L’étrange destin de Monsieur T. - Nouvelle

L'étrange destin de Monsieur T. - Nouvelle

Un jeudi comme un autre. Je pars au centre ville pour me masturber les méninges dans un jardin public, le Parc des Galants. Généralement cela fait du bien à mes neurones et j’en ressors avec plein d’idées. Ce soir, mon état est triste. Je ne sais pas pourquoi, mais aujourd’hui ma solitude perverse me propose son mauvais côté.

C’est donc d’humeur chagrine que je suis arrivé à mon atelier d’écriture habituel : un banc public perdu dans les dédales du parc. Les textes que j’ai pondus au fur et à mesure des exercices reflètent ma douleur lancinante. Ils étaient empreints de violence, de lugubre, de tristesse. À dix neuf heures je quitte le jardin public pour revenir chez moi.
Un quart d’heure puis une demi-heure, à ajouter encore vingt minutes d’attente pour ces minables de taxis, qui ne sont, décidemment, jamais disponibles dans cette maudite capitale.

De l’arrêt où je suis descendu jusqu’à mon immeuble, je dois traverser une ruelle noire, très peu éclairée. Il y a aussi des marches à monter entourées de buissons.
Je n’ai pas peur, j’ai l’esprit en violence, en colère sur moi-même. Ce n’est pas le moment de m’enquiquiner, je ne suis pas d’humeur. Je suis fatigué, triste, je pense à mon chien qui m’attend là-haut, au quatorzième étage. J’avais oublié de lui donner à manger avant de sortir…

Au beau milieu de la ruelle, devant moi, deux voyous en quête d’émotions fortes et leur chien, un Doberman. Tout s’est passé tellement vite, peut-être quelques secondes ou moins, je ne sais pas, je ne sais plus.

J’entends une voix rauque et menaçante émanant de l’un deux : " Ton portefeuille et ton mobile ou je lâche le chien ! ". Devant mon hésitation qui devait leur sembler trop longue à leur goût, j’entends une voix forte : " Attaque ! ". En une fraction de seconde le chien me saute à la gorge, je me mets instantanément de côté, réussis à le prendre par le collier et, d’un geste fort, le lance par-dessus en arrière. Il écrase sa tête sur le trottoir macadamisé en un bruit sourd et mat.

En même temps, celui que je suppose être son maître se précipite sur moi, un couteau à cran d’arrêt à la main et manifestement bien décidé à s’en servir. Me souvenant de mes cours de karaté et de clos combat suivi dans toute ma carrière militaire durant plus de 25 ans, j’attrape son bras, le fait virevolter au-dessus de moi. Il tombe face contre terre, je lui fais une clé et j’entends, en même temps qu’un cri de douleur, un grand craquement qui déchire l’air calme de cette heure. J’ai dû lui casser l’omoplate.

Le second se lance sur moi, couteau à la main. Je me laisse rouler à terre, genoux contre le thorax et, lorsqu’il est prêt à se jeter sur moi, je bande mes jambes comme des ressorts. Et je sais que j’ai une force exceptionnelle dans les jambes. Mes souliers de cuir atterrissent dans son bas-ventre. Il s’écroule sur la terre dans un cri qui fait peur. Manifestement, il restera au sol.

Je me relève, homme coquet, je frotte ma veste, sors mon téléphone portable et compose le numéro de la police. J’explique aux flics ce qu’il vient de se passer en donnant l’endroit exact. Ils me demandent de rester sur place. Je leur réponds que je ne tiens pas à être lapidé car, dans moins de trois minutes, j’en aurai une quinzaine de loubards autour de moi. Je leur laisse mon adresse et mon nom.
Je cours jusque chez moi, je franchis la porte de l’immeuble, et je monte comme un fou jusqu’à l’appart.

Entré dans mon nid d’aigle, ma première réaction est de vomir à la toilette. Je n’avais pas encore mangé ce soir mais tout ce qui est sorti….
Mes jambes tremblent, mes doigts pianotent sur le clavier, une sorte de décharge psychologique. J’avais attendu plusieurs heures une quelconque sirène, mais pas une seule présence policière n’a été signalée dans ce quartier. Les lâches !! La sonnerie de mon portable retentit. C’est un ancien ami de la sécurité militaire. Il voulait juste se rassurer. Putain, ces salopards sont déjà au courant de mon agression. Et si c’était eux qui ont organisé le coup ? Une sorte d’avertissement… Après tout ils n’ont jamais digéré ma désertion. En tout cas, s’ils voulaient se débarrasser de moi, ils m’auraient zigouillé depuis longtemps. Non, ils ne feront jamais ça surtout depuis ce qui m’est arrivé. Je ne suis plus dangereux. Moi, monsieur T, je ne suis qu’un maboul à leurs yeux. Ni plus ni moins.

