Il faut tourner la page

Je connais une femme, elle a la cinquantaine, elle exerce le métier de gardienne dans un collège, elle est légèrement nymphomane, un après-midi sexuel en sa compagnie doit être plus éprouvant physiquement que le marathon de Paris, sans compter la remise en question morale qu’implique la prise de conscience d’être passé jusqu’à maintenant à côté de ÇA.

L’autre jour elle a collé son corps contre le mien pour me souhaiter le bonjour, j’ai senti ses seins contre ma poitrine, elle a déclaré :
« Matthieu je suis en train de lire un livre extraordinaire ! »

Elle a dit son titre, mais je l’ai oublié.
« C’est Patrick Besson qui l’a écrit... Y a personne pour parler des femmes comme lui, Matthieu ! elle a soupiré de sa voix langoureuse, en serrant mon épaule pour éprouver la fermeté de mes muscles. C’est beau quand il parle d’amour cet homme-là, bouh tu peux pas t’imaginer, ça me donne des frissons Matthieu... »

Il ne faut jamais négliger l’avis des profanes, en littérature, au risque de laisser passer des trésors qu’il suffirait pourtant de se baisser pour ramasser. Et d’abord depuis La littérature à l’estomac de Julien Gracq on sait tous qu’un auteur capable de provoquer une émotion physique, ne serait-ce qu’à un seul de ses lecteurs, doit être placé en tête dans la liste des prochaines découvertes.
J’avais vu sa tête une fois à Patrick Besson (pas facile de se faire un prénom avec l’autre trou du Luc prétentieux qui occupe tout l’espace).
A la télévision.

Il marchait dans la rue avec Frédéric Taddéi, la nuit, il assénait avec force qu’il ne la regardait jamais la télévision, qu’il n’aimait pas ça du tout, qu’on perdait son talent dès qu’on commençait à collaborer à la mascarade.
En fait maintenant je me souviens, j’ai vu une deuxième fois sa figure à Patrick.A la télévision.

Dans une émission littéraire présentée par une tête à claque à longs cheveux, avec Calixte Beyala qui venait « défendre » (on vend plus maintenant, on défend) un roman qu’elle avait peut-être écrit. Avec un petit sourire à la fois supérieur et modeste Patrick Besson ridiculisait Roger Hanin.

Il était vraiment amusant Patrick.

On finissait même par souffrir à force, de voir le beauf’ gâteux s’enfoncer dans le n’importe quoi avec Patrick qui plantait ses épigrammes dans sa vieille peau de rhinocéros aussi facilement que dans une motte de beurre. À un moment j’ai cru que Patrick allait se ramasser une paire de gifles, tellement il dépassait les bornes. La violence aurait provoqué un scandale inouï, la France entière en aurait parlé, répétition générale avant le match Trintignant-Cantat, on aurait vu le retour du stalinisme maintenant que Roger vient de s’encarter au PC, les chars soviétiques sur les Champs, Roger emprisonné dans le quartier VIP de la Santé, Patrick magnanime retire sa plainte, ses ventes explosent, ses lunettes volent à travers le plateau, les images repassent au ralenti le soir au zapping, à la télévision.
Non, vraiment un esprit du tonnerre ce Patrick Besson. Bien vu, Babette (ainsi se nomme l’admiratrice nymphomane, mon salut sur elle).

Mon admiration a encore augmenté pendant le mois d’août. Comme une moitié de français, je suis parti en vacances, profiter des bains de mer, pas loin de Jean-Pierre Chevènement. Dans la maison de mes hôtes, sur les tables basses, traînaient plusieurs numéros du Point. Vous saviez vous qu’il écrivait une chronique dans le Point Patrick Besson ?

Moi pas.Alors là j’ai adoré.

Dans la torpeur caniculaire j’ai assisté à l’exécution de Jacques Salomé (adieu Jacques, j’espère que tu as bien compris qu’il ne t’était après cette fessée plus décemment possible de publier une seule de tes diarrhées verbales, laisse vivre les arbres, pense à cette nature que tu aimes tant). J’ai trouvé un allié considérable dans ma lutte contre les romans de l’été, pour la promotion des œuvres littéraires vraiment indispensables, notamment du pavé proustien, polar du temps perdu. J’ai économisé pour les années à venir de longues heures gaspillées à transpirer sur les plages, depuis que j’ai découvert que Patrick Besson choisissait la Suède comme lieu de villégiature, destination qui ne lui permet guère de profiter du soleil, preuve qu’on peut rentrer pâle à Paris en septembre sans que la vie s’en trouve fondamentalement bouleversée, surtout si l’on n’habite pas la capitale. J’ai partagé le festin de Babette devant des phrases telles que : « Et voilà, pauvre Bertrand [Cantat]. A force de ne pas vouloir faire le mal, c’est lui qui t’a fait. Il t’a pris par surprise, car ne le connaissant pas, tu ne pouvais pas le reconnaître ».

