs un magnifique voyage dans le temps.

Dans son livre admirablement illustré, "Le Mzab, une leçon d’architecture" (Editions Sindbad, Paris), André Ravéreau explique très bien que ce qui caractérise l’architecture du Mzab, c’est une volonté de pauvreté, l’absence de toute décoration superflue des maisons, et une unité fondamentale qui reflète l’égalité sociale de tous les membres de la communauté. Cet esprit est largement perceptible dans les divers k’sours de la vallée : El-Ateuf, fondé en 1012, Bou-Noura (1046), Ghardaïa (1048), Beni-Isguen (1347) et Melika (1350). Soulignons par ailleurs que ces cités ancestrales ainsi que la vallée du M’zab, sont classées patrimoine culturel universel par l’Unesco depuis 1982.

Une exception algérienne

Contrairement à la Casbah où il ne se passe pas un jour sans qu’on ne déplore pas l’effondrement d’un vestige de la citadelle, les k’sours de la vallée du M’Zab restent jusqu’à aujourd’hui intacts et très bien sauvegardés. L’Unesco reconnaît elle-même que « depuis le XIe siècle et jusqu’aux années 1950, le M’zab avait conservé pratiquement le même mode d’habitat et les mêmes techniques de construction, commandés tant par un contexte culturel spécifique que par la nécessité d’une adaptation au milieu ». A cet effet, de nombreux experts en la matière considèrent Ghardaïa comme une ville modèle qui, face aux nouvelles stratégies et aux nouveaux intérêts, a su rester fidèle à son architecture traditionnelle préservant ainsi son patrimoine d’une manière remarquable. Il s’agit bien là d’une exception algérienne au regard de l’état calamiteux de plusieurs autres centres historiques du pays.

A Ghardaïa, fort heureusement, l’Office de protection et de promotion de la Vallée du M’zab (OPPVM) et la direction de la culture de la wilaya veillent quotidiennement à ce que les sites historiques de la cité ne soient pas détournés de leur vocation. Par ailleurs, des programmes de réhabilitation et de restauration sont régulièrement menés par l’OPPVM et les différentes instances de la wilaya. Ainsi, ces 3 dernières années, plus de 900 maisons ont été restaurées dans les différents K’sar de la cité et ce en associant les citoyens, propriétaires de ces maisons, dans ce projet. Notons également que les monuments les plus importants de la ville ont fait, à maintes reprises, l’objet d’opérations de réhabilitation et de restauration à l’image de la célèbre place du marché où se trouve la « haouita », un vaste rectangle de pierre, qui servait de lieu de la réunion de la « djemaâ » où des célèbres notables élus par la mosquée s’asseyaient jadis à l’intérieur, afin de régler les transactions commerciales venues de l’extérieur et ordonner la vente aux enchères à la criée. Cette « haouita » était, en quelque sorte, le symbole de la hiérarchie mozabite, un local officiel en plein air pour l’administration de la ville. Les autorités locales en collaboration avec l’OPPVM ont réussi il y a deux ans de cela à sauver cet « espace saint » de la ville qui était une proie des squatteurs trabendistes grâce à un programme d’aménagement et d’embellissement très singulier entrepris avec un bureau d’architecture privé. Cette louable action a trouvé des échos favorables chez les citoyens et a permis par la même occasion de restituer à cette place du Marché, classée en 1985 comme patrimoine de l’Unesco, sa vraie notoriété, perdue depuis longtemps, à cause de certains individus étrangers à la ville, voulant à tout prix défigurer cette éventaire de la capitale du M’zab et altérer son style architectural mondialement connu.

Cependant, si les richesses culturelles et architecturales sont magnifiquement bien sauvegardées, le patrimoine environnemental de Ghardaïa est de plus en plus exposé au danger. En réalité, les palmeraies de Ghardaïa sont, préviennent plusieurs experts, en voie de disparition. Et pour cause, 20 % seulement des palmeraies de la ville subsistent encore. Chaque année, plus de 1500 palmiers sont arrachés. « L’écosystème de la vallée est en danger. L’urbanisme sauvage et incontrôlé est en train de grignoter tout ce qui reste des palmeraies. Les autorités publiques ferment les yeux sur les constructions illicites qui s’érigent au plein milieu du oued Mzab. Croyez-moi, en cas de crue ou d’inondations, des milliers de vie humaine seraient déplorées à Ghardaïa », s’écrie Mohamed, guide touristique et membre de l’association « Les Amis du Mzab » qui ne cesse d’interpeller la wilaya sur les dangers imminents d’un urbanisme galopant. « Ghardaïa, c’est une ville qui ne peut supporter une population de plus de 40 mille personnes. Mais aujourd’hui, elle en compte plus de 100 mille. Nous avons saisi à plusieurs occasions les responsables de la wilaya pour les prévenir contre les perspectives alarmantes d’un urbanisme anarchique qui met en péril tout le système oasien de la vallée. Mais lorsque vous voyez toutes les banlieues qui naissent dans la périphérie de la ville, vous comprendrez que les autorités se contrefichent de nos avertissements », explique encore notre interlocuteur.