J’ai débranché mon portable. Je ne vais plus bouger de mon appartement sans lumière, sans son. La peur. La peur, la peur d’avoir été reconnu par un des jeunes du quartier. Peut être qu’ils étaient des islamistes repentis en quête d’un règlement de compte.
Bref, quoi qu’il en soit mes jours dans ce monde ne seront plus jamais pareils. Ils sont désormais comptés. Tous ceux qui veulent avoir ma peau vont prendre un malin plaisir à transformer le peu de temps qui me reste en un véritable supplice. Merde, je ne dois pas céder. Il faut que je m’accroche pour terminer mon histoire. Je vais reprendre des le début…….

*

Ce jour là, je n’étais pas encore vraiment réveillé, mais je percevais par ma fenêtre une lueur aveuglante qui ne peut être que celle du soleil. Ce bon vieux soleil ! Il m’avait tant suivi dans ma vie. Avant que je n’oublie faisons connaissance. Je me prénomme Monsieur T. Oui, c’est exactement comme ça qu’on m’appelle.

Depuis fort longtemps, j’avais pris l’habitude de ces réveils difficiles, dus à des soirées non moins difficiles… Le rituel se mettait doucement en place : le premier détail à vérifier est de savoir si je suis seul... Je tendais la main derrière moi et l’étendu drap-housse se fait immense. Je regarde au pied du lit. J’étais seul. Merde, là je pouvais respirer.

Comme d’habitude Je ne me sentais pas bien. Les vapeurs du whisky étaient là pour me rappeler mes excès de la veille. Mes aigreurs d’estomac me faisaient tourner et retourner dans mon lit. Je ne me sentais pas du tout bien. C’était encore un matin où rien n’allait.
Le soleil tentait de percer à travers mes rideaux mal fermés. Les rayons ricochaient sur le plancher, la poussière dansait. J’apercevais les vestiges de mon retour à la vie réelle. Je n’ai pu m’empêcher de rouler un joint, un dernier joint, de finir ma bouteille de Tequila (et pourtant c’est bien le whisky que je sens battre à travers mes tempes). C’est le bordel dans mon salon. La table basse témoignait à elle seule du désordre qui y règne.

J’émergeais enfin. Mon radioréveil indiquait, d’une lueur verte, 15 heures 15. Il était tard et cela faisait longtemps que me lever aux aurores de l’après midi ne me dérangeait plus.
Je suis un détraqué décalé. Autant dans mon comportement social que dans ma tête, dans mes horaires, dans mes envies, je suis vraiment un détraqué décalé... Cela a commencé, il y a un an environ… Et les images continuent à défiler dans ma tête…

J’avais, dans ma vie antérieure, la responsabilité d’une brigade des services secrets algériens : les D.R.S. Un service de renseignement très performant et réputé pour son efficacité dans le monde entier. Le 14 juin de l’année dernière. Mes supérieurs qui ne font jamais les choses à moitié m’ont promu colonel. Ce jour-là, j’étais au sommet. Ce que l’on peut appeler l’aboutissement pour un agent du renseignement. Devant mes principaux supérieurs hiérarchiques, réunis ce jour là, j’ai été publiquement promu et largement récompensé pour mes services rendus à la nation.
L’Algérie avait réussi à briser les griffes de l’islamisme. Et la stabilité regagnait l’ensemble du territoire, moi et mes camarades nous en étions les garants. Mes décisions stratégiques ont été louées, mes choix enviés. Avec ma brigade, nous avons démantelé pas mal de réseaux terroristes. Nous avons liquidé également de nombreuses têtes pensantes des GIA qui devenait le plus grand danger pour la sécurité de tous les pays de la région. J’étais donc nommé colonel. Estrade, honneurs, applaudissements, poignées de main franches et promesses à tue-tête. La semaine fut festive et ma femme était à mes pieds. Nous venions de nous marier un an auparavant et elle avait été invitée, en tant que femme de l’agent de l’année... Le bonheur était total !
C’est dans cette période, dans l’euphorie la plus complète, que nous avons décidé de faire un enfant. De toute manière, il ne pouvait en être autrement. D’ailleurs c’est classique… Mariage, réussite professionnelle… Il ne manquait qu’une progéniture pour témoigner de ma réussite. Mais je n’ai jamais eu l’impression de réellement choisir le moment. Ma femme régnait sur ce type de dossiers, pendant que je bossais d’arrache-pied pour botter le cul à tous ceux qui mettait en péril le système auquel j’appartenais. Un système qui me promettait à l’époque monts et merveilles. Ma femme, Nora, de son côté, elle savait ce qu’elle voulait, et je n’avais plus qu’à acquiescer. Et en l’occurrence m’atteler à la tâche.

