Littérature : RIMBAUD & JIM MORRISON, PORTRAIT DU POETE EN REBELLE

Littérature : RIMBAUD & JIM MORRISON, PORTRAIT DU POETE EN REBELLE

Sans doute, l’intérêt de cet ouvrage tient à la personnalité de l’auteur : Wallace Fowlie, éminent professeur, enseignait la littérature française à l’université de Duke (Caroline du Nord). La genèse de ce « Rimbaud § Jim Morrison », sous-titré « Portrait du poète en rebelle », est peu banale. En 1968, Fowlie reçoit une lettre d’un certain Jim Morrison, le remerciant chaleureusement d’une traduction des œuvres de Rimbaud. Le « Roi Lézard » conclut ainsi sa lettre : « Je suis un chanteur de rock et votre livre m’accompagne dans tous mes voyages. » 14 ans plus tard, soit 11 ans après la mort du chanteur, l’universitaire, spécialiste des poètes symbolistes, découvre la musique des Doors. Son ouvrage sort quelques années après l’excellent film « The Doors » (1991) d’Oliver Stone.

A la fois essai et étude biographique, cette réédition de « Rimbaud and Jim Morrison : The Rebel as Poet » (Duke University press, 1994) permet d’approfondir deux mythes littéraires. A la fois informatif et métaphysique, le livre aborde de façon originale ces deux monstres sacrés de la poésie. Un rapprochement d’autant plus pertinent que le chanteur des Doors était un fervent admirateur de l’œuvre de Rimbaud. En outre, sa vocation de poète s’avérait liée à son profil de chanteur de rock. On puisera donc dans ce « Rimbaud & Jim Morrison » de troublantes similitudes entre deux vies incertaines, deux univers poétiques… Le Rimbaud, qui vagabonde place Maubert et le Morrison, qui erre dans les bars minables de Los Angeles semblent inextricablement possédés par la même folie. (A propos de la personnalité borderline de Morrison, l’on pourra lire le passionnant document « Janis Joplin et Jim Morrison face au gouffre » de Gerald & Ralph Faris, publié aux éditions Le Castor Astral, 2007.) Les deux poètes se rencontrent également par un style presque cinématographique, à la fois aérien et inquiétant.

Fowlie, en discret explorateur, part donc à la recherche des deux poètes géants, tentant de déceler la part de gémellité tout en soulignant leurs différences. Morrison met en scène les textes poétiques de ses chansons dans un contexte théâtral rock. Il est en quelque sorte un chaman - le nom de son groupe The Doors a pour origine une citation du poète William Blake (1). Quant à Rimbaud, Fowlie le perçoit comme un « poète prophète, fasciné par le tumulte des cités et le mouvement incessant dans les rues ». En outre, il établit d’intéressantes passerelles entre des poèmes de Rimbaud comme « Le pauvre songe » et certains titres du premier album des Doors.

Fowlie apporte un nouvel éclairage dans sa conclusion intitulée « Les masques de l’anti-héros moderne : Rimbaud et Jim Morrison ». Il évoque justement l’image de l’artiste narcissique, à la fois acrobate et clown. Il écrit : « Les voyous-poètes [Fowlie adjoint Villon à Rimbaud et Morrison] ont tous exprimé le refus, cabotin et timide à la fois, propre aux jeunes. »

Sans doute, le vieux professeur - mort en 1998 - a rendu dans son Portrait du poète en rebelle un bel hommage au jeune inconnu de la lettre de 1968… En tout cas, il en résulte un livre fort instructif sur deux monstres de la modernité littéraire : Rimbaud et Morrison.

(1) « Il y a des choses qui sont connues et des choses inconnues : entre elles, il y a des portes. »

Rimbaud & Jim Morrison « Portrait du poète en rebelle », Wallace Fowlie, éditions Hors Commerce, collection « Hors Bleu », 2007. Prix : 16, 50 euros. Nombre de pages : 208

Annexe : extrait d’une interview de Jim Morrison par Bob Chorush (Los Angeles Free Press, printemps 1971)

Bob Chorush : Les Nouvelles Créatures. Il y a beaucoup de créatures dans tout ce que vous faites. Des lézards, des serpents, des peaux de serpents. Ça fait partie de votre réputation. << Le Roi Lézard. >> Comment tout cela a-t-il commencé ?

Jim Morrison : J’avais un livre sur les lézards, les serpents et les reptiles en général, et la première phrase du livre m’a captivé : « Les reptiles sont les descendants d’ancêtres magnifiques. » Une autre chose qui m’étonne, c’est qu’ils sont de parfaits anachronismes. Si tous les reptiles du monde disparaissaient demain, cela ne changerait pas vraiment l’équilibre de la nature. C’est une espèce complètement arbitraire. Je crois qu’ils pourraient survivre, si toutefois quelqu’un ou quelque chose le pouvait, à une autre guerre mondiale ou à un quelconque empoisonnement global de la planète.

Je crois que les reptiles trouveraient un moyen d’y échapper. Il ne faut pas oublier non plus que le lézard et le serpent sont identifiés avec l’inconscient et les forces du mal. Ce long poème, The Celebration of the Lizard, était une sorte d’invitation aux forces de la nuit. Mais tout cela est ironique. Je crois que les gens ne s’en rendent pas compte. Il n’y a pas à le prendre au sérieux. Comme quand on joue le méchant dans un western, cela ne veut pas dire que c’est vous. C’est juste un aspect de soi qu’on met en spectacle. Je ne prends pas tout ça au sérieux. En principe, c’est de l’ironie.

Mais sur le fond, j’ai toujours aimé les reptiles. J’ai grandi dans le Sud-Ouest, et j’ai souvent attrapé des lézards ou des crapauds. Évidemment, je ne pouvais pas m’approcher aussi près des serpents. Je veux dire, on ne joue pas comme ça avec un serpent. Il y a au fond de la mémoire humaine quelque chose qui réagit violemment au serpent. Même pour qui n’en a jamais vu. Je crois que le serpent incarne tout ce dont on a peur. C’est pourquoi c’est si à la mode. Il en a toujours été ainsi.