Djihad - Nouvelle

Djihad - Nouvelle

Cette nuit-là, le froid était terrible. Je remontais mon col et rajustais mon cache-nez en cachemire. Des petits ronds de vapeur s’échappaient de ma bouche entrouverte, tandis que quelques gouttes de pluie entamaient doucement une valse lente autour de moi. La colère commençait sérieusement à me gagner. Fadila exagérait vraiment, mais ce n’était point là une nouveauté. J’avais toujours supporté ses lubies de gosse de riche et, cette nuit encore, je continuais à subir.

Les rares passants, qui empruntaient cette rue pour rentrer chez eux, me regardaient bizarrement en accélérant instinctivement le pas. Ils devaient me prendre pour un cinglé ! J’avoue que j’en aurait fait de même. Qu’est-ce qu’un homme censé être normal pouvait bien faire à une heure aussi avancée, par un temps pareil, sous l’unique réverbère d’une rue algéroise pas très fréquentée ? Il était 21 heures. Une bouffée de haine violente, à l’égard de ma putain de campagne, m’envahit tout entier. Elle m’avait vraiment gonflé les couilles. J’en avais marre cette fois-ci de laisser mon orgueil dans ma poche. Ce n’est pas parce qu’elle m’entretient que je dois lui obéir comme un aveugle ! M’étais-je dit en ce moment. Merde, pourquoi ne l’avais-je pas larguée depuis un bon moment ? Mais qui t’aurait hébergé et nourri espèce de looser ? Me répondit une voix.

Bon, ce qui est fait est fait, me suis-je dit. J’avais failli lui casser la gueule à cette tata de mon cul. Heureusement, je m’étais bien contrôler car avec les connaissances qu’elle avait je me serais retrouvé en tôle à la vitesse grand V.

Bref, après une dispute de plus j’avais claqué la porte du maudit appart. Et si je partais noyer ma colère dans un verre de whisky ? Non, reviens à ta raison ton accoutumance aux bars bousillera ta vie, me dit encore la voix. J’avais décidé donc d’aller me dégourdir un peu les jambes et de louer ensuite un beau film DVD. Je croyais que ça pouvait me remonter le moral. Quant à ce qui m’était arrivé par la suite, je préfère laisser le soin à mon alter ego de vous le raconter.

*

Je remonte tranquillement la rue d’Isly. Je la traverse en diagonale, me dirigeant vers ma vidéothéque habituelle. À l’angle de cette même rue, face au bar restaurant " Les Algérois", alors que mon esprit se vide de toute pensée, mon pied heurte un objet. Je regarde au sol et me rends compte qu’il s’agit d’un téléphone portable, dans sa housse noire et rigide. Je le ramasse et continue mon trajet. Le téléphone est allumé. C’est un vieux modèle, particulièrement abîmé. Un Nokia 33 quelques choses Le menu a été retravaillé et l’interface est
" ALLAH OAKBER " dans la déco.

Je souris. Je pense immédiatement à ce que je dois en faire. Il ne m’appartient pas et je ne tiens pas à le conserver. Je jette un œil dans le répertoire. Deux noms seulement apparaissent : Hamza et Karim. Je regarde les derniers numéros appelés : Hamza, trois fois et un numéro de portable non répertorié. Je passe devant la Poste. Je pense à déposer l’étui dans la boîte aux lettres. Ainsi, demain matin, lorsqu’un agent viendra relever cette boîte, il verra le portable et le fera suivre au commissariat ou ailleurs. Mais rien ne rentre pas la fente de la boîte.
J’imagine que le propriétaire est un jeune algérois, barbu, coiffé à l’afghane, les moustaches teintes avec de la henné, psalmodiant à longueur de journée des sourates dans une petite mosquée d’un quartier affamé. Putain, t’es pas du tout bourré de préjugé toi ! Mais bien sur que non petite voix, je vois déjà le mec se démenant sur son Coran comme un hard rocker aliéné sur guitare électrique. Je l’imagine facilement en train de chercher à son kamis, se rendant compte qu’il a perdu son portable fétiche.