*

L’euphorie. C’est peut-être ce qui me manque aujourd’hui. J’étais si haut il y a un an, et je suis si bas aujourd’hui. Je ne pouvais imaginer une telle chute, même dans mes plus horribles cauchemars. Je pleure seul dans mon lit, en me retournant sur cette année gâchée, perdue à jamais. Cette année ou tout devait me sourire. Décidément, je n’ai pas suivi la trajectoire lunaire que cette soirée de promotion me promettait.
Je chiale beaucoup en ce moment. Pleurer me donne bonne conscience. C’est peut être le signe d’un début de remise en question. Je me rassure comme je peux. Et si l’écriture me parait être un bon exutoire, je crains fort qu’on ne me laisse guère le temps de finir la rédaction de mon histoire. Enfin bref, revenons à nos moutons…

 mon retour d’une formation spéciale en Chine, nous avions donc décidé d’avoir un enfant, et de nous atteler à la tâche le plus rapidement possible.
Ma femme travaillait à la Khalifa Bank. C’était une femme active, acharnée au travail et nous avions l’habitude de nous retrouver au restaurant de l’hôtel Sofitel. Nos vies ne nous permettaient que peu de temps pour profiter l’un de l’autre, et nous nous délections d’un déjeuner ou quelques fois d’un dîner, dans la folie que nous permettaient nos carrières. Puis, après une demi-heure volée à nos « employeurs », nous repartions, elle vers sa banque et ses " clients ", moi vers ma très secrète caserne. Je rencontrais mes indicateurs, les autres commandants du département, j’étudiai les dossiers les plus importants.
Nora gérait le service crédit entrepris. Elle s’occupait des demandes de crédit des PME de tout le centre du pays. Son rôle était d’étudier les comptes de ces entreprises afin de valider leurs projets de financement. Comme moi, elle évoluait aussi dans un monde de requins, d’investisseurs aux grands cris. Elle me fascinait. Grande, brune, toujours en tailleur, cheveux régulièrement relevés sur ses épaules, elle me faisait l’impression d’une femme fatale, indomptable, et pourtant mienne. Elle était prête à tout pour réussir. Dévoreuse, ambitieuse, elle appliquait ses valeurs dans notre couple. Il fallait que tout soit parfait. " Il faut que ça réussisse !", comme elle aimait à le dire.

Les gens me l’enviaient. Je le savais, j’en profitais. De toute manière, ma vie entière était enviable. Et le dynamisme avec lequel on traitait tout ça nous rendait encore plus heureux. Nous voguions d’une fête mondaine à une autre. Nous côtoyions les grandes personnalités du pouvoir algérien. Nous étions invités aux grands événements de la classe dirigeante et profitions de la vie de la meilleure manière qui soit.

*

Il était 15 heures et demie. Je ne m’étais toujours pas levé. Je me retrouvais sur le coté gauche de mon lit et j’apercevais les voisins par l’entrebâillement de mes volets mal fermés. Pour eux la vie suit son cours. Je les envie et me retourne. Personne n’était là pour ranger mes affaires. Je m’apitoyais sur mon sort. La vie n’était pas aussi belle qu’elle pouvait sembler l’être.

Je me suis levé finalement. 15 heures 45. Je restais dans la pénombre de ma chambre. Mon deux pièces méritait la palme du désordre. Beyrouth en son temps, Manhattan après la chute des tours jumelles, Bagdad et ses bombardements savamment orchestrés… Rien ne valait le désordre de cet appart ! Je regrettais d’être allé si souvent perdre mon temps et mon argent au Cabaret. C’était ridicule. Mon sac de sport était là, au pied du rideau, depuis trop longtemps maintenant. De toute manière, il n’a jamais été dans ma nature de faire du sport.

