Négrophobe, ça eut payé...

Négrophobe, ça eut payé...

La France - abritée derrière sa réputation de pays des droits de l’homme - est viscéralement négrophobe et cela ne date pas d’hier. Négrophobe, elle l’est, par nécessité, depuis qu’elle exploite l’Afrique, des razzias d’esclaves aux rapts d’ « orphelins », du code noir au paternalisme humanitaire. Les nuits de cauchemar, je me suis parfois demandé si un plan de déportation systématique aux Antilles et l’empoisonnement au chlordécone de tous les « nègres » de France ne traînait pas dans quelque bureau, d’où l’actuelle obsession du « comptage ethnique » pour préparer la rafle. Seulement, jusqu’ici il ne fallait pas parler de cette négrophobie nationale.

Celui ou celle qui avait le malheur de rappeler l’évidence se faisait aussitôt estampiller « anti-français » par le chien de garde de service (d’autant plus féroce s’il avait lui même honte de ses origines). J’en sais quelque chose, moi dont l’essentiel des activités consiste à traquer ce travers dont les esprits bornés ayant voix au chapitre n’imaginent pas à quel point il dessert le pays, malgré notre tradition antiraciste très honorable qui finira par prendre le dessus. Parce que figurez vous, messieurs les politiques, que « négrophobe », ça eut payé, certes, mais ça ne paye plus. Vous le verrez bien assez tôt.

Dans mon dernier essai, Les nègres de la République, je crois l’avoir assez bien expliqué : la prétendue « question noire » dont certains médias essaient de nous gaver à toutes les sauces depuis trois ou quatre ans signifie simplement qu’une poignée de bouffons complexés croient la chasse au nègre de nouveau ouverte, en France, en Afrique ou en Haïti. Mais gare si le prétendu « gibier » devient chasseur. Je constate en tout cas avec plaisir qu’on m’emboîte le pas. J’en veux pour preuve l’essai d’Odile Tobner, Du racisme français, quatre siècles de négrophobie (éditions des Arènes, sortie le 8 novembre) qui, c’est sûr, ne réjouira ni le dépressif Olivier Pétré-Grenouilleau, (aujourd’hui promu négrologue dans les pages littéraires du Figaro après une première tentative de suicide journalistique en chroniquant au Monde), ni l’atrabilaire Pascal Bruckner (inventeur de l’expression « concurrence victimaire » reprise en chœur par tous les crétins), ni aucun de leurs émules auxquels France Culture (que les « sauvages » des DOM n’ont toujours pas le droit de capter) offre un porte-voix permanent. M’étant déjà occupé du cas Pétré-Grenouilleau dans Les Nègres de la République, je pensais avoir fini le travail. Mais j’avoue que la dame lui met un coup de grâce définitif (pp 264-282). Hmmm, que c’est bon !

Après Négrophobie où, avec le regretté Verschave, elle avait magistralement mouché Stephen Smith, autre négrologue patenté, l’auteur, dans un style agréable et sans avoir la prétention d’épuiser le sujet, fait la synthèse de ces vérités jamais bonnes à dire. On retiendra son analyse - à mon sens désopilante - de la manière dont Lagarde et son copain Michard, reprenant une thèse de Condorcet, ont inventé la lecture « ironique » de la charge négrophobe et esclavagiste de l’Esprit des lois de Montesquieu. (De l’esclavage des nègres). Nul doute que le magistrat bordelais s’exprimait au premier degré, hélas, comme Voltaire et tant d’obscurantistes des Lumières. Le fait d’être sot n’empêche ni d’être français ni d’être un grand écrivain (mais d’aucuns devraient comprendre que ça ne suffit pas). La manière dont Senghor est remis à sa place n’est pas mal non plus. « Il a eu un enterrement de laquais » constate la présidente de l’association Survie. Qui dit mieux ?

L’ouvrage aurait peut-être gagné à nous donner une définition plus claire du racisme en jetant d’emblée aux tinettes le concept méphitique de « race humaine », que des psychopathes essaient aujourd’hui de nous re-parfumer. Mais l’ancienne compagne de Mongo Beti n’a sans doute pas osé crier haut et fort que les « noirs » d’un côté les « blancs » de l’autre, c’est une jolie foutaise. Cela conduit à utiliser de temps en temps - malgré elle semble-t-il - ces catégories douteuses tout en les récusant. Elle est bien indulgente, aussi, pour Jean-Paul Sartre, digne neveu d’Albert Schweitzer. On lui pardonnera parce qu’en refermant son ouvrage (j’ai commencé par la fin – l’exécution de Pétré-Grenouilleau - sans m’apercevoir qu’elle me rendait hommage au début) on a le sentiment que la brèche est ouverte. Bref, Du racisme français est un essai bien ajusté et réconfortant qui donne une furieuse envie d’en remettre une couche.