Ça, faut admettre qu’il ne dégomme des cibles faciles Patrick. Il hésite pas à se payer la frite d’un type se morfondant au fond d’une cellule lituanienne, après avoir massacré sa maîtresse.

Et ouais, il est comme ça, Patrick.
Politiquement incorrect.
C’est son truc.
Pas du genre à fouetter en place publique à grands coups de verbes vengeurs des magnats de presse, des cadors influents, des crapules d’envergure. Trop facile, tout ça, pour lui... Trop politiquement correct.
Il n’aime à flinguer que les seconds couteaux.
Vu ce trait de son caractère, j’attends une chose, moi, maintenant. C’est qu’un jour, ayant fini de se délecter de la lecture de sa chronique - et pourquoi les grands écrivains abandonneraient-ils aux autres le plaisir de profiter des oeuvres qu’ils ont créées, mmmh ? -, il feuillette le magazine jusqu’à la fin.

Là, à la dernière page, il tomberait sur la photo de MSF.
Monsieur Sourcils Froncés.

(Le détail vous a peut-être échappé, mais Patrick Besson, lui, n’éprouve pas le besoin de montrer sa gueule au-dessus de sa chronique, pour la bonne raison qu’un écrivain qui pense avoir autre chose que sa prose à faire admirer ferait mieux de montrer son cul dans les foires.)
Il tomberait surtout sur le célébrissime « bloc-notes » de MSF (également surnommé BHL, parfois), docteur ès autocitation, auteur d’un de ces lucratifs livres de l’été fustigés par Patrick, créateur du « romanquête », formule stupéfiante de niaiserie, qui fera s’esclaffer quelques mois encore avant de sombrer irrémédiablement dans le néant des néologismes inutiles fabriqués par les essayistes crasses. Le goujat, suffisamment pleutre pour refuser d’assumer la paternité de l’expression - mais comment ne pas le comprendre ? « romanquête » ! - n’hésite pas, dans un élan de révisionnisme littéraire, à tremper dans la combine le pauvre Hugo tandis que, dans le silence des bibliothèques, un érudit du nom de Jean-Marc Hovasse bâtit une stèle funéraire à la dimension du géant, somme biographique dont la modestie des ventes hérisserait la crinière du harceleur médiatique, incapable de saisir l’intérêt d’un travail à la fois tellement titanesque et si hautement confidentiel.
Alors, ébahi par la nullité de ces notes en bloc qui n’intéressent personne mais reviennent néanmoins battre nos consciences hebdomadairement, inexorables comme la marée, ces textes où l’indigence des idées le dispute à la platitude de la langue, Patrick s’installerait devant son i-Mac et déculotterait le grand enfant fat pour une correction notoire et méritée. Devant nos yeux écarquillés, quelques cent soixante dix ans après la Peau de chagrin, tel un Raphaël de Valentin des temps modernes, il démontrerait « la raison des fréquents succès obtenus par les hommes médiocres ».
Allez, Patrick, encore un effort, tant pis s’il t’apparaît trop politiquement correct de vanner un type qui signe dans le même canard que toi. Comme tu as bon fond, tu seras bien sûr un peu gêné lorsque tu croiseras MSF au boulot devant la machine à expressos.

Oublie ces détails. En toi siège la muse, Patrick, accomplis ta mission, ne nous laisse pas seuls, procèdes sans haine et sans crainte à l’éreintement, le mémorable, le définitif !
Car vous et nous, frères et soeurs, en sommes bien incapables, avouons-le, peu rompus que nous sommes aux joutes télévisuelles, effrayés par l’éventualité d’un violent coup de mèche rebelle ou d’un puissant revers de col blanc, peu familiers des oeuvres d’Hegel et de Schopenhauer (« ’Relisez Schopenhauer’, ah, ça, non, par exemple, il ne faut pas nous la faire » comme dit la duchesse de Guermantes dans Le Temps retrouvé...) et donc facilement pris en défaut par la rhétorique perverse du grand manitou qui, plutôt qu’à éclairer ses disciples cherche à les égarer dans l’obscurité de ses références absconses, davantage qu’à l’émancipation intellectuelle songe au contrôle des cerveaux pour amener son monde à penser comme lui.
Après les fermes tapes sur ses fesses roses administrées par Patrick, le cuistre oserait-il encore pondre ses fientes nauséabondes ?
J’en doute.

Nous serions alors en quelque sorte sauvés.
Cette déconification soudaine nous laisserait bien sûr un peu hagards au début, mais quel sentiment de liberté ensuite, quelle sensation de grand large, de vent dans les cheveux ! Et les embruns… dans le visage les embruns !
Patrick Besson, mieux que Delanoë, c’est l’océan à Paris.