Inévitablement (après l’école) – Rentrée 2007

Inévitablement (après l'école) – Rentrée 2007

Vous avez constaté, tout comme moi, que l’école prend l’eau ? Que le système éducatif marche sur la tête ? Que le niveau n’est plus ? Que dis-je, que les nouveaux bacheliers sont des incultes notoires ? Vous n’en pouvez plus de voir votre enfant rapporter de si misérables notes ? Les bras vous en tombent quand vous découvrez les perles dont regorgent les ouvrages de vos chères têtes blondes ?
Vous ne savez plus quoi faire ? Hé bien, ouvrez donc ce livre !

Tout ce qui vient perturber le caractère artisanal du métier d’enseignant et l’engagement personnel qu’il requiert, est vécu comme une ingérence voire une intrusion intolérable par le corps professoral. Dans ces conditions, comment réformer ?
Car, si la critique du libéralisme n’a jamais pu se donner dans le monde enseignant la clarté nécessaire pour conduire à une réelle intransigeance, elle a cependant participé au mélange des genres et au développement d’une forme de phobie de l’intrusion.

Phobie qui n’est pas irraisonnée lorsque l’on constate la montée en puissance de l’impératif de rendement. La culture du résultat si chère au nouveau locataire de l’Elysée n’a que faire dans un système éducatif. Comment tolérer que la priorité puisse être donnée à la diffusion des dispositions par lesquelles chacun est censé reconnaître qu’une vie réussie soit une vie vouée à la recherche de l’efficacité ? Quid alors de l’épanouissement personnel ? Enfin, l’homme n’est pas une machine à produire, que diable ! Car l’indispensable à l’enfant, à l’apprenant, n’est pas de se situer dans un tableau des valeurs mais bien de faire sentir à lui-même combien il est riche de tout ce qui l’habite par ailleurs !

La culture de gauche, vivement critiquée pour sa lutte contre le système de notation et présentée comme vouant l’élève à l’échec et à niveler par le bas, est néanmoins celle qui voulait surtout empêcher le maillage entre l’école et les injonctions marchandes ; or, c’est l’ensemble du dispositif scolaire qui est de part en part pénétré par ces injonctions. Il n’y a qu’à voir l’instauration de ces inutiles et provocatrices plongées obligatoires de l’apprenant dans l’univers carcéral de la société dès la classe de troisième, une semaine perdue à traîner dans les couloirs, à porter le café et à être dégoûté, déjà, de l’entreprise en n’y voyant que ses noirceurs (bruits de couloirs, conversations à la machine à café, guerre des clans, jalousies, médisances, courses au pouvoir, etc.).

Julie Roux – qui est le pseudonyme d’un groupe de réflexion basé à Rennes – met également le doigt sur l’épineux sujet de l’examen, et de cette nouvelle manie qui fait désormais que l’enseignant quantifie, classe, évalue l’élève dès … la maternelle ! J’ai failli avoir une syncope devant le tissu d’inepties que relevait le cahier de notes de ma fille de cinq ans, qui, en toute logique, ne savait ni lire ni écrire mais était sujette à une batterie de tests en tous genres …
Oui, il convient de le dire, "des questions aussi idiotes n’ont effectivement de sens que dans un cadre qui entretient une idiotie d’un type particulier. Ce cadre, c’est celui de l’examen". Tout cela est d’une rare indécence, à tout âge, et pour l’examinateur aussi bien que pour l’examiné.
Il y a quelques années, Deleuze avait diagnostiqué un passage des sociétés disciplinaires, telles qu’elles avaient été décrites, notamment par Foucault, aux sociétés de contrôle. Il semble qu’il ait vu juste !

Ne vous y trompez pas, tout est construit pour que le noyau de notre société soit l’examen, le moyen de prouver ce que l’on est censé savoir, valoir … La situation de l’examen demeure, telle que décrite par Kleist, une situation paradigmatique de ce qui fait exister le fameux tissu social.
Dès lors, le diagnostic proposé par Deleuze en recouvre un autre, plus essentiel : l’école est avant tout la matrice de l’acceptation à être évalué, qui va se prolonger bien au-delà de l’institution scolaire à proprement parler.

Alors, amis enseignants, souhaitez-vous continuer à transmettre ou à évaluer ?
Ce n’est donc plus seulement d’un point de vue subjectif que la vocation enseignante semble passée de date : c’est aussi au regard de la manière dont le corps social peut demander des comptes à une profession, et celle-ci se légitimer en retour.
Et ne nous y trompons pas, aux yeux du bon enseignant d’aujourd’hui, transmettre des connaissances signifie d’abord pouvoir évaluer ceux à qui elles ont été transmises".
ATTENTION DANGER !

On comprendra alors très vite à quoi sert cette logique de l’évaluation : en disséminant une sorte d’inquiétude perpétuelle, elle apprend essentiellement à vivre en compagnie de la peur. Laquelle induit cette possibilité de l’échec qui tue la curiosité et le désir d’apprendre.
Il convient donc de briser cet élan-là, de tant de perversité ainsi conçu qu’il en devient obscène !
Mais si l’on peut penser que les enseignants font preuve d’une certaine lâcheté lorsqu’ils croient lutter, celle-ci n’est pas contingente : elle vient de ce qu’entretient leur fonction même. "Elle n’est pas le fruit d’un tissu psychologique plus ou moins défaillant, ou du moins cela n’est-il qu’un effet ; elle est avant tout le produit d’une logique qui anime de part en part l’institution scolaire."

Il faut donc considérer, en amont du problème de l’évaluation, le rapport entre la constitution et la transmission du savoir. Cela ne pouvant, on s’en doute, ne se faire qu’en appliquant une stricte séparation.
Pour que cette fameuse distinction entre la constitution du savoir et sa transmission puisse exister, il faut absolument qu’une image déterminée du savoir soit déjà en fonctionnement – et cela dés l’école maternelle : cette image, c’est celle des contenus de savoir. Ainsi, à vouloir trop porter son regard sur la seule manière possible d’évaluer un sujet, l’on arrive à inventer un concept réducteur qui permet au savoir d’être étiqueté "contenu", c’est-à-dire quelque chose qui n’a rien à voir avec un savoir !

Faut-il alors continuer à verser dans la controverse entre universalisme et communautarisme ? A défendre l’idée d’un savoir strictement attaché au mode d’existence d’une communauté contre un savoir qui se définirait d’être intégralement transmissible et indépendant des contextes de production ?
La question est posée, il est urgent d’y répondre. Ce livre y participe en mettant l’accent sur le fait trop souvent ignoré que "l’éducation n’a rien à voir avec l’école : elle est ce que l’individu poursuit tout au long de sa vie en tant qu’être de raison toujours capable d’apprendre".

Julie Roux, Inévitablement (après l’école), La fabrique, septembre 2007, 128 p. – 7,00 €