*

Sa phrase résonne encore dans ma tête. " Il faut que ça réussisse !", et tout réussissait. Elle provoque en moi des vertiges. C’était une obsession chez elle. Elle dévorait la vie. Elle était prête, disait-elle, à enfanter. Elle le voulait. Le problème, c’est qu’on ne peut décider de tout. Cette nature capricieuse se refusait à nous.

En même temps, les premiers déboires ont commencé à apparaître dans ma vie. Rien ne laissait prévoir une telle débâcle. Mais elle était irrémédiable, irrévocable, presque inhumaine. Notre Général Major a trouvé la mort suite à un arrêt cardiaque. Lui, l’homme le plus puissant du pays s’y vu enterrer comme n’importe quel mortel après un simple malaise cardiaque ! Visiblement, tout avait une fin et le pouvoir ne protégeait personne contre la mort. Des lors, on a annoncé une diminution conséquente de nos ressources et de nos effectifs : les budgets espérés ne pourraient être alloués pour l’année à venir. C’est le début de mes ennuis, le début de la fin. Les rivalités entre les clans repartaient de plus belle et les règlements de comptes alimentaient nos angoisses.

Ma réussite personnelle occultait, à mes yeux, la santé incertaine de mon pays et la fragilité de mon métier. Je n’avais plus la lucidité requise pour un poste réunissant de nombreux dangers. Évidemment, l’Algérie était toujours exposée au terrorisme. J’avais perdu mes convictions, mon combat n’avait plus de sens. J’ai commencé à ouvrir mes yeux sur une réalité que j’ai toujours cherché à transcender ou tout simplement à ignorer. Je servais un régime corrompu jusqu’à l’os. Je servais un pouvoir criminel qui a fomenté une guerre civile pour mieux asseoir sa domination. J’assistais et je contribuais même au détournement des richesses de mon pays au profit d’une poignée de généraux sans vergogne. Je ne voulais plus de cette situation et je décidai de commencer à sensibiliser les autres officiers des D.R.S.

*

Le temps se couvrait sur mon deux pièces. J’étais dans la même tenue que la veille quand je m’étais couché. Je ne ressemblais plus à rien. J’étais détruit, dans mon corps, dans ma chair, dans mes convictions les plus profondes. Ne plus rien savoir, ne plus être sûr de rien, ne se retrouver en rien. C’est bien là la forme d’une déchéance la plus destructrice. On ne peut plus compter sur rien, sur personne et surtout pas sur soi. Les envies disparaissent. Je ne prenais plus soin de moi, de mon corps. J’avais arrêté toute forme de sport. La culture de soi ne m’intéressait plus. Je m’étais tout doucement laissé allé après ma mise à l’écart de ma fonction.

Le nouveau Général Major en personne n’a pas apprécié mes prises de positions pour le moins intransigeantes. Je refusais absolument de servir une cause douteuse. Évidemment, mes agent, enfin, ceux qui croyaient en moi, étaient derrière moi, me soutenaient et faisaient bloc, mais pas le très haut commandement. En même temps, l’actualité en Algérie changeait de manière vertigineuse. Les attentats perduraient, les kamikazes faisaient leur apparition. Les citoyens étaient terrifiés alors que d’en haut, les rivalités mesquines et les coups bas pourrissaient encor le climat au sein des DRS. On se croyait replonger dans l’horreur de la décennie noire. J’étais effondré. Ma femme aussi, d’autant plus que je n’étais plus en état de procréer.

La sentence est immédiate, mais les effets sont tardifs. Je me suis retrouvé au relevé de mes fonctions du jour au lendemain, avec une belle réussite derrière moi et pas mal de temps devant moi. Évidemment, dans ma tête, les événements se sont bousculés. Et dans celle de ma femme aussi, c’est le moins que l’on puisse dire... Ma première réaction fut de retrouver du travail et de recommencer ma vie. Mais quand on entre au DRS, on n’en sort jamais librement et proprement. J’étais donc accusé de trahison, d’espionnage pour le compte des français, je n’avais pas le droit de quitter le pays ni même de m’éloigner d’Alger. Surveillé, traqué, continuellement menacé, j’étais incarcéré dans une grande prison à ciel ouvert. Ma femme, quant à elle, travaillait toujours et faisait tout pour s’accrocher à un semblant espoir de vie. Mais décidément le malheur est une nuit si lente à couler. La banque de ma femme venait de faire faillite. Le pays entier avait découvert la plus grande supercherie de l’Algérie indépendante. Des milliers de licenciements et des milliards de sommes se sont évaporées. La Khalifa Bank n’était en fin de compte qu’une machine à laver pour blanchir de l’argent sal… Les algériens se rendaient bien compte en ces moments là que tout est corruption et dépravation dans leur pays.

