Le Bien en pire

Le Bien en pire

A peine entamée, 2008 restera dans les annales. Le programme des festivités à venir s’avère des plus réjouissants. Nous voilà autorisés à formuler les rêves les plus fous, politiquement s’entend. Il va se passer quelque chose. Des trucs modernes.

En effet, 2008 a déjà commencé sur des chapeaux de roue. De retour de sa campagne d’Egypte, le Président de la République nous a gratifiés d’un discours des vœux dépoussiéré. Il était temps. Dix minutes d’intervention ciselées au cours desquelles il a égrené toutes les bontés auxquelles nous n’échapperons pas, « malgré les difficultés ». Qu’on se le dise, les perspectives étroites sont derrière nous, le Président entend ouvrir l’horizon d’une nouvelle « politique de civilisation ». On ne sait pas vraiment de quoi il s’agit, mais on entraperçoit un dessein audacieux, débarrassé des vieilles lunes auxquelles nous sommes accoutumés. No pasara la Barbarie. Quelqu’un m’a dit que la civilisation était en route pour Eurodisney.

Bientôt, le parlement réuni à Versailles devrait nous permettre de débloquer l’Europe, jusqu’ici paralysée par ses turpitudes archaïques. Le non du peuple français au traité constitutionnel le 29 mai 2005 avait ouvert « une crise majeure en Europe, un choc nucléaire suivi d’un hiver où l’herbe ne repousse pas » selon les prophéties de Pierre Moscovici. L’adoption du nouveau traité de Lisbonne par voie parlementaire devrait réparer ce forfait. Au peuple indigent de 2005, les représentants éclairés de 2008 se substitueront pour notre Bien. Désormais, il est l’heure d’avancer. Sur cette question, le Parti Socialiste vient de faire vœu d’abstinence : il dit souhaiter un référendum, donc – notez bien le rapport de cause à effet – il s’abstiendra et boudera la réforme de la constitution, condition préalable à la ratification parlementaire… Il est toujours délicat de mettre un dossier technique si complexe entre les mains du suffrage universel. Dans une démocratie moderne, c’est has been la souveraineté du peuple.

Les élections municipales et cantonales de Ventôse nous offrent un suspens à peine supportable. L’enjeu est important : que feront les bobos des villes et les beaufs’ des champs ? Malgré Vélib, malgré Paris Plage, malgré les Nuits Blanches, les parisiennes et les parisiens vont-ils reconduire Bertrand Delanoë ? Sur le terrain, les campagnes locales sont dans les starting blocks. Déjà les slogans et les noms de liste fleurissent, tous plus créatifs les uns que les autres : Saint-Pardoux-du-Breuil ensemble, Brive la Gaillarde demain, Bougeons Le Creuset, Villeneuve d’Ascq pour tous, Venarey les Laumes autrement, Vivons Brebotte… Une fois encore, le verbe devrait se mettre au service du politique.

En 2008, Nicolas Sarkozy va agrandir son aire de jeux.
A compter du 1er juillet prochain, la France va présider l’Union Européenne. Puisque la mode est à la décentralisation du Conseil des Ministres, je suggère d’aller plus loin : osons le déplacer chaque semaine vers de nouvelles contrées. Non pas à l’étranger mais chez nous, en Europe. Ca aurait de la gueule, et ça permettrait de ne pas rester enfermé dans nos petites frontières qui sentent la naphtaline. Il faut que ça bouge. Il suffit de déplacer des Algecos pour héberger les secrétariats, l’intendance suivra.
Dans la foulée, pour montrer qu’on est des Européens décomplexés, on pourrait décentraliser et faire voyager toutes nos institutions : le Conseil Constitutionnel à Vilnius, la Cour des comptes au Parthénon, l’Assemblée Nationale à la Scala de Milan, le Sénat au Luxembourg, l’Assemblée régionale du Limousin à Trinity College. C’est ça la post modernité, une révolution créatrice qui ne s’embarrasse plus du protocole institutionnel, une France qui sort de sa ligne Maginot.

Le congrès du parti socialiste est lui aussi prometteur. Nous ne connaissons pas encore la date, mais les étapes préparatoires du casting laissent augurer un débat dense et intense. En piste, Ségolène Royal et le maire de Paris vont échanger leurs amabilités et leurs sourires. Il s’agira pour l’un et l’autre de se démarquer idéologiquement pour incarner les nouvelles tendances.

Chacun devra se positionner et revendiquer qui le développement durable inaltérable, qui le droit d’ingérence interplanétaire, qui la formation-à-tous-les-âges-de-la-vie-de-la-naissance-à-la-mort, qui l’échange gagnant-gagnant-gagnant, qui la démocratie participative coopérative, qui le droit au droit opposable, qui l’économie-sociale-de-marché-compétitive-et-équitable, qui le principe de précaution garanti vingt-quatre heures sur vingt quatre, qui la gauche transparente. On se démène déjà pour créer des concepts rutilants.

En 2007, « l’Empire du Bien » a vacillé parfois sous les coups de boutoir des grincheux de tous poils.

2008 va transcender Philippe Muray : puisque l’Empire contre-attaque, ce sera le Bien en pire.