Lettre à mon ami Kenneth Foster.

Lettre à mon ami Kenneth Foster.

Tu devais souffler ta trente et unième bougie le 22 octobre prochain, Kenneth, avec ta pauvre petite fille qui ne t’aura connu que de l’autre côté des barreaux. Mais il est possible que tu ne la souffles pas car d’ici là le bourreau du Texas, sans état d’âme, t’aura injecté la mort dans la prison où tu croupis depuis l’âge de vingt ans. Qu’as-tu donc fait, Kenneth ?

En août 1996, avec trois copains, vous cherchiez un endroit pour aller boire un verre. Tu les avais emmenés dans ta voiture. Il aura fallu que vous vous égariez. Ton ami Mauriceo a vu Mary, une fille qu’il connaissait, et il est descendu pour lui parler. Seulement, Michael, le petit ami de Mary, était là. Très vite, un coup de feu a retenti. De la voiture, tu ne pouvais sans doute ni voir ni entendre. Mauriceo est revenu à la course sans expliquer ce qui s’était passé : il avait tué Michael. Alors, sans réfléchir, tu as appuyé sur l’accélérateur pour déguerpir.

Au procès, l’un de tes trois copains, Julius, a négocié pour échapper à la condamnation à mort en déclarant que lorsque Mauriceo est descendu, il était « prévisible » que c’était pour tuer Michael. Et toi, tu serais coupable d’avoir laissé faire. Et c’est pour cela que le bourreau du Texas va te tuer, toi aussi. Et moi, si je ne fais rien pour qu’on ne tue pas, alors que ta mort est plus que « prévisible », ne serai-je pas coupable à mon tour ?

Dans mon pays, la peine de mort, en principe abolie par la Convention en 1795, a été réinscrite en 1810 dans le dispositif répressif. Par un dictateur qui s’appelait Napoléon Bonaparte. Il n’aurait pas été ton ami ni le mien, Kenneth, si nous avions vécu en ce temps là. C’est Hamida Djandoubi qui, comme tant d’autres Maghrébins, fut le dernier à y passer, à l’aube du 10 septembre 1977. Tu remarqueras qu’on tue de préférence ceux dont on cherche à se débarrasser.

Chez toi, aux États-Unis, la peine de mort – suspendue pour inconstitutionnalité entre 1967 et 1977 – continue à être appliquée. Tu es au nombre des trois mille trois cent condamnés à mort – dont 660 en Californie et 397 en Floride - qui attendent leur exécution. Dans ton cas, la peine de mort est d’une injustice révoltante. La sentence est d’autant plus contestable que, trop souvent, il s’agit d’une grossière erreur judiciaire fondée sur de vagues témoignages.

La peine de mort est aussi le reflet du racisme fondamental qui sous-tend la société américaine. Le racisme, je n’ai pas besoin de t’expliquer ce que c’est. Quatre condamnés sur dix sont, comme toi, des Afro-Américains qui ne représentent pourtant que dix pour cent de la population. La proportion est plus élevée encore pour les exécutions effectives.

Dans mon pays, il y a une secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme, Rama Yade, qui a publié un livre intitulé Noirs de France. Elle a le même âge que toi - trente ans - et, elle aussi, pourrait être ton amie si elle voulait. Si elle lit ce que j’ai écrit, peut-être suggérera-t-elle à son ami, le président de la République française, de demander ta grâce. Je pense que Bush, ton président, a le pouvoir de te gracier, Kenneth, puisqu’il vient bien de gracier « Scooter », le directeur de cabinet de Dick Cheney, condamné pour obstruction à la justice, faux témoignage et parjure, à cause la guerre en Irak. En un sens, tu as peut être de la chance, Kenneth, parce que le président français est justement en vacances chez toi, là-bas. J’ai même lu dans les journaux qu’il doit déjeuner après-demain avec ton président.

Sans doute mon président parlera-t-il d’autre chose que de toi. La France est un petit pays, mais on dit que c’est le pays des droits de l’Homme. Et cela ne pourrait sans doute pas faire de mal à ton président de lui rappeler, entre la poire et le fromage, ce que sont les droits de l’Homme. Malheureusement, Kenneth, je n’assisterai pas à ce déjeuner. Et je ne suis pas non plus le secrétaire d’État aux droits de l’Homme. Mais on ne sait jamais, Kenneth, il faut garder espoir. J’espère qu’on se serrera la main un jour, dans ce monde ou dans un autre, là où tous les gens, je pense, auront la même couleur et où la peine de mort, forcément, n’aura guère de sens.

Un clip de soutien à kenneth Foster :

Le Blog de Claude Ribbe