Ma femme n’avait pas supporté cette chute en enfer. Plus de bulot, plus de salaire mirobolant, plus de train de vie luxueux et plus aucun avenir en perspective. Â peine quelques jours après cette déchéance, elle péta les plombs. En rentrant le soir de mon bar habituel, je la vis gisante dans la baignoire les veines coupées et le corps flottant dans une marre de sang. Elle n’était plus de ce monde…

Depuis, plus rien ne valait la peine d’être vécu. Alors, je ne tardais pas moi aussi à péter les plombs. J’avais en réalité toujours envié les personnes qui vivaient sans souci réel de la vie, les marginaux, les décalés, ceux qui ne savent pas quel jour on est, ni ce qu’il fallait faire de sa journée. J’avais cette envie en moi de me laisser aller tout en contrôlant un minimum. C’est donc une seconde vie qui s’offrait à moi ! Sans femme, sans travail, sans sou, sans convictions, sans rien du tout… Â défaut de mourir, je décidai de consacrer ce qui me rester à vivre à cultiver la mort...

Après quelques mois de vagabondages plus ou moins réguliers, je décidais de louer un deux pièces avec ce qu’il me restait comme économie et ce que j’avais récupéré comme héritage de ma défunte épouse. Ce deux pièces allait devenir mon refuge. Je laissais dans ce lieu libre court à mon imagination. Il fallait que j’assouvisse mes envies les plus folles et mes fantasmes les plus extravagants. Voila, le nouveau dessein de ma vie.

Dans un premier temps, mes repères étaient des cabarets de la côte est d’Alger ou j’aimais me présenter en homme d’affaires, draguer des jeunes filles de 18 à 20 ans, les ramener dans ma chambre prétextant que j’étais de passage sur Alger. Je laissais alors libre court à mes envies les plus intimes, envies que je n’osais dévoiler à ma feue femme.
Je forniquais donc avec toutes les putes que je rencontrais, avec toutes les mendiantes que je racolais et avec toutes les étudiantes que je séduisais. Suite à ces « expériences », je n’allais pas tarder à passer à la vitesse supérieure. En vérité, J’avais toujours eu envie de violer quelqu’un.

Mon plan était prêt. Il me suffisait de lier un contact avec mon élue. Ce fut une jeune et superbe femme brune. Elle s’appelait Lila et travaillait dans une boite de communication proche de Sacré Coeur. Cela faisait un moment que je la surveillais. Elle était célibataire. Elle me faisait terriblement envie et j’allais passer à l’acte. Évidemment cela ne pouvait se faire du jour au lendemain. Il me fallait tout d’abord m’approcher d’elle, la rencontrer et mettre en place un climat de confiance entre nous afin de l’emmener dans mon deux pièces fraîchement installé. J’avais tout prévu.

*

Ce jour-là, il plut continuellement. Nous étions au mois de décembre et le froid était saisissant. J’avais revêtu mon manteau en cuir noir favori, par-dessus mon costume Kenzo, gris sombre, préféré. Lila déjeunait comme à son habitude dans un salon de thé, tout proche de son lieu de travail. Je m’approchais d’elle et entamais une discussion des plus courtoises. Évidemment, elle m’avait déjà vu ici. Je m’étais volontairement montré sur les lieux afin d’éviter les soupçons liés à l’approche d’un inconnu. La discussion fort charmante me poussait à l’inviter à dîner. Elle refusait, mais souhaitait me recontacter pour boire un pot un de ces soirs. Je lui laissais mon numéro de portable et prenais le sien, le plus normalement du monde. Mon discours était simple : je faisais partie d’un cabinet d’étude et j’auditais des comptes publics pour une commission d’un ministère. Efficace et sans danger pour moi, maîtrisant parfaitement le sujet. Cela l’intéressait. Je m’empêchais de la dévisager et m’efforçais de la séduire le plus agréablement du monde. Mon objectif était qu’elle soit consentante pour boire un verre dans mon deux pièces, évidemment.

