PASSER LE PONT, de Pia Petersen, la femme écrivain que je préfère (entres autres ;)

PASSER LE PONT, de Pia Petersen, la femme écrivain que je préfère (entres autres ;)

Ce que je sais d’abord de Pia Petersen, c’est ce que
j’ai pensé d’elle la première fois que dans un salon
du livre, nous nous sommes croisés : "Tiens, voilà une
belle fille !" J’ai ensuite remarqué ses yeux vairons,
qui signent la rareté de son regard, puis son accent
étranger lorsque nous avons échangé quelques paroles
de convenance.

Comme elle était habillée avec élégance, j’ai cru
que Pia était de ces auteures snobinardes qui font la
vie parisienne... et comme je n’y comprends rien en
étrangers d’au dessus d’Aix en Provence, je me suis
imaginé qu’elle était Anglaise, parce que ça se fait
beaucoup...

Que nenni ! Pia est en fait pauvre comme Job, comme
Van Gogh et comme moi, mais elle fait l’effort de
s’habiller en dimanche pour aller dédicacer car elle a
compris que nous vivions dans un monde d’apparence !
Elle m’a d’ailleurs gentiment conseillé depuis d’en
faire autant, et c’est vrai que quand je me rase je
vends aussitôt davantage de livres... Ce qui me désole
mais ravit le libraire.

Pia n’est pas non plus Anglaise ni Parisienne : j’ai
découvert qu’elle était native du Danemark et vivait à
Marseille, à deux pas de chez moi... ce qui fait que
depuis cinq ans que nous nous croisons tous les
week-ends sur les routes disparates de la littérature
hexagonale, il nous arrive en semaine de nous
retrouver encore pour l’apéro dans quelque troquet du
vieux-Port.

Pourtant, en quatrième de couverture, son éditeur
précise qu’elle "se partage entre Paris et Marseille",
afin de faire sérieux sans doute. Car Actes Sud, qui
se démène depuis Arles, n’est pas le dernier à savoir
que dans le monde du livre, pour "marquer bien" -
comme on dit chez nous - et avoir le droit d’exister
un peu, il faut avoir l’air parisien quelque part.

Mais malgré les efforts conjugués de Pia et de son
éditeur pour que ses livres lui rapportent un jour
suffisamment pour avoir les W.C ailleurs que sur le
palier, je trouve qu’ils ne s’en vend pas assez
comparé aux biographies de Clara Morgane. Disons-le
tous net, il faut sauver les quelques bons auteurs qui
comptent dans ce pays ! Et dont fait partie la
coquette Pia, qui passe un an de sa vie pour écrire un
livre !

Après "Le jeu de la facilité", "Parfois il discutait
avec Dieu" et "Une fenêtre au hasard", elle vient de
voir publié son quatrième roman, toujours chez Actes
Sud : "Passer le pont". Il s’agit comme d’accoutumée
d’un portrait remarquable de l’humanité, à travers le
regard d’un être en perdition. Un miroir déformant
comme pour nous obliger à voir autrement... C’est une
obsession chez Pia Petersen, qui écrit volontiers au
"je" pour créer l’empathie du lecteur avec des
personnages pour lesquels on n’aurait peut-être pas un
regard en réalité. C’était déjà le cas avec le
clochard de "Parfois il discutait avec Dieu" ou la
pauvre fille seule et bientôt à moitié folle d’"Une
fenêtre au hasard"...

Ici, tout commence par un incident de parcours hélas
bien banal, l’arrivée d’une lettre de licenciement.
L’"héroïne" du roman a beau en retarder l’ouverture,
elle devine le contenu du pli et que sa vie va
basculer... Alors ce n’est que le début d’une remise
en question sans précédent, et dont je ne vous
dévoilerai pas davantage : tout est dans le livre !

Mais pour finir cependant, que vous dire du style de
Pia Petersen ? Je le trouve très original, comme
souvent nos auteurs "étrangers" savent donner
d’autres couleurs à la langue française. Une façon
d’écrire qui vient sans doute d’une certaine façon
d’appréhender la langue, franche et sans complexe.

Une
certaine distance avec les convenaces et l’académisme,
mais toujours le mot juste et la pensée exacte,
finissent de faire de ce nouveau roman de Pia Petersen
un petit bijou qui lui ressemble, lent et précieux
comme un travail bien fait !

Voilà ! Si vous ne saviez pas quoi lire ce soir,
vous ne pourrez plus le dire...