"Yvan Colonna est victime de la Raison d’État"

"Yvan Colonna est victime de la Raison d'État"

Deux jours avant le référendum local sur le statut de la Corse, Yvan Colonna est arrêté par les hommes du RAID en planque aux abords de la bergerie au lieu-dit Monti-Barbatu, situé sur la commune d’Olmetto. C’est un super coup pour le ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Nicolas Sarkozy. Le résultat du scrutin rejette le processus de Matignon et maintient le statut quo ante dans l’île. L’arrestation du berger de Cargèse a eu lieu à l’issue d’une longue traque et d’opérations policières en cascade, maintenant une forte pression dans l’île de beauté. Il faut dire que le jeu en valait la chandelle : l’assassinat du préfet, Claude Érignac, le 6 février 1998, était le symbole fort de la lutte armée nationaliste, en même temps, comme on l’apprit ensuite, le fait d’une action spontanée de personnes déçues par les luttes intestines des nationalistes corses. Yvan Colonna, ancien militant, fils d’un ancien membre de l’Assemblée nationale, apparaît alors comme un coupable idéal. Fabienne Giovannini, rédactrice en chef du journal Arriti, demande un procès équitable pour l’auteur présumé de l’attentat contre le préfet Érignac, et brosse pour Le MAGue un tableau de l’enquête plein de zones d’ombres.

Le MAGue : Vous soutenez un comité de vigilance pour un procès équitable d’Yvan Colonna, pourquoi craignez-vous qu’il n’en soit pas ainsi ?

Fabienne Giovannini : De par la personnalité de la victime, le préfet Érignac, c’est tout de suite devenu une affaire d’État. En un an et demi, 349 militants sont mis en garde à vue, 42 sont incarcérés. Des noms sont jetés en pâture à l’opinion, certains feront jusqu’à 2 ans de prison à tort. Aucun mea culpa n’interviendra jamais sur la piste agricole. De même, Vincent Andriuzzi et Jean Castela sont condamnés à 30 ans de prison en première instance alors qu’ils clament leur innocence. Ils sont acquittés après 7 et 8 ans de prison, et si la loi sur les Cours d’Assises n’avait pas changé, ils n’auraient jamais pu faire appel et seraient encore en prison aujourd’hui !

Le MAGue : Pourquoi tant d’émotion autour de cette affaire ?

Fabienne Giovannini : À la mi-mai 1999, un mois après l’affaire des paillotes, le préfet Bonnet et ses complices sont en prison. L’arrestation du commando et la désignation d’Yvan Colonna comme l’assassin du préfet permet au pouvoir de reléguer au second plan cette affaire et les questions de fond qu’elle aurait dû susciter par rapport à l’action de certains services de l’État dans l’île… Deux ministres de l’intérieur successifs, Jean-Pierre Chevènement et Nicolas Sarkozy font pression sur le dossier et parlent de l’assassin du préfet. D’emblée, le postulat de la culpabilité d’Yvan Colonna est posée. La justice viole les trois principes cardinaux : présomption d’innocence, séparation des pouvoirs et secret de l’instruction. De nombreuses fuites rendent publics des éléments de l’instruction, bien sûr uniquement à charge. Mais quand la défense demande la publicité des débats pour répondre aux mises en cause, cela lui est refusé. La présomption d’innocence est bafouée par tous les pouvoirs : exécutif, législatif (commission sénatoriale), ou judiciaire (le procureur Dinthillac est à la fois enquêteur, chef de la gendarmerie, procureur… et l’ami personnel de Claude Erignac).

Le MAGue : Les charges qui pèsent sur Yvan Colonna vous semblent-elles insuffisantes ?

Fabienne Giovannini : Nous dénonçons une instruction uniquement à charge. Aucun témoin oculaire du crime (ils sont pourtant 10) n’a vu plus de deux hommes sur les lieux. Or la juge s’obstine à y impliquer une troisième personne. Un témoin qui a dévisagé le tueur à deux mètres de la scène n’a pas reconnu Yvan Colonna comme l’assassin du préfet. Son témoignage n’est pas retenu. Sans relâche, Colonna a réclamé une reconstitution de la scène du meurtre. Cela lui a toujours été refusé, sans explication.