Nous nous quittâmes donc et je lui faisais promettre de me contacter avant la fin de la semaine. Ce qu’elle fit dès le lendemain. Je tentais le tout pour le tout et l’invitais chez moi. Elle accepta. Je sentis alors une angoisse mêlée à une excitation intense envahir ma gorge. Je raccrochais et pensais immédiatement à me procurer l’élément indispensable à la mise en œuvre de mon plan : l’Ecszebi.
Je connaissais bien cette " pilule du viol ". Celle que l’on verse discrètement dans un verre en discothèque ou lors d’un repas en tête-à-tête. L’ecszebi est un somnifère très puissant, ayant pour effet secondaire une certaine forme d’amnésie, qui, la plupart du temps, provoque chez l’insomniaque une nouvelle prise de ce médicament. Dans ce cas, cela peut provoquer des comas souvent irréversibles. C’est le sésame du violeur.

Je ne tardais pas à m’en procurer par le biais de quelques psychiatres que je connais. Au passé, J’avais beaucoup travaillé avec les psychiatres. J’ai gardé alors tout un réseau de médecins faciles à manœuvrer. Le bon agent n’a jamais perdu ses habitudes.

Il ne me restait plus qu’à peaufiner mon plan d’attaque : mélanger un comprimé dans sa boisson, en évitant la teinte bleutée qui permet de le déceler.

Lila arriva à 21 heures, très ponctuelle. Elle s’installa sur mon canapé. L’ambiance était propice à un moment inoubliable. Elle sortait manifestement du bureau. Elle portait un tailleur bleu marin, foulard, talons hauts. Ses cheveux étaient remontés sur ses épaules, son chemisier blanc, entrouvert, laissait apercevoir un soutien-gorge en dentelle blanche. J’imaginais de petits seins pointus, fermes et sensuels.
Je lui servais un premier verre " innocent ", mais alcoolisé, car je souhaitais en premier lieu profiter de sa présence et de son charme. Après quelques minutes, mon excitation était à son comble. Je n’avais aucune envie de perdre mon temps à la courtiser, à la séduire, sans être certain du résultat final. Quant à l’idée de pouvoir profiter d’un objet sexuel d’un tel niveau, cela ne faisait aucun doute, j’allais le faire.
Lila enleva la veste de son tailleur et je lui servis un repas digne d’elle. Il ne fallait pas qu’elle ait le moindre doute concernant mes intentions, puisque à son réveil, mon souvenir devait lui être le plus agréable possible. Le but était qu’elle se souvienne s’être évanouie, sans pour autant avoir été abusée. Au moment du café, mon plan était en action. Je lui servais donc ce délicieux nectar qu’elle a bu, sans hésitation et sans le moindre soupçon.

Et j’attendais en la savourant. J’imaginais par où j’allais la déshabiller. Par le chemisier, c’était évident. Il ne fallait pas que ses vêtements soient complètement enlevés. Je prenais plaisir à la voir s’allonger doucement, délicieusement pendant que je sirotais un verre de Pastis. Cela dura quelques minutes.

Puis elle s’endormit. J’étais seul, face à elle, et mon désir était à son paroxysme. Au début, mes mains tremblaient. J’osais à peine la toucher. Mais au contact de sa peau, je me détendis.

Quelques tests de rigueur effectués, je commençais à lui caresser les seins, son ventre, l’intérieur de ses cuisses. Je filmais ses moindres recoins cachés. J’avais fait un excellent choix. Je mis une musique d’ambiance et débutais ma relation d’amour avec cette marionnette de luxe.
Le plaisir était intense. J’étais sans limite et me laissais aller à la moindre de mes envies. J’avais laissé sa jupe et son chemisier en l’état. Il m’était alors plus facile de la rhabiller une fois mes étreintes terminées. Je dois avouer n’avoir jamais ressenti un tel plaisir. Je dois également avouer m’être attelé à la tâche toute la nuit jusqu’à épuisement de mon organe.
Mon film durait une heure environ. Pour moi, C’était un pur chef d’œuvre.
Elle se réveillait le lendemain vers 10 heures J’avais fait en sorte qu’elle ne se doute de rien. Évidemment, aucune trace de sperme, ni de mes émoluments de la nuit. Elle devait ne se douter de rien. Et c’est ce qui se passait. Ses réactions étaient amusantes. Je vivais ça avec un recul certain. Elle se réveilla doucement, sans comprendre réellement où elle était, ni pourquoi elle avait pu s’endormir ainsi. Elle était confuse, terriblement confuse. Je n’éprouvais aucun regret tellement sa beauté était frappante. Je lui proposais alors une douche, un café et je continuais de jouer mon rôle d’homme parfait en lui expliquant que je l’avais tout d’abord enveloppée avec une couverture, puis veillée, jusqu’à tard dans la nuit. Enfin je finissais par lui avouer que j’avais prévu d’attendre son réveil, que mon patron " pouvait bien attendre qu’une telle beauté se réveille ! " Elle m’a sourit, a prétexté une fatigue immense. Elle s’en allait sans aucun souvenir apparent. Je lui faisais promettre de me recontacter. J’avais saisi à cet instant que plus rien ne pouvait m’empêcher à retrouver ma glorieuse puissance. Ainsi, je redevins le maître de ma destinée…