Tafilelt : la nouvelle ville

Il y a dix ans, sur une colline rocailleuse, un projet unique en son genre a vu le jour à Ghardaïa. Ksar Tafilelt Tajdite est en vérité un nouveau ksar, surplombant Beni Izguen, qui compte plus de 800 maisons traditionnelles bâties dans le cadre d’un projet social à but non lucratif. Initié en 1998 par la fondation Amidoul présidée par M. Ahmed Nouh, Docteur en pharmacie et un des notables mozabites de la vallée du Mzab, le projet Tafilalt vise à restaurer certaines coutumes ancestrales basées sur la foi et le « compter sur soi » et qui ont permis aux oasis en général et à celles du Mzab en particulier de survivre dans un environnement hostile et de bâtir ce qui est maintenant mondialement connu comme étant une Architecture Millénaire digne de l’appellation « développement durable ». Alliant les pratiques et les valeurs de cohésion et entraide sociales et les normes avec les exigences du confort de l’habitat contemporain, Tafilelt est nouvelle ville qui s’inscrit dans une optique écologique et sociale.

« Tafilelt est pour nous un acte de militantisme. Et le militantisme est loin d’être seulement de la tchatche, mais des actions concrètes en faveur de la société », nous confie tout de go M. Ahmed Nouh qui nous fait visiter le nouveau Ksar. « Notre principal objectif est de rendre le logement à la portée de tout le monde. Toutefois, nous ne voulions pas voir pousser dans notre vallée des cités dortoirs ou des ghettos comme il est le cas dans le nord », décrète M. Nouh qui poursuite plus loin : « Le logement traditionnel du M’zab a été notre source d’inspiration dans la réalisation de ce projet. Tout en l’adaptant aux commodités de la vie contemporaine, tel que l’introduction de l’élément « cour » pour augmenter l’éclairage et l’aération de l’habitation ainsi que l’élargissement de ses espaces intérieurs, nous avons maintenu en revanche la hiérarchisation des espaces, l’utilisation des matériaux locaux à l’image de la pierre, le plâtre et la chaux, et les ruelles étroites qui s’entrecoupent pour casser les vents de sable et ce pour rendre compte réellement de l’esprit du ksar ».

Pour M. Nouh et tous les autres responsables du projet de la nouvelle ville de Tafilelt, le patrimoine culturel ancestral peut lui aussi concourir à la résolution du problème du logement. Pour cela, les institutions sociales traditionnelles doivent intégrer l’héritage architectural ancien dans l’environnement rationnel du bâtiment. Dans la mise en oeuvre de son foyer, l’homme ne doit pas aussi porter atteinte à l’environnement naturel. Ce sont là les axes les plus importants du projet de Tafilelt. « Face à la menace de la bétonisation de la vallée, nous avons conçu ce projet pour proposer des logements à des prix modestes et qui correspondent aux spécificités architecturales et culturelles de la vallée du Mzab. C’était pour nous aussi une nécessité de réagir à la disparition programmée de nos palmeraies », souligne à cet égard M. Nouh.

Concernant les bénéficiaires, ils sont sélectionnés selon des critères étudiés. A cet effet, il est impossible de pouvoir accéder à un logement dans la ville de Tafilelt si on est déjà acquéreur d’un autre logement. « Le projet concerne uniquement les défavorisés et les nécessiteux dont le salaire ou les moyens financiers limités ne peuvent nullement leur permettre d’avoir droit à un logement. Par ailleurs, l’apport personnel des bénéficiaires doit être de l’ordre des 30 % à 40 % du coût global de la maison qui peut aller de 1 à 2 million de Dinar selon les 3 modèles disponibles. Le reste, le bénéficiaire le paiera à travers un échelonnement et ce après avoir pris possession de sa maison », nous fait savoir M. Nouh.

Signalons enfin qu’un parc des espèces animales et végétales des zones désertiques est en cours de réalisation par la même fondation Amidoul dans la périphérie de Tafilelt. Ce futur parc comprendra des espaces verts, une station d’épuration des eaux usées, une station d’énergie solaire, un laboratoire scientifique et une salle de conférence. A l’instar de Tafilelt, ce parc de verdure verra le jour dans une zone rocailleuse. Comme quoi, dans la cité des mille et une passions, on ne manque point d’imagination pour faire des déserts les plus rocailleux, des oasis enchanteresses. Décidément, en Algérie, le nord a encore beaucoup à apprendre du sud.