En cogitant ainsi Je me vois enfin arriver devant la vitrine de ma fameuse vidéothèque. Il y a un peu de monde. Je ne dois pas être le seul à avoir envie de tremper son ennui dans une bière fraîche tout en regardant un beau film ! Â Alger, ces derniers temps les films s’écoulent comme des capotes. Â croire que le cinéma a remplacé le sexe dans la vie des algériens ! Enfin, c’est une hypothèse.

J’en profite des lors pour regarder le menu " jeux " du téléphone. Mon bon vieux serpent est là. Je lance une partie en attendant. Mes réflexes reviennent. Je bas le record. Les tableaux défilent. Mes doigts s’agitent avec une telle dextérité que j’en oublie mon tour dans la file d’attente. Heureusement, le « vidéothécaire » me rappelle à l’ordre. Je demande son avis sur certains films. Comme d’habitude, le jeudi soir, la plupart des films ne sont pas disponibles. Et évidemment celui que j’avais projeté de voir n’y est pas non plus. Derrière moi, je remarque quelqu’un avec un VCD en main. Manifestement, il est là pour le restituer... On ne sait jamais...

- S’il vous plaît ?
- Oui, me répond-il, désabusé et étonné que je m’adresse à lui.
- Ce n’est pas " Kama-Sutra ", par hasard que vous rendez ?
- Euh, non, pas vraiment, non, répond mon interlocuteur.

Zebi, là je suis vraiment dans la merde. J’en reviens à ma recherche. J’ai peur de ne pouvoir assouvir ce soir mes pulsions hollywoodiennes. Il n’y a rien, à part des films que j’ai déjà vu. Le téléphone sonne. J’avais mis l’étui dans la poche arrière de mon jean. Il sonne à n’en plus pouvoir. Je pense que mon Frère Musulman doit avoir les tympans pétés, parce qu’il a mis le niveau de sonnerie le plus élevé. Et quelle sonnerie : un appel à la prière ! En plus, il vibre. Mais dans l’étui, cela ne sert pas à grand-chose…

En même temps que je commande mon film, je me décide à répondre au téléphone.

Allo ?

- Oui, allo ? Me répond une voix étonnement féminine !!
La voix reprend :

- Vous, vous avez trouvé le portable ? Dit elle, avec précipitation.
- Oui, je, enfin, je l’ai entendu sonner et je l’ai ramassé pour y répondre.
- Où êtes-vous ? Me demande la voix.
- Je suis à Rue d’Isly, et vous ?
- Je, je suis partie d’Alger, mais il faut ABSOLUMENT que je récupère mon portable dès que possible. Vous restez dans le coin, ou…. ??
- J’habite les environs. Si vous voulez, je peux le déposer dans un magasin, ou n’importe où vous le souhaitez, et…
- Non, surtout pas. Gardez-le, gardez-le jusqu’à ce qu’on vous rappelle...
- Très bien.

Et la voix raccroche. Je prends mon film et je me barre. Machinalement, je replace le portable dans ma poche. Deux solutions s’offrent à moi : soit je l’abandonne sur un trottoir ou n’importe où ailleurs, soit j’attende qu’il sonne à nouveau. Le temps que je marche quelques pas, il se met de nouveau à m’interpeller. Or, ce n’est plus la même voix féminine.

- Allo ?
- Oui, c’est vous qui avez le portable ?
- Euh, oui. Que voulez-vous que j’en fasse ?
- Ecoutez, me dit la voix voluptueuse qui me fait déjà saliver, ne bougez surtout pas. Où êtes-vous ?
- Je, je suis à la Rue d’Isly.
- Très bien. Ne bougez pas, je suis là dans deux minutes. Je vous ferai signe. Placez-vous devant la vidéothèque "Samy". Je passerai en voiture. Vous me donnez le portable et c’est terminé.
- Euh, je ne...
- Ne discutez pas. C’est TRÈS, TRÈS important.
- Euh, je, très bien, je vous attends.

