Dubrovnik : voyage en l’ancienne Raguse

Dubrovnik : voyage en l'ancienne Raguse

Vous en avez entendu parler lors de la guerre civile qui foudroya les Balkans dans le milieu des années 1990. Elle fut martyrisée et, tout comme sa sœur du Levant, releva la tête pour arborer aujourd’hui le visage merveilleux de son histoire réhabilitée. Ce splendide album vous fera découvrir les trésors de cette ville de Moyen Age.

Depuis ses origines jusqu’à nos jours, la position géographique exceptionnelle de Dubrovnik détermina son destin. Dans ses Mémoires, le maréchal Marmont a écrit qu’on ne pourrait pas imaginer une ville aussi belle, ni aussi importante par sa position stratégique. L’armée française y fit d’ailleurs son entrée, en 1806. L’occupation par les troupes de Napoléon provoqua le blocus du port et la faillite du commerce ; et, le 31 janvier 1808, le maréchal Marmont, duc de Raguse, proclama la dissolution du Sénat.

En 1815, au congrès de Vienne, la tentative de reconstruire la République ragusaine échoua ; la ville, comme toutes les régions croates occupées par Napoléon, fut annexée par l’Autriche.
Dubrovnik partagea désormais le sort des terres croates. Son histoire continua, mais la légende de son architecture s’arrêta avec la perte de son indépendance.

C’est cette aventure qui vous est rapportée ici dans ce livre - à la couverture envoûtante présentant les tours d’angle sud-ouest de l’enceinte - qui s’ouvre sur une double page d’une vue aérienne. Tous les toits détruits pendant la dernière guerre ont été reconstruits à l’identique grâce à l’action de l’UNESCO. L’extraordinaire couleur des tuiles claquant sous le soleil, comme un écho sur la mer limpide et transparente, portées par la blancheur des pierres des fortifications, est là pour nous avertir que nous sommes en partance pour le sublime ... Bouchée bée, déjà, dès la première page : le monde est arrêté ici bas dans le calme bloc de cette cité tranquille qui semble sortie d’un conte.
Ragouze, est la meilleure ville & Cité de Sclauonie, pour estre fort marchande, & ville de passage, pour aller en Constantinople, tant par mer que par terre : elle s’apelloit iadis Epidaure, elle est située au bas d’vne grande montagne & à ses deux extremitez il y a deux montagnes. ("Le Sainct Voyage de Hiérusalem et Mont Sinay, faict en l’an du grand Jubilé, 1600 ..." par RPF Henry Castela, Bordeaux-Paris, L. Sonnius, 1603).

La ville de Dubrovnik fascine, à juste titre, par la qualité et la couleur de sa pierre. Les monuments ragusains les plus importants - fortifications, palais publics, couvents et églises, maisons et palais privés - sont construits dans la pierre qui vient de l’île de Korcula et son archipel, notamment des carrières de Vrnik et Kamenjak. On en extrayait la pierre blanche bien avant que Dioclétien y eût envoyé les chrétiens de Salone au lieu de les condamner à mort.
A partir du XIVème siècle, l’importation de la pierre de Korcula à Dubrovnik entraîne l’arrivée des tailleurs de pierre et des sculpteurs de cette île ; elle facilite en même temps la diffusion de leurs propres motifs sculptés, transmis de génération en génération.

Mais Dubrovnik, c’est avant tout une position stratégique qui permettait de garder le contrôle des grandes voies maritimes et terrestres ; et c’est pour cela que les intérêts de Venise et des Ottomans s’y croisèrent. Dubrovnik eut plusieurs tutelles : Byzance jusqu’en 1205 puis Venise jusqu’en 1358. République indépendante sous les rois hongrois au XVème siècle, cette cité-Etat parvint à garder sa liberté jusqu’à l’arrivée de Napoléon en 1806.

Le mot slave Dubrava, dont dérive le nom de Dubrovnik, qui a fini par se substituer aux différentes appellations que la ville a connues au cours des siècles, désignait la forêt de chênes verts qui, à l’origine, environnait la ville et que les écrivains de la Renaissance ragusaine peuplèrent de fées et de satyres, comme d’êtres bien réels, bergers et paysans slaves. Ainsi, paradoxalement, un paysage de verdure vint à donner son nom à une ville qui n’est que de pierre.
Une des nombreuses anecdotes qui peuplent le récit de Nada Grujic. Cette professeur d’histoire de l’art de la Renaissance, à l’université de Zagreb, est la spécialiste de Dubrovnik et parvient à nous transporter en quelques mots vers les tréfonds du monde gothique. Elle nous décrit par le détail l’urbanisme raisonné qui s’empara de la ville dès le XIIème siècle.

Grâce à une magistrale mise en page - les textes accompagnent des photos de Jean-Christophe Dartoux, spécialiste des photographies d’architecture - le lecteur ira de vues d’ensemble aux détails des constructions, ou des sculptures, à la découverte de cette somptueuse unité qui fait Raguse : le goût du luxe et le souci de l’utilitaire.
Ainsi, vous aurez le loisir de contempler des merveilles de photographies qui vous donneront à voir le cloître du couvent des Dominicains (d’après le dessin de Maso di Bartolomeo) ; l’église Saint-François et son clocher, puis son portail sud avec la sculpture de Saint-François ; les détails du portail sud de l’église Saint-Dominique ; le cloître des Franciscains construit par Micoe Braichi à l’allée bordée de bancs et à la fontaine octogonale ; les mascarons feuillagés de la Grande Fontaine sculptés par Pietro di Martino de Milan (1438) ; le palais des Recteurs sous tous ses angles, dont le fameux portique devant le notariat où siégeaient la cour d’assises : les bancs, en deux rangs superposés, datent de 1445 ; l’extraordinaire chapiteau d’Esculape (1437) ; etc. La rue Petilovrijenci, dans le quartier de Prikeji, n’est pas sans me rappeler la montée Sursok, à Beyrouth, preuve une nouvelle fois que cette Méditerranée a bien des origines communes. Mais ici la pente semble plus raide, et la ruelle plus étroite encore. Les travaux de reconstruction ont permis de renouveler les façades sur la trame parcellaire du XIIIème siècle.
Les pages se tournent et le vertige s’infiltre en moi, j’y suis, là-bas, à Dubrovnik, dans la citadelle de l’Adriatique et j’affronte le regard profond et diabolique du mascaron de la façade latérale de l’église Saint-Blaise ...
Une dernière série de photos en doubles pages finirent de me convaincre. Sitôt le livre refermé, je téléphone à mon agence de voyages.

PS - A la fin de l’ouvrage, détail technique d’importance, un plan de la ville situe toutes les photographies ; et les principales d’entre elles bénéficient en sus d’un commentaire détaillé.
Les photos qui illustrent cet article ne sont pas tirées du livre.

Nada Grujic & Jean-Christophe Dartoux, Dubrovnik – l’ancienne Raguse, relié, couverture rouge sous jaquette couleurs, 250 x 275, Imprimerie nationale, octobre 2007, 160 p. – 49,00 €