Soudan : on continue le massacre ... écologique

Plusieurs décennies après le barrage monumental d’Assouan (1), voici que les travaux de son petit frère soudanais ont commencé. C’est sur le site mythique de la Quatrième cataracte que les ingénieurs ont jeté leur dévolu.
Plus d’un demi-siècle après l’absurdité d’Assouan, les hommes continuent leur travail de sape pour détruire la nature et l’Histoire !

Assouan, c’est la Première cataracte du Nil, un monde fait de rochers et d’eaux bouillonnantes fertiles en poissons et en limon. D’ailleurs, les anciens croyaient que la crue qui fertilisait le pays chaque année surgissait d’une caverne mystérieuse cachée sous les rapides. Car le Nil a, de tous temps, donné aux fellahs le boire et le manger dont ils avaient besoin en nourrissant les terres à chaque crue.

Assouan était la porte de l’Egypte, au-delà s’étendait la Nubie. Et désormais le Soudan. Qui se prend à rêver lui aussi de grandeur et de modernité. D’inutilité mercantile et de libéralisme. De villes rangées où l’électricité et l’eau courante permettront de sédentariser et de dompter les nomades et les paysans dans des cages tissées sur le désert selon le modèle des lotissements américains qui pullulent autour des agglomérations.
Multawa est l’une des premières villes dortoirs, montée comme un jeu de carrés qui s’emboîtent les uns les autres autour de la mosquée.
Multawa, ville cimetière où le gouvernement espère se faire entasser des milliers de paysans expropriés de leurs terres sous couvert de modernisme.
Multawa, ville de la honte, ville de l’oubli, ville de l’anonyme.

Si le Soudan mène à terme son projet pharaonique, le danger qui pèsera alors sur la région sera double.
Tout d’abord il faudra éviter que l’Egypte ne déclare la guerre au Soudan, ce qu’elle a toujours affirmer haut et fort, car ce barrage aura des répercussions sur celui d’Assouan, puisque construit en amont.
Ensuite, c’est un nouveau cataclysme écologique qui s’abattra sur la région, tout comme il s’est abattu sur l’Egypte. Mais c’est une plaie lente et pernicieuse que cet nouvel avatar égyptien qui ruine les terres, les paysans, détourne le climat, accentue l’érosion, perturbe l’écosystème animalier … Cancer de la planète il évolue lentement, au rythme non des hommes mais de la nature, et ne montre ses stigmates qu’aux connaisseurs qui les cachent aussitôt aux citoyens lambdas.

Le Soudan veut un lac de plus de deux cent kilomètres de côté, le Soudan rêve de grandeur et va derechef reproduire les mêmes erreurs que l’Egypte.
Adieu Nubie ; adieu Méroé et les pyramides des Pharaons noirs qui, au Huitième siècle avant JC, dominèrent l’Egypte et ses alentours pendant un peu plus de cent ans ; adieu Napata ; adieu l’Histoire.

Adieu aussi les champs fertiles que les paysans nubiens cultivent depuis plus de trois mille ans.

Paysans qui se demandent bien ce qu’ils vont pouvoir faire pousser dans le désert, même irrigué par les eaux du barrage, puisque les crues seront une nouvelle fois absentes, et avec elle le précieux limon qui fertilise.

Quand on connaît le Soudan, et ses régions des bords du Nil où la moindre graine vous donne un arbre en quelques temps, on se demande quelle mouche a piqué les dirigeants soudanais pour venir ainsi détruire un système écologique vieux de milliers d’années au nom de l’ère moderne.
L’argent ?

La guerre de l’eau n’est pas le corollaire de la fée électricité : les égyptiens commencent à le découvrir à leur dépend alors que les chinois ont déjà commis l’irréparable en construisant le plus gros barrage du monde ; et le Soudan s’engage derechef dans la même voie aliénante …

L’homme n’est pas un apprenti sorcier, ce temps est révolu, nous avons suffisement de recul, non, l’homme est un prédateur cupide qui est prêt à s’auto-détruire pour quelques dollars.

Dormez en paix braves gens, les épidémies, les cyclones, les pandémies, les cataclysmes sont encore loin …
Mais pour combien de temps ?

(1)

- 9 janvier 1960 : Nasser fait sauter la première charge de dynamite

- 1961 le Nil se révolte une dernière fois (la plus forte crue du siècle) dévastant les chantiers, retardant les travaux de plusieurs mois ; le fleuve laisse ainsi un dernier message aux hommes : "Ne barrez pas mon passage, Ne privez pas l’Egypte du Bienfait de mes Crues" … en pure perte

- 1964 Nasser fête la fin de la première tranche des travaux et fait sauter la dernière roche obstruant encore le canal

- 1971 Sadate et Khrouchtev inaugurent le haut barrage au nom de l’avenir, un avenir qui pour certains est passé par l’exil, pas moins de 200.000 personnes furent démobilisées pour la construction de cette gigantesque masse de pierre.
Le volume de sa digue 42.700.000 m3 (17 fois le volume de monument de Khéops), d’une hauteur de 111 mètres, d’une épaisseur de 980 mètres à la base et de 40 mètres à son sommet, d’une longueur de 3.600 mètres, le barrage résiste par son seul poids à la poussée des 157 milliards de m3 du Lac Nasser, ses turbines sont aux nombres de douze, il semble par son seul poids défier la puissance des flots qu’il retient.