*

Ces expériences allaient devenir très rapidement une véritable drogue. Un tel plaisir, une telle facilité d’exécution ne pouvait rester latents. Dans les trois mois qui suivirent, je renouvelais l’expérience quatre fois et ma collection de cassettes vidéo valait tout l’or du monde. Lila, puis Samia, une serveuse blonde et pulpeuse d’un chic café à Hydra, Chahinez, petite brune pleine de charmes, Shama, une noire congolaise très sexy et très sensuelle. Enfin Malika, ma préférée, une grande blonde, femme mure et marié à un haut officier de la sécurité militaire. Elle n’en avait ni le comportement, ni l’allure. Elle me fascinait et j’ai gardé contact avec elle pour la retrouver le plus normalement du monde, dans mon deux pièces, sans somnifère. Elle devenait une maîtresse potentielle. Souvent réelle. C’était aussi ma revanche contre le système. Baiser ceux qui m’ont baisé, tel était aussi le défi que j’avais relevé avec succès.
Les femmes, aussi différentes les unes que les autres, défilaient dans mon deux pièces, s’endormaient inexplicablement et se réveillaient le lendemain matin confuses et sans souvenir. Cela durait depuis quelques mois, maintenant, et rien ne pouvait venir ternir cette relation d’un type différent que j’entretenais avec elles. La femme n’avait plus de secret pour moi. Elle devenait mon esclave le temps d’une nuit. J’en gardais un souvenir sur cassette vidéo des plus agréable. Mais cela devenait dangereux. Je le savais mais n’y prenait garde. Il m’en fallait plus. Il m’arrivait de doubler la dose de l’ecszebi, risquant un coma ou des lésions irréversibles chez mes " patientes ". Mais je ne pouvais risquer qu’un d’elle se réveille. Et pourtant c’est ce qui arriva.

*

Hassina était une brune d’un mètre soixante dix environ, infirmière à Mustapha Pacha. Je l’ai rencontrée dans la brasserie la plus proche de l’hôpital et l’avais invitée chez moi. Tout se passait pour le mieux et mon envie était dévorante. Le café magique servi, elle n’en but qu’une ou deux gorgées. Malgré tout, elle s’endormit et mon rituel pouvait commencer.

Je ne pris que peu de précautions. Pas de tests. Je passais immédiatement à l’acte. J’étais en train de la pénétrer tout en la filmant lorsqu’elle se réveilla. Tout d’abord, je perçus, dans ses yeux, un sentiment d’incompréhension totale. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Mais un éclair de lucidité, dans son regard endormi, me fit comprendre qu’il était trop tard. Mon seul réflexe fut de l’assommer. Elle s’écroula sur le sol, la tête en sang, puisque j’avais utilisé le premier objet mis à ma disposition, à savoir un vase en verre. Son cuir chevelu saignait abondamment. Il me fallait prendre une décision d’importance. Je ne devais prendre aucun risque. Il me fallait la tuer et me débarrasser du corps. Je décidais de la transporter dans la baignoire, et de lui trancher la gorge. Son sang chaud et sombre se déversait sur l’émail blanc. J’étais pris de vertiges mais je tenais bon et l’abandonnais ainsi. Quelques heures plus tard, je décidais de m’occuper du corps. Son sang disparu, il serait alors impossible de relever des traces de l’ecszebi. Je décidais de la jeter à 2 H du matin dans un oued pourri à El-Harrach. Sept millions algérois de suspects potentiels, au cas ou le corps serait retrouvé. Je ne risquais rien.

C’était mon premier meurtre, plus imposé que prémédité, mais j’y avais pris un plaisir intense. Rien n’était meilleur. J’oubliais presque de ne pas avoir pu profiter d’elle sexuellement. Je décidais donc de retenter l’expérience, en allant jusqu’au bout.

Mes victimes devenaient des femmes de la nuit, rencontrées ça et là au détour de cabarets et discothèques lugubres, où l’on pouvait rencontrer des marginaux, des homos, des gens sans attaches, me permettant de laisser libre court à mon imagination débordante. En aucun cas je ne ressentais de quelconques scrupules ou des regrets de prendre ainsi des vies. C’était ma crainte. Elle se révélait sans effet. J’y prenais au contraire un plaisir intense.

