Cochon d’Allemand – Rentrée 2007

Cochon d'Allemand – Rentrée 2007

Quand la petite histoire rencontre la grande, cela donne un conte moderne imprégné d’images fortes. Quand l’Histoire croise le destin d’une femme ordinaire, elle le change en aventure extraordinaire. La résistance, la trahison, l’exil, l’Amour … racontés par le fruit de cette rencontre impossible – entre une Allemande fuyant les ruines de son pays au lendemain de la capitulation, et un jeune échalas danois qui succomba à cette beauté tudesque – nous offre une épopée au pays du Légo qui cingle les esprits

Mais n’allez pas croire que ce premier roman sent la rose, bien au contraire ! Comme le dit la légende, c’est sur le tas de fumier que pousse la plus belle des fleurs, et donc de ce côté-ci du balancier, la mère du narrateur fut très largement pourvue. Depuis son enfance (il lui faudra traverser le pare-brise de l’automobile de son beau-père pour que ce dernier daigne enfin lui accorder un peu d’attention) jusqu’à ses études (chamboulées par la guerre) et son engagement dans les cellules communistes, durement combattues par les SS, puis son errance dans l’Allemagne vaincue et son exil au Danemark où elle fut rabrouée par la population de la petite ville dans laquelle elle travaillait, "mère" traversa bien des cyclones avant de croiser le chemin de son futur mari.

Habillement écrit par celui qui, désormais, se consacre à la rédaction cinématographique aux côtés de Lars von Trier – après avoir été reconnu comme concepteur-rédacteur pour la publicité (plusieurs prix, dont le Lion Direct, à Cannes) – ce livre de Knud Romer, qui signe ici une œuvre autobiographique, nous dépeint, avec une rare maestria, le subtile enchevêtrement des cercles familiaux, depuis la fin du XIXème siècle jusqu’aux années 1970, en y mêlant cocasses détails et morceaux d’anthologie. Car il ne se sera pas uniquement fait traité de Cochon d’Allemand à la récréation, mais il subira brimades et humiliations, de concert avec sa mère, dès lors qu’il sortira de sa maison. Il se réfugiera alors dans les histoires de la famille, du grand-père paternel visionnaire (dont toutes les entreprises périclitent) à l’aïeul maternel, Junker prussien dont la femme fut défigurée par une explosion, et qui restera dans les mémoires pour son goulash incomparable, voire l’oncle devenu fou après avoir combattu au front … Tout un cortège de fantômes romanesques qui s’avérèrent être d’authentiques humains aux destins incroyables qui peuplèrent les rêves du jeune garçon et l’aidèrent à grandir. Croqués avec humour – sans quoi les mots n’ont plus d’esprit – ces personnages qui pourraient n’évoluer qu’à l’arrière-plan, se révèlent indispensables à l’équilibre du récit en lui donnant une perspective. Ainsi, ce qui aurait pu n’être qu’un journal de petit garçon, s’avère une œuvre d’une rare sobriété et d’une grande maturité.

Poignant et très touchant parfois, ce livre est aussi un traité de tolérance qui dévoile toutes les facettes de la cruauté des enfants, mais aussi celles des adultes. Basée sur la bêtise plus que sur la haine, cette peur de l’Autre qui, même si elle peut se comprendre au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, n’en justifie pas pour autant cette acharnement sur une jeune femme et son fils. Cette peur qui n’a plus de raison d’être aujourd’hui mais que l’on retrouve si souvent chez nos contemporains, dans les discours politiques de certains, si nous lui tordions le cou une bonne fois ?

Knud Romer, Cochon d’Allemand, traduit du danois par Elena Balzamo, Les Allusifs, août 2007, 183 p. – 16,00 €