Journal de guerre – de Sciences Po à Tsahal

Journal de guerre – de Sciences Po à Tsahal

Peut-on céder à la folie tout en sortant d’une grande école ? Peut-on devenir un tueur après avoir foulé les ors de la République ? Il semble bien que oui. C’est consternant à plus d’un titre. Explications.

Le titre de ce nouvel opus de la collection Impacts, chez Denoël, laisse songeur. Il titille la curiosité car il annonce déjà la couleur mais l’on aborde toujours ce type d’écrits avec une retenue, une réserve qui laisse toute la place à la manœuvre car, sans cela, aucune chance de pouvoir lire entre les lignes. Mais dès le premier paragraphe nous subissons le poncif, le cliché et cela semble bien relever de la farce de mauvais goût. Une pierre derechef dans un jardin ravagé qui n’aspire qu’à voir des hommes de bonne volonté et non des aspirants Robocop qui ne jure que de gérer la cité à la manière d’un corps de garde : tous mis au pas !

Noam Ohana est né en France de parents juifs marocains, on s’attendait donc à ce qu’il adhère au projet républicain et qu’il se sente français, avant d’être juif, voire israélien. Selon la loi du sol, Noam est français : il en bénéficia d’ailleurs et gravit magnifiquement toutes les marches de la réussite. Il est né dans un environnement intellectuel de haut niveau (parents doctorants à sa naissance) à forte tendance de gauche, donc, à première vue, plus poussé vers la tolérance. Il épousa d’ailleurs certains de ces idéaux en allant jusqu’à servir dans les services du Premier ministre, sous le gouvernement Jospin. Pourtant, il ne put s’empêcher de se laisser happer par la propagande sioniste et il sombra dans la haine, froide, totale, structurée. Il plaqua ses études et s’enrôla dans l’armée israélienne. Mais pourquoi donc ?

Ce livre "raconte la colère et l’engagement d’un Juif français meurtri par les scènes de violences à Jérusalem et en banlieue parisienne." nous assène-t-il en guise de prologue depuis le siège Business Class d’un vol transcontinental en direction de l’Asie où notre homme gère des hedges funds à Hong Kong … Soit. Mais l’on peut alors d’emblée se poser la question : pourquoi un français de confession juive s’octroie-t-il le droit de se considérer juif avant d’être français ? Voire israélien avant d’être français ? Pourquoi la religion prime-t-elle sur la citoyenneté ?
Né en France, Noam Ohana a vécu dans le XIVème arrondissement de Paris, puis dans le Neuf-Trois. Il y côtoya une population hétérogène issue de nombreux flux migratoires. Il y subit le racisme au même titre qu’un africain ou un arabe … Pas de quoi prendre la mouche.
Puis il intègre Sciences Po, et là tout change : il se voit très vite interpellé dès lors que le sujet aborde le Proche Orient. Les étudiants l’agressent sans cesse de questions idiotes en l’assimilant à un israélien, en le forçant à prendre partie, comme si le monde se divisait en deux camps, "eux et nous". C’est idiot et irresponsable comme attitude, surtout dans ce cadre-là ; mais Noam n’est-il pas censé, aussi, avoir de la retenue, du recul ; n’est-il pas avec cette élite qui doit parvenir à se maîtriser, à gérer les situations de crise ? Au lieu de cela, il se renferme et broie du noir dans un inconscient qui commence à la miner de l’intérieur …
C’est la période des accords d’Oslo, puis de l’engrenage infernal : assassinat de Rabin, vagues d’attentats, représailles ; le cercle infernal se referme sur la région …Le Proche Orient s’enfonce dans une spirale que personne n’analyse, surtout pas Ohana, ce qui peut paraître suspect vu son état d’élève en troisième année et sa participation au gouvernement Jospin. Analyse qui lui aurait permis de comprendre certaines choses, comme par exemple, la raison de la reprise soudaine des attentats, car rien n’est le fait du hasard. Le non respect de la clause première d’Oslo (le gel total des implantations des colonies) et l’assassinat ciblé du présumé responsable de l’attentat qui avait coûté la vie à un ministre israélien, ordonné par Perez (alors que les services de renseignements le déconseillaient formellement, sachant que cela allait embraser le pays) mit, en effet, le feu aux poudres … Mais au lieu de cela, notre "héros" (sic) s’envole pour Stanford, bourse (française) en poche, pour prendre du recul …

