Les maisons d’Oscar Niemeyer

Les maisons d'Oscar Niemeyer

Oscar est un coquin, et c’est tant mieux ! Il s’est très vite affranchi des soi-disant canons de l’architecture moderne pour mieux narguer le conformisme, l’angle droit et le trait rectiligne, dur et inflexible. C’est un poète qui s’est fait architecte pour le plus grand bien de l’humanité. Portrait.

"J’aime la liberté des courbes, leur sensualité. Les courbes que je trouve dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses rivières, dans les vagues de l’océan et sur le corps de la femme aimée." Belle épitaphe que l’on garde pour plus tard, car pour l’heure notre homme – centenaire depuis le 15 décembre 2007 ! – est toujours bon pied bon œil, et tel le peintre qu’il sait être aussi à ses heures, il continue de réaliser ses croquis d’une main agile sur de grandes feuilles de papier posées verticalement sur un chevalet. Il en va ainsi de l’un des plus grands architectes du XXème siècle. Et, comme tous les grands visionnaires, Oscar Niemeyer travailla surtout sur de vastes projets, dont le plus connu est Braslia – mais qui se souvient qu’on lui doit aussi le siège du parti communiste, place du colonel Fabien, à Paris ? –, et il ne s’attarda jamais à parler de son travail dans le domaine des maisons individuelles. Cette relative indifférence, des critiques mais aussi de Niemeyer lui-même, ne doit pas détourner notre attention, bien au contraire. Conçues tout au long de sa vie, ces maisons illustrent – voire annoncent – les concepts révolutionnaires de ses projets plus ambitieux. Elles enrichissent aussi son œuvre et notre vision globale de son art. Elles sont – et ce livre en est la preuve – autant de création extraordinaires …

Oscar Niemeyer a été très vite le fer de lance d’un courant moderniste qui se voulait radical et oser aller au bout de l’expérience en cassant les moules pour mieux s’enhardir et inventer de nouvelles formes au-delà du rationalisme. Il ouvrit ainsi les portes d’un univers plus vaste, plus propice à laisser l’imagination s’exprimer en s’inspirant de la nature, en jouant avec elle …
Après des études suivies auprès de Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, il se laissa très vite happer par son côté brésilien et laissa sa nature transformer son âme d’architecte.
Il laissa donc de côté les problèmes politiques et économiques que le Brésil des années 1950 devait affronter pour se laisser bercer par le paysage naturel de son pays. L’inspiration fleurit alors dans ce paysage d’une beauté à couper le souffle. Il se rappela, qu’enfant, il s’amusait à suivre du doigt les contours des nuages. Qu’il rêvait en mirant les montagnes à la végétation luxuriante qui dominent la baie de Rio. Il en fit sa signature.

Les projets de Niemeyer n’ont cessé de sa balancer entre trois contradictions : formes naturelles produites par une technologie artificielle, logique structurelle et émotions extatiques, formes simples et intentions complexes … Mais l’homme aussi est tout en contradictions : longtemps membre du PC brésilien, il construisait néanmoins des maisons pour de très riches compatriotes (sic).
Ce sont d’ailleurs ses maisons qui reflètent le mieux cette volonté de se diversifier : il les a bâties sur des pentes, au cœur des villes, en bord de mer, ou dans des déserts. Il les a construites en béton, brique, acier, ou en bois. Il les a inventées pour se jouer des normes et s’amuser avec les particularités des paysages, les désirs des clients, et l’usage auquel elles étaient destinées … Avec ses maisons, Niemeyer va à l’essentiel, délaissant l’universel. Il en fait de véritable petit bijou, jouant sur les échelles pour proclamer haut et fort sa conception de l’architecture à visage humain. Il signe-là l’essence même de sa vision des lieux habités et de l’art de vivre. Il met en lumière le plaisir et l’imagination au service de la beauté.

