Il était une fois … Hiroshima

Il était une fois … Hiroshima

Chaque 6 août de chaque année j’ai le moral dans les chaussettes. Hiroshima me hante. Cette folie des hommes m’empêche d’être heureux ce jour-là. Et l’amertume s’invite aussi, car j’entends presque tous les jours parler de l’Holocauste, et jamais rien sur cette abomination. Ou presque. Parce que l’Holocauste a été perpétré par les "méchants" Allemands tandis que la bombe atomique a été lancée par les "gentils" Américains ? Pour ceux qui n’ont aucune idée de ce que peut être le feu atomique, voici trois récits (avant, pendant, après) narrés par un maître de la littérature nippone.

N’oubliez jamais, peuple de la terre, que le 6 août 1945, à huit heures et quinze minutes, par un beau matin, l’une des pires abominations de l’histoire de l’humanité fut commise. Acte insensé qui, aujourd’hui encore, ravage les descendants des victimes innocentes, civils sacrifiés sur l’autel de la guerre totale !
Et comme cela ne suffisait pas, le 9 août, à onze heures et deux minutes, les USA récidivèrent sur Nagasaki.

Alors oui, c’est bien au XXème siècle que l’humanité pris fin libérant la barbarie sous les traits de nazis, d’abord, puis dans les mains de l’Empire qui, aujourd’hui encore, après la terreur portée au Viet-Nâm, au Cambodge et en Corée, récidive en Irak …
Que devions-nous voir ces ombres des corps fondus sur les murs, ces sculptures de bouteilles entrelacées, ces fantômes d’humains en guenilles, ces milliards de cheveux tombés en une seule fois, ces montres tordues aux aiguilles figées à l’heure H, toutes ces mains aux ongles déformés et aux phalanges anarchiques ; de quel droit nous offrir ces images insupportables de lambeaux de peau pendants à l’extrémité de membres atrocement brûlés ; qui pouvait imaginer ces rivières charriant des cadavres par centaines ?

Hiroshima marquée pour l’éternité du sceau du mal absolu, ville martyre qui sera désormais l’étendard mondial de la Paix. Alors, comme l’avait interdit Adorno pour les Juifs, devait-on aussi faire silence au nom du respect des victimes ? Sur l’instant, certainement ; puis le temps s’amplifiant, il convenait, tout comme pour l’Holocauste, de briser l’anathème et d’écrire pour réveiller la mémoire qui s’endort trop vite sur ses certitudes. Pour briser, aussi, le malveillant mensonge du déni, du rejet de la responsabilité, et pour allumer le feu de l’espoir, de l’amour, même si cela ne sert à rien. Tout le moins à donner de merveilleuses choses, comme Pluie noire, un roman bouleversant écrit par Masuji Ibuse (1898-1993) ; ou cet chef-d’œuvre du Septième art, Hiroshima mon amour d’Alain Resnais sur un scénario de Marguerite Duras, où Emmanuelle Riva et Eiji Okada nous révélaient à nous, Français, en un trait d’union symbolique et émouvant, l’union de nos deux cultures, l’ampleur aussi que pouvait prendre une tragédie collective au travers d’un drame personnel ; et surtout, l’incommunicabilité de la douleur qui en résulte.

Tamiki Hara (190561951), l’auteur de ces nouvelles, est né à Hiroshima. Issu d’une famille nombreuse, il s’intéressa très jeune à la littérature, et alla tout naturellement poursuivre ses études dans la prestigieuses université de Keiô. Il devint très vite un jeune écrivain brillant, engagé politiquement, tout en étant, dans la vie de tous les jours, un jeune homme sensible et renfermé.
Il se marie en 1933 (une année après avoir fait une tentative de suicide) mais sa femme meurt de maladie en 1944. C’est ainsi qu’il décide de quitter Tokyo où les bombardements s’intensifient de jour en jour pour se réfugier auprès de sa famille à Hiroshima …

Ces trois nouvelles décrivent, au plus prés des événements, ce qui se passa exactement à Hiroshima en cette année 1945, avant, pendant et après le drame, cet éclair qui brisa le monde …
"Il était presque impossible de reconnaître un homme d’une femme tant les visages étaient tuméfiés, fripés. Les yeux amincis comme des fils, les lèvres, véritables plaies enflammées, le corps souffrant de partout, nus, tous respiraient d’une respiration d’inscete, étendus sur le sol, agonisant." (page 81)
Dans une langue rythmée, précise et dénuée de tout habillage superflu, il nous donne un aperçu de ce que pouvait être le mode de vie quotidien des Japonais pendant la guerre. En de courts paragraphes, il nous plonge dans la touffeur de cet été quand les écoliers sont évacués à la campagne pour suivre des activités civiques ; où il nous fait toucher du doigt le travail des collégiens dans les usines, ou celui des collégiennes penchées sur leur machine à coudre … Tout ce peuple servile qui est totalement dépassé par la guerre dans laquelle son pays s’est engagé.

Puis vint la bombe. Dans le silence du matin, elle trouvera ses victimes, au rang desquelles Tamiki Hara qui en réchappera avec de graves blessures qui ne l’empêcheront pas d’écrire sans relâche, mais qui le pousseront à se jeter sous un train à Tokyo, en 1951, laissant ces témoignages, comme autant de cris de protestation, signes d’impuissance face à la folie des hommes.

Tamiki Hara, Hiroshima, fleurs d’été, récits traduits du japonais par Rose-Marie Makino-Fayoll, Brigitte Allioux et Karine Chesneau, Babel/Actes Sud, août 2007, 128 p. – 6,50 €