Claude Chabrol fait à nouveau des vagues

Claude Chabrol fait à nouveau des vagues

Le problème avec Claude Chabrol c’est qu’il est presque plus divertissant que son " œuvre fleuve " toute entière. Ce " mégalomane modeste ", comme il se plaît à se définir lui-même, est un diablotin jubilatoire qui enchante son monde et celui du cinéma depuis presque cinquante ans et on s’est définitivement pris d’affection pour ce petit bonhomme affable et sympathique.

" J’en ai assez d’être aimé pour moi-même, j’aimerais être aimé pour mon argent. "C. C.

C’est une sorte d’extraterrestre ricaneur qui s’amuse en permanence de la vie et un peu des autres - mais toujours de manière respectueuse et surtout jamais à leur dépens. Notre " Docteur Popaul " (1972) aura, en réalité, passé toute son existence à inventer des histoires pour la pellicule ou à en raconter d’autres plus drôles pour ses familiers et ses proches. Pour tous ceux qui n’ont pas la chance d’avoir Claude Chabrol pour tonton, beau frère, grand-père ou vieux copain, le Cherche Midi a eu la bonne idée, pas chère, de publier une compilation joyeuse et enlevée de " ses pensées, répliques et anecdotes ".

Chabrol est un sage, un ironique jamais cynique, un " idéaliste dans la mesure où il croit qu’il est possible de vivre heureux, dans un univers qui a été fait par un con, certes, mais qu’on peut tout de même y arriver. A force de réflexion et d’astuce. ", un faiseur de rêves qui a traversé tellement de fois " La décade prodigieuse " (1972) qui peut aujourd’hui nous faire part de ses réflexions et de son humanité mais sans leçons de morale ou conseils de vieux nombriliste à tendance narcissique.

Claude Chabrol, c’est l’anti-Bouvard, jamais il ne radote, jamais il ne fait du " Chabrolisme " en s’écoutant parler, mais dieu sait qu’il écrit juste, avec beaucoup de recul, de malice et de bonne humeur. Ce prince de l’autodérision hors pair sait faire alterner les rôles les plus extrêmes depuis celui du misanthrope, en passant par l’énervé, le gouailleur jusqu’à celui du tendre. On se retrouve obligatoirement dans certaines de ses citations, on regrette amèrement de ne pas avoir écrit soi-même les plus drôles ou les plus pertinentes d’entre-elles.

Ce joyeux verbiage c’est tout sauf " l’Enfer " (1994), on lit ses mots comme on regarde ses films car Chabrol est un miroir de la société, il sait la regarder mieux que personne : ses congénères font l’objet d’études attentives, passionnées et cocasses, c’est son passe-temps léger ou grave.

" L’Oeil du malin " (1962) qu’il est sait partager ses goûts, ses regards amusés, ses coups de gueule et ses humeurs bileuses ou originales

Dans cette " époque où les pizzas arrivent plus vite que la police ", ce livre qui rend plus gai, plus sage et plus intelligent pourrait avoir un nouveau label, celui de l’utilité publique. On devrait le montrer dans les écoles, le lire à haute voix dans les lieux de détresse ou le graver sur CD audio pour égayer les files d’attente de la Poste. Ce Monsieur Cinéma fumeur de pipe a beaucoup de choses à nous apprendre. Il a été un des premiers à mélanger tous les genres de la création sans complexe et ce recueil fidèlement à ses habitudes cinématographiques est divisé en plusieurs chapitres hétéroclites sur lui-même, la société, la nature humaine, le cinéma, la télévision et se finit en apothéose par un entretien entre Claude Chabrol et Chabrol Claude. Se balader d’un chapitre à l’autre est vraiment " Une partie de plaisir " (1974), un défoulement pour les neurones et les zygomatiques.

On peut le dire sans " Cérémonie " (1995), il faut goûter à sa juste valeur ses élucubrations de celui qui " aime prendre des pilules avant de déjeuner. Même quand je n’ai rien. Je trouve que ça fait bien de sortir sa plaquette, comme ça les gens vous ménagent. " Lui, en tout cas, ne fait guère montre d’indulgence dans ses aphorismes, répliques, anecdotes et autres traits d’esprit. Comme le dit l’éditeur " Son œil (de Vichy, 1993) est gourmand et impitoyable lorsqu’il s’agit de déceler le ridicule de nos mœurs en général, mais aussi de la société de l’argent, de la bourgeoisie, des œuvres humanitaires, du cinéma et de la télévision en particulier, le tout avec une bonne humeur contagieuse. " Je n’avais qu’une seule crainte, avec ces pensées, c’était de paraître sympathique ", dit-il enfin. C’est avec ménagement qu’il faudra lui annoncer que sa crainte était fondée. " Nada (1974), rien d’autre à rajouter.

Monsieur Claude " Merci pour le chocolat " (2000) pour cette verve positive où vous avez bien voulu tomber les " Masques " (1997) et pour tout le reste qui nous a enrichi depuis des années. Prions pour " Que la bête meure " (1969)… le plus tard possible.

Claude Chabrol, Pensées, répliques et anecdotes, le Cherche midi 156 pages, 13 € (2002).

Claude Chabrol, Pensées, répliques et anecdotes, le Cherche midi 156 pages, 13 € (2002).