La voix raccroche. Je me redirige vers la vidéothèque, étrange point de rendez-vous. La peur m’envahit. Finalement, je décide de m’éloigner quelque peu et d’observer la scène à distance. Assis sous un arbre et sur un trottoir, à l’opposé de la vidéothèque, je défais l’étui. Le téléphone jusqu’ici d’une banalité à faire peur devient un véritable objet d’inquiétude entre mes mains. Dans quoi suis-je tombé ? J’ai vraiment pas besoin de ça ce soir.

Après tout, personne ne sait que c’est moi qui l’ai ce putain de portable. Mais pourquoi donc l’ai-je gardé ? J’aurai dû le laisser là où il était et les laisser se démerder ces " islamistes "… De toute manière, je n’irai pas au point de rendez-vous, mais j’attendrai sagement que la voiture passe.
Je me décide à inspecter de plus près ce téléphone. Rien. Il n’y a rien de suspect ou de si important. Je passe tous les menus en revue, vérifie les mémos, les éventuels rendez-vous, voire l’agenda, mais comme je m’y attendais, tout est vide. Lorsque je le remets dans son étui, je remarque une petite poche intérieure bloquant quelque peu l’accès au portable. Je sors l’appareil et inspecte de plus près l’intérieur noir et rigide de cet étui. À ce moment-là, une Mercedes noire passe lentement devant moi. Les vitres sont tentées, impossible de voir à l’intérieur. Je me cache calmement derrière un petit arbre. Ils ne peuvent pas me voir. Ma décision est prise, j’abandonne le portable dès qu’ils sont passés. Je rentre chez moi et je regarde mon film.

D’ailleurs, ma charmante femme va commencer à s’inquiéter. La voiture s’est arrêtée. Elle semble m’attendre. Mais je ne bouge pas. Soudain, le téléphone se met à sonner. Je suis surpris. Je n’y avais pas pensé et je n’ai évidemment pas baissé le volume de la sonnerie. Je suis foutu. Espèce de Hmar !

Une portière s’ouvre. Un colosse barbu en kamis vient vers moi. Je suis toujours derrière mon arbre. Je tente de remettre le portable dans son étui et arrache en même temps ce qui l’empêchait de passer. Je glisse le portable dans ma poche et improvise une stratégie de défense.

- C’est toi qui as le portable ? Me demande le colosse.

- Oui, oui, le voici.

Au moment où je lui tends l’étui contenant le désormais fameux portable, des flics sortent de partout : c’est l’attaque ! De la brasserie à ma gauche, de la vidéothèque, de la pizzeria encore ouverte, de la rue en face de moi et de derrière. La plupart en civil, arborant fièrement leur armes à feu au bras. En deux temps, trois mouvements, je me retrouve, ainsi que mon acolyte face au mur, les mains dans le dos, pris en flagrant délit de je ne sais quoi.

Leurs méthodes ne sont pas douces. Je suis plaqué, face contre la pierre qui me laisse une trace sur la joue. Ma tête est écrasée, mes bras tenus derrière mon dos par une paire de menottes très, très serrées.
Je tente une riposte... Orale :

- Écoutez-moi, écoutez-moi, wellah je n’y suis pour rien !

- Ta gueule, nique oumek ya oulid elkahba, t’es un terroriste, t’étais là, on t’a vu. Tu es pris en flag. Tu vas venir au poste avec ton Emir…

- Je ne le connais pas, je vous jure, je ne le connais pas. J’ai juste trouvé...

- Ta Gueule j’ai dit ! Rabek ! hurle le mec de la sécurité. Tu viens et tu te tais.
- Mais, il faut que j’appelle ma femme, j’étais juste sorti pour un DVD…
- Monte dans le véhicule.

Je monte. Mon Emir est en face de moi. Je sens qu’il m’en veut. J’en suis certain maintenant puisque je lis dans ses yeux l’envie irrémédiable de m’étrangler, ah pardon de m’égorger. Par chance, il est, lui aussi, attaché.