Né en 1907 à Rio, Oscar Niemeyer passe son enfance dans une grande maison donnant sur une rue paisible qui, plus tard, portera le nom de son grand-père, membre de le Cour suprême, procureur général de la République puis Premier ministre du Gouvernement fédéral. Le jeune Oscar a très vite sous les yeux des pelouses bien ordonnées, des maisons coloniales aux toits de tuile qui se dressent sur le rivage de Botafogo, à quelques encablures de sa maison … Il grandit en menant une belle vie – plage, café, chaleur toute l’année – et s’enivre du plaisir des formes sensuelles et de la douceur du climat tropical … En grandissant il participe, après le dîner, aux soirées sur la véranda pour bavarder. Il pouvait évoquer son quotidien à l’école des Frères Barnabites, ses lectures favorites (Teilhard de Chardin), ses films préférés (ceux de Tom Mix et de William S. Hart), ou ses matches de foot avec les copains.
On devine un environnement favorable à la création : nul doute que son goût pour l’art lié au côté surréel, exagéré des paysages de Rio le stimulèrent pour creuser ce sillon, sa propre voie artistique. Il épousa donc cette idée naturelle de la subversion pour la fondre dans la norme du modernisme, donnant ainsi naissance à une œuvre unique.

Classées par périodes, présentées avec des coupes et/ou des plans, ces merveilles révèlent le large éventail de ses idées et leur continuelle évolution. Des premières influences de Le Corbusier à la hardiesse avec laquelle il trace très vite son chemin en architecture montre son désir d’explorer les formes libres. Niemeyer aime trop les espaces ouverts, et ses maisons s’associent tout naturellement avec les merveilles que sont la Maison de Verre de Philipe Johnson, la Maison sur la Cascade de Frank Lloyd Wright ou la Villa Mairea d’Alvar Aalto. Elles prouvent aussi son refus du rejet méprisant du passé prôné par les théoriciens : "Je suis un architecte qui travaille pour quiconque fait appel à moi (…) mes bâtiments (publics) ne sont pas toujours au service de la justice sociale, (mais) je m’efforce de les faire beaux et spectaculaires afin que les pauvres s’arrêtent pour les regarder, et en soient touchés et enthousiasmés. En tant qu’architecte, c’est tout ce que je peux faire."

Aventurier des formes, on lui doit aussi des meubles hallucinants dont une chaise longue que l’on voit dans le living-room de sa maison (p. 88) à Canoas. Construite en 1953, elle semble aplatie et déposé à côté d’un rocher, mais à y regarder de plus près l’on devine des murs de verre arrondis qui offrent une large vue sur la forêt et l’océan, on admire la forme arrondie de la piscine qui fait écho à la dalle tout en courbes du toit. A l’intérieur, le plan montre le dessin ovoïde d’un salon fermé par un mur tapissé de fines lamelles de bois. Les fenêtres des chambres sont à facettes, comme des pierres précieuses, et créent un espace une ambiance surréaliste mais chaleureuse en offrant un volume et une lumière jusqu’ici inconnus …

La quête de Niemeyer ne le portait pas vers plus de logique et de pureté, il voulait laisser libre cours à sa poésie et explorer son art sans contraintes. Il s’est aventuré sur le chemin langoureux de la liberté et s’est joué des perspectives et des matériaux. Il nous donne chaque fois que l’on regarde l’une de ses maisons un vif plaisir qui ne se tarie pas, une émotion toujours nouvelle car à chaque fois l’on découvre autre chose, l’on regarde autrement. Cette perfection du trait, cette simplicité du style dans l’arrondi révélé et cette harmonie parfaite des agencements font des réalisations d’Oscar Niemeyer des œuvres d’une rare volupté.
Pour des blocs de béton, c’est une sacrée gageure !

Alan Hess, Oscar Niemeyer – Maisons, traduit de l’anglais par Pierre Girard, photographies de Alan Weintraub), relié couverture tissu bleu azur sous jaquette couleurs, 285 x 285, Actes Sud, septembre 2007, 231 p. – 49,00 €