Octobre 2000 : alors qu’il vient de se faire cueillir par son professeur américain lors d’un exposé durant lequel il tenta de justifier la loi française sur les 35heures, dans un pays on l’on travaille sept jours sur sept, il se rabat, fatigué et un peu dépité, sur la consultation des dépêches en provenance d’Israël et de Palestine où la folie a gagné les hommes … Mal lui en a prit, le virus le contamine, il néglige son travail pour s’informer toujours plus. Mais il ne nous dit pas où il puise ses informations : sur un site "orienté" ? dans la presse traditionnelle ? certainement pas dans les journaux pacifistes ou alternatifs. Puis la France dérape à son tour et des actes inqualifiables sont commis : écoles juives et synagogues sont mises à sac voire incendiées. Alors son sang ne fait qu’un tour. Mais au lieu de rentrer en France … il va s’engager en Israël. Pourquoi ? Il n’a pas su, pas pu, pas voulu (?) faire la distinction entre le religieux et le politique. Juif égale sionisme égale Israël à protéger à n’importe quel prix : face à la barbarie être encore plus barbare …
Consternant !

Il s’engage dans les forces spéciales, 18 mois de formation, 2 ans de coups tordus dans les Territoires palestiniens … Œil pour œil, dent pour dent, pas de quartier, la sauvagerie, les arrestations, les éliminations, la guerre sale, très sale …
Il y avait presque une candeur sous-jacente, déjà, dans toute cette naïveté perçue lorsqu’il croyait servir la gauche sous Jospin – alors que le dernier gouvernement de gauche date de Mauroy. Jospin, a qui l’on doit la structure actuelle d’EADS (et les dérives que l’on sait) et la déréglementation d’EDF (et les surcoûts que l’on commence à comprendre, trop tard !). Noam enfile les perles et gobe tout : on dirait un gosse face à un magicien. Israël l’hypnotise, et il écrit des énormités incroyables : ici il y a l’énergie créatrice époustouflante qui peut faire fleurir, au choix, le désert ou le Nasdaq (le pauvre, il ne connaît toujours pas l’histoire des fleurs dans le désert) ; l’armée formera ceux qui deviendront l’élite social du pays (c’est malheureusement exact, avec les conséquences désastreuses que l’on connaît aujourd’hui) ; les commandos décèlent ceux qui feront non seulement d’excellents combattants, mais aussi des citoyens hors pair (belle image d’Epinal d’un pays qui se battit sur des valeurs guerrières).

Puis il dépasse les bornes quand il attaque Simone Bitton et ne comprend manifestement rien de son discours lorsqu’elle dit que la mort du fils Grossman n’est pas "totalement innocente" puisque survenue à bord d’un char en territoire libanais, en été 2006. Il montre son véritable visage haineux contre tout ce qui est arabe et ose s’opposer à la suprématie israélienne. Une nouvelle preuve que nos grandes écoles ne parviennent pas à apprendre à réfléchir ... Pour Noam, les Palestiniens peuvent résister avec des pierres, et seulement avec des pierres, face à Tsahal armée jusqu’au dents : la Résistance, oui, mais seulement avec des pierres …
La notion de colons israéliens lui est étrangère car lorsqu’il parle d’une attaque contre une colonie il ne parle que de femmes, d’enfants, d’hommes tués ; mais efface le fait qu’ils sont dans une illégalité totale, dans une action agressive de spoliation d’une terre qui ne leurs appartient pas … Noam devrait se pencher, lui qui rappelle les douloureux souvenirs de la guerre 1939-1945, sur la terminologie allemande vis-à-vis des résistants français : terroristes ! Exactement la même employée par les experts en communication de Tsahal qui ne tue jamais de civils mais occasionne des dégâts collatéraux et s’en excuse, qui arrête un terroriste dès lors qu’il ose combattre une armée d’occupation qui ne dit pas son nom, etc.
Il vomit aussi sur les Refusniks et les objecteurs de conscience …