On nous emmène. Je ne comprends rien. Quel Emir et quel terroriste ?! Je ne sais pas pourquoi j’ai ramassé ce téléphone, pourquoi j’ai fais le curieux, mais c’est promis, je ne m’occuperai plus que de mes affaires à l’avenir. Je m’en veux surtout de m’avoir comporté comme un salaud avec ma femme qui doit être à l’heure qu’il est très inquiète. Mais si elle appelle la police, au moins je sais qu’ils sauront lui dire où je suis ! Elle a ses connaissances, elle pourra j’espère me sortir de ce merdier.

Arrivé au commissariat, je suis enfermé dans un bureau lugubre. Vont-ils me torturer ? Rien qu’en y pensant, j’ai commencé à chialer.
Ça fait plus de trois heures que je suis enfermé, sans eau ni bouffe. Je commence à m’agiter. Je n’ai rien fait, et je n’ai rien à dire. Je repense évidemment à cette
" boule " dans l’étui. Qu’est-ce que c’était ? Est-ce toujours en place ?
J’ai l’impression d’avoir cassé quelque chose en remettant le téléphone… Mais je pense que c’est ce que cherchent ces policiers. S’il y a effectivement quelque chose, je suis mort, s’il n’y a rien, je suis libre, et mort ensuite, tué par les terroristes qui penseront que je les ai volés…. Donc, dans tous les cas, je suis mort.

Les heures passent. J’ai terriblement faim. Les flics me sortent enfin de cette maudite pièce. Je n’en peux plus et espère enfin une bonne issue à cette histoire tout bonnement sordide. Malheureusement, je garde mes menottes. Je remonte dans le véhicule. C’est une reconstitution qui s’annonce. Je commence à comprendre. Il me semble que mon "Emir " soit un terroriste très recherché. Les flics pensent avoir pêché le contact (moi en l’occurrence) mais n’ont finalement rien trouvé dans l’étui. Reste à savoir ce qu’ils cherchent réellement. Et la réponse, si je me souviens bien doit être sous l’arbre derrière lequel je me cachais. Mon objectif immédiat, voir si l’étui est resté sur place et le cacher au plus vite.

Le fourgon dévale les rues de la capitale dans un tumulte que seuls les cow-boys du far-west connaissent.
Arrivée à la rue d’Isly. Un attroupement de policiers s’est formé comme si on venait de faire échouer un terrible attentat. J’apprends que ma femme a été prévenue. Elle doit être inquiète. Putain, quand je pense que je ne suis sorti que pour louer un film…
La reconstitution débute. L’Emir donne sa version des faits :

" Il m’a appelé pour me proposer un rendez-vous. Je l’ai prévenu de mon arrivée dans une voiture noire. Lui me signale être caché à l’autre bout de la place, là-bas, avec la marchandise. Je vais vers lui et la lui réclame. "

- C’est faux !!! Complètement faux !
- Ta gueule, tais-toi pour l’instant. On verra ça plus tard. Donc, toi, tu es arrivé dans ta voiture, continue-t-il pour prendre ce qu’il avait pour toi ?
- Oui, c’est ça, répond l’Emir. C’est exactement ça. Il devait me donner la commission, c’était cela sa mission.
- Très bien. À toi.

- Vas-y, raconte ta version des faits, dit le flic plus calmement, alors que cet enculé d’Emir s’était éloigné vers la fourgon, afin qu’il ne puisse entendre mes propos.

Je commence à sentir un léger soupçon de compréhension voire de compassion chez mes interlocuteurs. Peut-être savent-ils au fond d’eux-mêmes que je n’ai absolument rien à voir dans cette histoire ! Je le souhaite fortement. Je n’ai pas quand même la gueule d’un terroriste.
- Ok, j’étais parti louer un film pour la soirée. Ma femme est à la maison, là-bas, pas loin d’ici. En passant la Rue d’Isly, je trouve ce portable que je garde machinalement. Puis il s’est mis à sonner. J’ai répondu et obtempéré afin que son propriétaire, l’énorme menteur, ce fou d’Allah, vienne le récupérer. C’est tout ! Je n’en sais pas plus ! Je...

