Serge Scotto, un enfant de quarante ans et des poussières

Serge Scotto, un enfant de quarante ans et des poussières

J’ai rencontré Serge Scotto pour la première fois sur
ses terres, dans son fief, au Sud de la France et pour
être plus précis, à Toulon. Nous faisions partie d’un
groupe d’une cinquantaine d’écrivains venus de tous
bords invités par un bandit corse mâtiné de truand
marseillais qui nous était d’ailleurs fort
sympathique. Pendant une dizaine de jours, Pierre
Defendini, l’organisateur des Nocturnes littéraires,
allait remuer terre et ciel pour nous rapprocher, nous
les auteurs, de notre public.

Il nous avait rassemblés
à Toulon où il avait installé son Q.G., mais dans le
programme, il y avait la Ciotat, Saint-Mandrier,
Six-Fours-les-Plages, La Seyne-sur-Mer,
Bormes-les-Mimosas, Le Castellet et bien sûr Cassis et
ses calanques comme apothéose. Chaque jour, lorsque la
grosse chaleur tombait et que les autochtones
s’affranchissaient de leur torpeur et des bras soyeux
de la sieste sacrée, une navette venait nous quérir en
bas de notre hôtel. À dix-huit heures, une belle
conductrice blonde nous branchait sur Nostalgie FM et
à quelques encablures et quelques litres d’essence,
elle nous déversait dans des aires de paradis
rivalisant en beauté et en douceur de vivre.

Disposant de toute la journée, nous étions libres
comme le mistral soufflant dans les pinèdes et les
cigales stridulant où bon leur semble. Mais depuis la
gare où il était venu nous réceptionner,
l’organisateur avait insinué en nous un sentiment
digne d’un troupeau de moutons ou de petits poussins
au duvet jaune marchant sagement derrière leur mère
poule. En fin stratège, il avait réservé les meilleurs
restaurants flanqués des plus belles plages où
s’affairait une armée de serveuses dignes d’illustrer
de leurs sourires et de leurs silhouettes les
couvertures des magazines de mode.

Le vin blanc et
rouge coulaient à flot et une forêt de bouteilles
poussait en rien de temps sur une table longue d’une
quinzaine de mètres. Alors comment résister à la
tentation insufflée par le diable en personne ?
Comment refuser les délices d’une vie insouciante
placée dans un décor de rêve ?

Les flâneries dans les
ruelles et les placettes ombragées de la vieille ville
et regarder les bateaux amarrés dans la fameuse rade
étaient renvoyées aux calendes grecques.
Nous étions tous ensemble et c’est ainsi que j’ai
rencontré Serge Scotto et son compagnon quadrupède
Saucisse. Je me régalais d’une délicieuse paella
surmontée d’une montagne de moules, de crustacés, de
cuisses de poulets et de chorizo lorsque le chien de
mon voisin à droite a posé sa patte sur mon bras.
Comme tous ses compères, il remuait nerveusement sa
queue, c’était clair, le contenu de mon assiette
l’intéressait et il s’en léchait les babines.

Son
propriétaire qui le tenait toujours en laisse arborait
le look du vacancier par excellence avec son tee-shirt
frappé à l’effigie de Mickey et ses espadrilles
assorties avec son bermuda. Dans un accent pur-sang
marseillais, il m’a dit que Saucisse venait de manger.
Puis, il s’est rendu compte qu’il avait oublié de lui
administrer son médicament pour le coeur. Il a pris un
bout de poulet dans mon assiette, il y a fourré une
pilule bleue que le chien a engloutie avec une faim de
loup. Serge m’a raconté l’histoire de son teckel qui
avait échappé à une mort certaine grâce à
l’acharnement des vétérinaires de la SPA Marseille.

Depuis, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts de
la Seine et Saucisse était devenu un écrivain plus
célèbre que lui. À Marseille, il avait désormais une
place qui portait son nom. J’étais flatté de savoir
que le chien qui visait mon assiette avait déjà une
patte humoristique dans l’éternité. À la fin du repas
gargantuesque arrosé des meilleurs crus produits par
le sol de France, nous avons échangé nos coordonnées.

Je leur ai dit qu’ils seraient les bienvenus chez moi
dans mon humble HLM de la Régie immobilière de la
capitale. Quant à eux, ils m’ouvraient leurs bras et
leurs pattes dans la citée phocéenne. D’ailleurs, avec
le T.G.V., Paris était devenu la banlieue de
Marseille, c’était vraiment kif-kif bourricot-bézef.
En 2007, j’ai revu le duo au salon du livre de Metz.