Je me nourrissais de mes victimes. J’avais l’impression de les sauver du monde auquel elles appartenaient. Et elles me permettaient de mieux connaître mes ressentiments face à de telles situations. Elles mettaient mes fantasmes à jour et me donnaient l’occasion de les assouvir. C’était une véritable reconnaissance de mon Moi le plus intime, de mon subconscient.

En même temps, je commençais à me droguer. Quelques joints de temps en temps, puis de la cocaïne. L’effet euphorique pouvait durer jusqu’à tard dans la nuit. Je me prenais pour un loup-garou agissant avec mes victimes au lever du jour. La drogue devenait ainsi mon soutien. Je me droguais même lorsque je rentrais chez moi. Ma femme, de plus en plus distante, devait se douter de quelque chose. J’avais peur qu’elle me fasse suivre et me suspecte dans ma seconde vie. J’ai donc pris de plus en plus de précautions. Jusqu’au jour où ses doutes ont été plus persistants. Il est vrai que ma vie dérapait complètement. Je vivais reclus, j’agissais selon mes propres lois, je violais, je tuais, et je m’efforçais d’assumer ce destin tant bien que mal.

Des lors, je continuais à chasser dans les rues. Je sévissais à Alger centre, Hydra, Bab Ezzouar, Staouali, Draria, etc. Je parcourais les quartiers résidentiels des riches comme les banlieues pourries. Mon passé d’agent secret me permettait de me fondre dans n’importe quel personnage, de me préparer à toutes les situations périlleuses, d’élaborer les plus diaboliques des stratégies… bref, c’est comme j’était formé pour devenir un violeur-tueur en série. J’expérimentais aussi sur des brunes, des blondes, des noires, des blanches, des femmes mûres, une chinoise, etc.

Les journaux faisaient état d’un tueur en série. Mais rien ne pouvait les amener jusqu’à moi, jusqu’à mon deux pièces. Personne ne connaissait encore Monsieur T.

Ma vidéothèque devait valoir très, très cher. Â mes yeux, c’était la plus belle collection de cassettes vidéo. Je ne filmais que les femmes endormies, sous leurs angles les plus attrayants, certains angles qu’elles n’avaient elles-mêmes jamais aperçus.
Ma folie criminelle hantait mes nuits et mes jours.

*

Je décidai enfin de me laver. Il est 16 heures 05. Ma baignoire était immaculée de sang. Je ne comprenais pas. Je m’asseyais sur le rebord et tente de me rappeler. La boite de l’ecszebi gît ouverte et vidée sur le coin du lavabo, lui-même taché d’un sang froid et sec. J’avais peur. Des frissons me remontaient le long de la colonne vertébrale jusqu’au cuir chevelu. J’ai de nouveau peur. Mon deux pièces recelait un secret que je n’arrivais pas à percer. L’ecszebi agissait encore sur moi.
Mélangé au cannabis de fin de nuit, au whisky et à la Tequila, l’effet était dévastateur. Je vomissais dans la baignoire. Je pleurait et régurgitait en même temps.
Soudain, j’ai aperçu dans la poubelle un sac à main. C’était celui de ma femme. Des flashs inquiétants m’assomment. Je la vois immaculée de sang dans cette pièce, dans ma baignoire. Elle ne se débat plus, elle pleure simplement et regrette de n’avoir rien pu faire pour moi. Je m’apprête à la délivrer de son sort, à la libérer. Avais-je tué ma femme ? Ne s’était-elle pas suicidée bien avant que la folie s’empare de mon esprit ?

Fin du récit. Je vais m’arrêter là. Je suis incapable de raconter la suite. Â l’extérieur ; j’entends les sirènes de la police. Les flics m’ont-ils enfin identifié ? Je m’en fous. Personne ne percera le mystère de l’étranger Monsieur T. Du mystère, il n’y en a même pas en vérité car Monsieur T sommeille au fond de chacun d’entre vous. Vous voulez vraiment savoir comment s’était terminé « ce jour là » ? Vous croyez vraiment que j’ai tué ma femme ? Désolé, je ne peux plus vous éclairer la lanterne car il est temps pour moi d’éteindre la mienne. On frappe à la porte, c’est les flics !! Ils veulent me coffrer ? Alors qu’ils me rejoignent en enfer…