- Tu mens. Il y avait une petite chose importante dans l’étui. Un message codé comprenant tous les renseignements pour préparer un prochain attentat Après être passé entre tes mains, cette petite chose a disparu. Je pense que tu joues bien ton jeu, me dit l’inspecteur. Mais tu es dans la merde jusqu’au cou. Si tu ne me dis pas ce qu’il y avait avec le téléphone, on va te pourrir le reste de ton existence…
- Je, je, mais non ! Je vous assure, je…

- Tais-toi. Montre-moi l’endroit où tu as trouvé le portable.

En me dirigeant vers l’endroit précis, j’aperçois sur ma gauche, à vingt mètres de là, sous l’arbre et son socle un petit étui noir dépasser. Je panique. Je ne sais pas si je dois leur dire. Serais-je ainsi dédouané ? Ou au contraire vais-je passer pour un idiot et rester entre leurs mains ? Je prends le parti de me taire pour l’instant en me disant qu’à un moment ou un autre, ils seront bien obligés de me croire !

- Voilà, c’est ici. Je l’ai trouvé là, dis-je en désignant le sol.
- Ici ? Interroge l’inspecteur.
- Oui, là, exactement, mais vous savez, c’est une pure coïncidence que j’ai pu être là à ce moment. Renseignez-vous, je n’ai rien à voir avec quoi que ce soit d’illégal, au contraire, au contraire….

Je commence à m’apitoyer sur mon sort. Je craque littéralement lorsqu’ils m’apprennent avoir enquêté sur mon passé.
- Où avez-vous passé les deux derniers jours ? Reprends soudain l’inspecteur.

- Je, j’étais dans les parages, chez moi et chez des amis. Ni plus ni moins.

- Tu penses qu’on va te croire ? Tu le sais aussi bien que nous. C’est la déroute de ton groupe : le GSPC. Tu n’es pas le seul à débiter autant de bobards dans une même journée, alors arrête de nous prendre pour des petits cons, tu veux ?
Alors là, c’est le summum. C’est un cauchemar. Je serai donc allé au maquis pour épauler mes frères du GSPC dans leur Djihad !
- Vous n’avez rien d’autre ? Franchement… Ben Laden est un ami intime. Il m’offre des cadeaux à chaque anniversaire. ET Mollah Omar ? C’est mon parrain. Il est encore venu la semaine dernière me voir...
Deux énormes gifles me frappent.

- Espèce d’enculé, me dit le chef. N’aggrave pas ton cas. Tu es déjà dans la merde la plus noire et je te promets de ne pas te faciliter la vie. Ton humour à deux balles, t’inquiètes pas, on nous l’a déjà sorti. Je connais cette méthode. Laisses tomber, il peut te coûter très cher.
- Mais, non, non, je suis désolé, je n’aurai pas dû...

- Non, c’est certain, tu n’aurais pas dû... Donc, reprenons, toi tu es assis ou quand la voiture arrive ?

- Ben, je, euh, je n’étais pas très rassuré. Je ne savais pas à qui appartenait ce téléphone et je décide de me cacher et de ne pas me rendre au point de rendez-vous initial, c’est-à-dire devant la vidéothèque. Je me cache là-bas, en désignant l’arbre de mes deux bras liés...
- Viens avec nous.

Evidemment, mon embarras ne cesse d’augmenter. Mais là, au point où j’en suis, il est peut-être temps de dire la vérité et de collaborer…
- J’ai quelque chose à vous dire, s’il vous plaît...
- Enfin, tu te résignes ! Vas-y, parles ! Me répond le chef.
- Je, je crois savoir où est ce que vous cherchez, mais….
- Mais quoi ? Hurle l’Inspecteur.
- Mais, je veux que vous me croyiez. Je n’ai rien à voir, je vous l’assure. Je ne sais même pas de quoi on parle, ni ce qu’il pouvait y avoir dans cet étui. Je pense simplement savoir où c’est. Si je vous le dis, vous me… ?