Le MAGue : Pensez-vous que l’instruction n’a pas été faite correctement ?

Fabienne Giovannini : Dès le mois d’octobre 1998, la DNAT et les RG placent des balises sous les voitures de nombreux nationalistes de Cargese et ordonnent des écoutes téléphoniques dans l’environnement proche de Ferrandi. Les résultats innocentent Colonna. Roger Marion, chef de la DNAT et demandeur des écoutes, le commissaire Colombani, numéro 3 des RG confirment chacun, sous serment, devant les députés de l’assemblée nationale (commission d’enquête parlementaire) que Colonna n’a jamais été soupçonné… La défense a demandé en vain à plusieurs reprises le versement dans la procédure des comptes-rendus de filature et écoute, mais celles-ci auraient été perdues. Dès la mise en cause d’Yvan Colonna, les enquêteurs qui ont recueilli plusieurs témoignages concordant faisant état de sa présence à Cargese au moment de l’assassinat vont exercer des pressions sur ces témoins pour les convaincre de revenir sur leurs dépositions, etc, etc…

Le MAGue : Et pourtant, dès le départ, le Commando Erignac a désigné Yvan Colonna comme l’homme ayant tiré sur le préfet !

Fabienne Giovannini : Ses membres sont arrêtés le 21 mai 1999 et c’est durant la garde à vue qu’ils font ces révélations mais ils innocentent Colonna par la suite à plusieurs reprises avant, pendant leur procès et après. La défense de Colonna affirme que des pressions ont été exercées et que les mises en cause recèlent de nombreuses contradictions et incohérences. C’est au terme d’un processus de navettes entre différents gardés à vue que le nom de Colonna est apparu en procédure. C’est une technique dangereuse qui a déjà conduit à de nombreuses erreurs judiciaires en France.

Le MAGue : Sa fuite n’est-elle pas un aveu ?

Fabienne Giovannini : Yvan Colonna ne fuit pas à l’arrestation du commando, ni même au moment où un mandat d’arrêt est délivré le 24 mai. C’est seulement le 26 mai, quand il découvre sa photo à la une d’un grand quotidien, avec en titre : WANTED tueur de Préfet qu’il prend la décision de prendre le maquis, persuadé qu’il est victime d’une injustice. Beaucoup de gens, en Corse, en sont convaincus, et s’il a été aidé dans sa cavale c’est bien pour cela mais aussi en vertu d’une règle ancestrale d’hospitalité en Corse. C’est ainsi que pendant l’Occupation, par exemple, aucun Juif n’a été livré aux autorités sur notre territoire. C’est important de le rappeler.

Le MAGue : Que va-t-il se passer pour Yvan Colonna maintenant ?

Fabienne Giovannini : Le Comité Yvan Colonna, ses avocats, Yvan Colonna lui-même en sont persuadés : si le procès est équitable, si les arguments de la défense sont pris en compte, le procès ne peut conduire qu’à l’acquittement. La crainte du contraire est telle que même la Fédération Internationale des Droits de l’Homme a lancé une mission d’observation sur ce procès à l’instar de ce qu’elle fait dans certaines dictatures…

 

 

Au fond, cet homme a-t-il abattu le préfet ?
Puisqu’il a fui, le doute au mieux n’est pas possible,
Certains l’ont dit de suite, il est aussi leur cible
Et son procès après quatre ans les satisfait.

Mais beaucoup pour ce crime ont depuis déjà fait
De la prison pour rien, et c’est inadmissible !
Il faut que quelqu’un paye, et c’est irréversible,
On ne peut pas laisser sans blâme un tel forfait.

Mais de l’assassinat, n’était-il pas capable ?
Si c’est un activiste, il est déjà coupable
Et de sa part, ne pouvait-on s’attendre à moins ?

Au sein du groupe, on ne sait pas s’il est du nombre
D’après certains rapports qu’en ont faits les témoins,
Ce meurtre est politique, alors il reste une ombre…