Le maire donnait un banquet en l’honneur des écrivains
présents dans sa ville dans une immense salle pas loin
de l’Esplanade. Serge et Saucisse étaient là, au fond
de la salle avec une bande de Marseillais tous auteurs
de romans policiers. Serge m’a désigné de loin la
place libre en face et son compagnon a poussé des
aboiements en guise de salamalecs canins. Serge avait
entamé un refrain de Mike Brant et ma présence
n’allait rien modifier.

Laisse-moi t’aimer
Toute une nuit
Laisse-moi
Toute une nuit
Faire avec toi
Le plus long, le plus beau voyage

Veux-tu le faire aussi ?

Né début des années 60, Serge avait exercé une
multitude de métiers, mais celui qui l’avait le plus
marqué, c’était Dame Pipi. Et oui, il avait commencé
par le plus bas pour monter au plus haut car il était
devenu l’un des rois de Marseille en devenant le
patron de l’une des plus grosses boîtes de nuit de la
ville. Serge se définissait lui-même comme un homme
aux casquettes multiples et ce n’étaient apparemment
pas les flèches qui manquent à son carquois.

Instituteur défroqué, dessinateur, parolier, l’ancien
batteur déjanté des « Steacks » a persuadé Mike Brant
de renoncer à son suicide et de continuer à chanter :

Laisse-moi t’aimer
Laisse-moi t’aimer, toute ma vie
Laisse-moi, laisse-moi t’aimer
Faire avec toi le plus grand de tous les voyages
Laisse-moi, laisse-moi t’aimer, t’aimer.

En 2001, Serge avait défrayé la chronique à Marseille
lorsque son chien s’était présenté aux élections
municipales. Avec le slogan « Pour une sauciété plus
humaine, contre une vie de chien », Saucisse avait
récolté 4 pour cent des voix, c’était beau à voir ! À
présent, la vie nocturne ne leur disait plus rien. Le
métier d’écrivain leur allait comme un gant, mais pas
le monde dans lequel ils vivaient et contre lequel ils
enrageaient et aboyaient du matin au soir. « 
L’écrivain est un prophète qui marche à pied... dans
cette société de surmédiatisation des footballeurs et
des actrices pornos ! Mais nous faisons tranquillement
notre bonhomme de chemin, alors bravo à nous. »

Je venais de lire, d’une traite, son dernier roman
Massacre à l’espadrille. Pour moi, Serge était un
grand connaisseur de l’âme de la cité phocéenne. Son
humour décapant et son style qui coulait comme l’eau
de la source m’enchantaient. À notre table, les
Marseillais allaient rester là à boire et crier
jusqu’à trois heures du matin, je le savais grâce à
Serge qui n’avait pas son pareil pour parler de ses
compatriotes. Je cite un passage de Massacre à
l’espadrille.

« Les Marseillais s’agitent autour de
moi, comme si c’était là leur activité principale,
mais trouvent toujours le temps se suspendre leur vol
pour trinquer avec une main tendue de rencontre. « Ho
 ! mon collègue » s’apostrophe-t-on joyeusement, avant
de se biser comme des voyous.

- Tu bois le petit verre ?

- Je sais pas trop..., réfléchit l’autre, jetant un
oeil sur le cadran de son mobile en guise de montre.
C’est que j’ai pas que ça à faire.

Un Marseillais n’a jamais que ça à faire, c’est dire
la considération qu’il vous accorde lorsqu’il accepte
finalement votre invitation à boire un coup.

- Té, vé ! Juste un, alors...Vite fait ! qu’on précise
pour la forme, avant de dresser le camp. »
Dans ma chambre d’hôtel, avant d’éteindre la lumière,
j’ai lu les mots de la dédicace. « Pour l’ami.

Massacrons, massacrons ! Tant qu’il ne s’agit que de
littérature. » Décidément, Serge était un enfant qui
refusait de grandir. Provocateur professionnel, il
jetait sur le monde un regard désabusé.

C’était un
Petit prince errant dans le désert de l’humanité et
qui ne comprenait pas la bêtise des grandes personnes.

Quant à son compagnon Saucisse, n’en parlons pas, il
était comme son maître, un chien des rues !


Le Blog de Serge & Saucisse