- Quoi ? Tu veux qu’on te libère, c’est ça ? Maintenant, tu n’as plus trop le choix mon ami. Tu veux retrouver ta petite vie de merde ? Repartir te coucher ? Jouer ton rôle de citoyen ordinaire. Tu as plutôt intérêt à parler, sinon on te coffre pour acte terroriste.
Je suis coincé. Décidément, agir dans la précipitation ne me réussit guère. J’aurai dû y penser : ils sont inflexibles. Je suis bloqué. Je me jette à l’eau. C’est aussi un moyen de savoir ce qu’il y a enfin dans cet étui, de comprendre pourquoi ? Pourquoi tout ce merdier !

- Alors, j’attends ! Tu vas te décider ou je t’aide ?

- Je, oui, oui je vous y emmène, c’est là-bas, là où je les attendais… Je crois que... Que quelque chose est tombé, tout à l’heure quand ils m’ont appelé, ne me voyant pas. Mais je vous assure, je…
- Je sais, tu n’y es pour rien. VA te faire foutre avec tes pleurs. Tu ne nous auras pas. On sait qui tu es maintenant. Les informations arrivent et confirment notre impression première. Tu es un terroriste. T’es démasqué. Tu vas croupir en tôle. Crois-moi, j’y veillerai personnellement. Sauf évidemment si tu collabores. Et tu as plutôt intérêt, vu la merde dans laquelle tu es… Alors ?
- Oui, je, oui, c’est là. Venez. Là, regardez. Sous l’arbre. Quelque chose, là qui dépasse. C’est, c’est çà ?

Je me tiens debout, encadré par deux policiers cent fois plus costauds que moi. Le chef semble visiblement satisfait de lui. Il pense avoir fait craquer un dangereux terroriste ou je ne sais quoi. C’est sa victoire tout entière et je vais être livré à la justice. Je ne sais pas ce qu’ils pourront retenir contre moi, si ce n’est le fait que j’ai été pris en flagrant délit de contact avec un Emir du GSPC qui semble néanmoins attirer les trois-quart des équipes de la police algérienne ce soir. C’est visiblement très grave ce qui m’arrive. Je me retrouve dans un engrenage infernal.
Le chef est là, debout devant moi. Je suis toujours menotté, les deux bras ballants. Mes deux gardes du corps ne me quittent pas. Le fourgon avec l’Emir est garée à trois mètres sur la place. J’aperçois le colosse qui me bouffe littéralement des yeux. Je crois qu’il m’en veut beaucoup. C’est un cauchemar. Vraiment.

Le chef voit un minuscule écrin noir. Cet écrin est long, filiforme, recouvert d’un tissu noir, comme du velours. Pas plus grand qu’une gomme... Je ne comprends pas comment j’ai pu ne pas le voir, pendant tout ce temps. Il y avait dedans une petite feuille sur laquelle était inscrit le numéro d’un compte bancaire. Il le prend dans sa main. Il se retourne, me regarde et dit :

- C’est bien çà ? C’est çà que tu devais cacher ? Salaud. Allez, vas-y, dis-moi ? C’est comme ça que vous comptiez financer vos prochains attentats, votre satanique djihad.

- Mais, mais non !!! Je, je ne comprends pas. Je ne sais même pas ce qu’il y a là-dedans.

- Oh que si tu le sais. Tu le sais mieux que quiconque. Qu’attends-tu, dis-moi comment comptiez vous procéder ?

- Mais je vous assure que….. Qu’est ce qu’il y a dans l’écrin ?
- Ne me prends pas pour un abruti, je te l’ai déjà dit.

Un énorme coup derrière ma tête me fait tomber à genoux. Je titube, tombe et mon regard ne lâche pas le chef de la Police en charge de ce superbe coup de filet.

Je commence à pleurer. Je pense plus que jamais à ma femme. Mais je la sens près de moi. L’Emir est assis, mort de rire. Il sait que je ne suis pour rien dans cette histoire. Mais il jouit de mon malheur.

- Regardez-le, dis-je au flic. Il, il sait que je suis innocent…