Viniale et l’e-terview

Viniale et l'e-terview

Ca n’a sans doute l’air de rien mais il y a dans cet ouvrage de F.Viniale, insaisissable trublion du web, du collage, de la critique et de l’écriture, de quoi renouveler de manière considérable notre rapport à un media par trop décrié, j’ai nommé le web, ce diabolus in interneta. De prime abord, point de produit livresque fracassant, une première de couverture-collage qui frise la sobriété, une présentation de quatrième des plus communes où l’auteur s’amuse juste à se comparer à Andy Warhol (Viniale a déjà fait pire, ce que savent ses amis comme ses ennemis).

Où donc est l’astuce dans ces conditions ? Où se cache le McGuffin de notre expert en cinéma qui n’aime rien tant que créer des liens entre les individus, dialoguer et mystifier tout à la fois ? Aussi surprenant que cette réponse puisse paraître, c’est dans la la table des matières qu’il faut chercher le Graal vinialien. Car c’est là qu’on trouve, sagement alignées comme des icônes postsurréalistes ou anteNTIC, les personnalités, reconnues ou méconnues (établir ici le distinguo trouve sa raison d’être dans ce livre qui, au passage, nous invite à réfléchir sur ce qui sépare la notoriété de la renommée) s’étant livrées à un redoutable parce que transparent et immédiat jeu des questions-réponses.

L’ E-terview, qu’on se le dise - au cas où ce concept déposé par le sieur Viniale resterait encore inconnu de quelques troglodytiques oreilles - peut être définie comme l’émanation webienne de l’interview, soit la conduite d’un entretien par courrier électronique interposé (dont nombre d’exemples sont consultables sur le site e-terviews.org). La belle affaire ! clamez-vous, rencogné derrière votre Underwood pesant ses 2,5 kg de fonte ou tirant d’un trait baveux une ligne rageuse sur cet article à l’aide de la plume sergent-major qui accompagne la moindre de vos correspondances. Première erreur : ce n’est pas parce qu’il utilise Internet que Frédéric Vignale n’apprécie pas lui aussi les objets précieux, ceux qui portent les stigmates d’une histoire. D’ailleurs le choix des personnes "e-terviewées" en dit long à lui seul sur la curiosité pluridisciplinaire de l’auteur, convoquant aussi bien cuisinier, tailleur, musicien qu’écrivain pour les soumettre à sa batterie de questions. Au coeur de la variété de ces dernières, qui ne se répètent jamais exactement, Vignale et sa petite équipe installent une répétition qui n’est jamais de l’ordre de l’identique et qui, au fil des dialogues constitués, fait sens petit à petit, créant une osmose, une familiarité quasi antagoniste de cet outil si froid, si déshumanisé en apparence qu’est le mail usuellement.

Vous pensez que la conversation via une grille anonyme de questions qui vous est proposée sur votre compte Internet ne change rien à l’affaire ? Deuxième erreur. Car vous répondez en confiance alors même que vous discutez avec un étranger. Vous vous donnez le temps de tourner plusieurs fois votre prose sur le clavier quand vous l’auriez fait jaillir, source limpide, au débotté d’une phrase. Dans une e-terview, tout est sous contrôle, la parole étant évacuée de l’oral pour se figer dans la retranscription ad vitam aeternam d’une police de courrier. Encore ce fixisme scripturaire ne dure-t-il qu’un temps et ne trompe-t-il que son émetteur car bientôt ses récepteurs seront légion, inféodés à la fusion atemporelle de ces multiples e-terviews par Viniale dans un seul et même ouvrage - lequel devrait en toute (dia-)logique être suivi de maint autre. Contrôlera bien qui contrôlera le dernier, rit sous cape Vignale passé maître dans le jeu du chat et de la souris - avec les heures qu’il consacre à son écran, c’est sans doute le moins qu’on puisse attendre de lui il est vrai.

Voilà comment de questions anodines en précisions personnelles a priori superfétatoires et réservées aux happy few, un jeune auteur construit un monde relationnel nouveau, qui abolit le temps et l’espace, la différence d’âge et les barrières sociales. Avec ces " dialogues par courrier électronique " édités par IDlivre, Frédéric Viniale qui réussit là le plus parfait des collages interhumains s’impose sans conteste comme un mailomane accompli. On lui souhaite de pouvoir mener encore, par monts et par vaux cybertechnologiques, des rencontres si passionnantes. Verba volant, scripta manent : sagesse suprême, non ?

Frédéric Grolleau, L’Humeur du marcassin, Revue Res Publica.

Frédéric Viniale, E-terviews, dialogues par courrier électronique, Idlivre, 2002, 296 p. - 18 €

Frédéric Viniale, E-terviews, dialogues par courrier électronique, Idlivre, 2002, 296 p. - 18 €