On comprend définitivement son mode de pensée lorsqu’il cite comme défenseurs de la paix David Grossman, Amos Oz et A.B. Yehoshua, trois intellectuels profondément anti-arabe et prônant une idéologie guerrière, contrairement à l’image qu’ils veulent donner : pour preuve le livre de Yitzhak Laor, Le nouveau philosémitisme européen. Cet éminent journaliste israélien a mis à nu le système sioniste dit de la Paix qui ne tente pas véritablement de perpétuer la mémoire du génocide mais bien de consolider une nouvelle idéologie de l’exclusion. Pour eux, désormais, les Juifs sont à l’intérieur, ils appartiennent à l’élite en marchant sur le cadavre des Droits de l’Homme. Ils peuvent désormais participer à la violation des droits des autres.
On lui conseille vivement sa lecture histoire de remettre les pendules à l’heure …

Quelle mouche a piqué Olivier Rubinstein, le patron de Denoël, de laisser publier un tel livre ? Veut-il faire oublier le fondateur, le belge Robert Denoël, qui publia des pamphlets antisémites pendant l’Occupation et qui fut assassiné à la Libération ? Mais donner une vitrine à ce genre de discours qui n’est que haine et soif de vengeance n’apporte rien à rien. Au contraire !
En avril 2007, il publia les trois romans d’Oser Warszawski rassemblés sous le titre de La Grande Fauchaison, un chef-d’œuvre ! Avant cela, il avait su redonner une vie à l’œuvre immense d’Irène Némirovsky. Là est son rôle, publier la quintessence de la culture juive, pas de participer à aider des idéaux xénophobes.
Et que trouvons-nous encarté dans ce livre, comme par hasard, une fiche cartonnée qui présente une revue géo-politique, avec prière de s’y abonner. Une revue qui serait née de l’ennui, du malaise lié à une pensée unique découlant d’un certain 11-Septembre et aurait abouti à la crise politique du 21 avril 2002 ; forcément si le PS est un parti sclérosé, c’est une nouvelle fois la faute aux musulmans fondamentalistes (sic). Et surtout à cause d’un antiaméricanisme grandissant en nos vertes contrées qui ne serait pas du meilleur goût ; alors on nous propose trimestriellement une autre vision du monde. Soit. Mais dans Le meilleur des mondes on découvre, horrifié, des noms dans le comité éditorial comme Élisabeth Schemla (condamnée en justice pour divulgation de fausse information et diffamation), la fondatrice d’un site extrémiste pro-sioniste, le tristement proche-orient.info ; mais aussi Frédéric Encel dont l’immonde torchon Comprendre le Proche Orient n’est qu’un tissu de mensonges pour tenter de justifier le mur de Sharon et un Israël ethniquement pur, s’entend exit des musulmans et des chrétiens ; on y trouve aussi l’incroyable Pierre-André Taguieff plus connu pour ses polémiques à voir de l’antisémitisme à tous les coins de rue et à justifier tous les actes d’Israël que pour ses travaux. Ainsi l’on a vu Guillaume Weill-Raynal (Une haine imaginaire ? Contre enquête sur le "nouvel antisémitisme", Armand Colin, Paris, 2005) et Thomas Deltombe (L’Islam Imaginaire : La construction médiatique de l’islamophobie en France 1975-2005, La Découverte, Paris, 2005) souligner les amalgames, les généralisations, les anachronismes et les glissements présents dans l’un de ses livres La Nouvelle Judéophobie.
Bref, un aréopage iconoclaste qui sent le soufre et qui ne correspond pas à une vision du monde que l’on voudrait ouvert, métissé, tolérant …

Du rififi chez Denoël ? Gageons que 2008 sera un meilleur cru …

Noam Ohana, Journal de guerre – de Sciences Po aux unités d’élite de Tsahal, coll. "Impacts", Denoël, octobre 2007, 248 p. – 18,00 €