1967 : il y a 40 ans, le monde s’est figé

1967 : il y a 40 ans, le monde s'est figé

Juin 1967, juin 2007 : voilà quarante ans se déroula la plus courte guerre du monde moderne, un acte illégal (puisque sans déclaration au préalable) qui verrouilla toute la politique internationale sur l’axe unilatéral du fait accompli. Une décision insensée que l’on continue de payer chaque jour. Un livre nous en détaille les origines, les impressions des acteurs (anonymes et hommes de premiers plans) et analyse les répercussions de cette guerre dans le quotidien israélien et palestinien. Un livre choc, bien utile pour démêler les codes de lecture de l’histoire du Proche Orient.

Après la nationalisation du canal de Suez par Nasser, et l’opération militaire avortée des Occidentaux (Anglais, Français et Israéliens) suite à la menace soviétique, un statut quo s’était instauré … Mais Nasser, en fin stratège qu’il se plaisait à croire, voulut faire monter les enchères. Et sur le modèle de la crise des missiles de Cuba, pensa que la simple menace pouvait lui permettre d’obtenir plus sur le plan politique … Le problème, qui lui échappa totalement, c’était qu’en face, il avait une population qui subissait une crise économique sans précédent et une armée qui tentait de faire un putsch sans le dire. Le Fatah avait débuté en octobre 1966 ses opérations commandos, et la paranoïa israélienne battait son plein. Astucieusement manipulée par certains journaux, la peur s’empara de la population, et seul le premier ministre tentait de faire face dignement, arguant que la guerre n’était en rien une solution, et qu’il convenait de déployer une diplomatie ferme et efficace …

Né en 1945 à Jérusalem, Tom Segev est le chef de file des nouveaux historiens israéliens, ceux qui ont osé, voilà une dizaine d’années, s’opposer aux thèses officielles de l’Etat hébreu. Sans aucune concession, ces hommes libres poursuivent l’analyse et la réécriture des épopées d’Israël : implacables mais profondément humains, ils décryptent sans concessions les errements et les choix d’une politique hasardeuse qui a conduit Israël, aujourd’hui, dans une impasse.

Ce livre est le fruit de cinq années de recherches, d’études approfondies d’archives qui, par le jeu de l’inconscience des dirigeants israéliens, sont d’un accès plus aisés : en effet, ces derniers ont pris la mauvaise habitude d’emporter à leur domicile des dossiers confidentiels, sans jamais les rapporter au bureau. Ce qui permet aux descendants, en ouvrant leurs archives, de livrer à l’historien une mine inespérée de documents confidentiels … Ainsi, les veuves laissèrent-elles Tom Segev prendre connaissance des comptes rendus entiers de Conseils de ministres.

Les deux tiers de l’ouvrage sont consacrés aux mois, aux années qui précédèrent l’entrée en guerre ; car les racines du conflit sont à rechercher dès le milieu des années 1960. Alors qu’Israël incarnait un modèle unique au monde, l’Etat – qui s’était construit sur deux guerres gagnées [en 1948 et en 1956] et avait accueilli 2 millions d’immigrants supplémentaires – commençait à ressentir les prémices de la récession, mais les élections législatives de 1965 masquèrent la réalité. Tandis que Shmuel Yosef Agnon remportait le prix Nobel de littérature (1966), un chômage galopant couplée à une crise financière s’invitèrent dans la société civile ... Les Israéliens quittèrent alors le pays. A la fin de l’année 1966, le nombre des partants dépassait celui des arrivants. Nul ne pouvait imaginer pire affront à l’ego sioniste.
Débuta alors un débat jusqu’alors tabou : la possible fin du sionisme. Thèse impopulaire mais qui, aujourd’hui, a toute sa place dans le débat, comme nous l’avons présentée, tant du point du vue des Juifs orientaux que, désormais, d’une partie de la population qui ose se remettre en question (lire la revolution sioniste est morte).

L’époque héroïque que David Ben Gourion symbolisait s’acheva et Levi Eshkol devient Premier ministre. L’opinion publique s’acharna sur lui à cause d’une apparente faculté à ne pas décider. L’ambiance était délétère. La paranoïa s’empara des esprits, les vieux clichés (les Arabes veulent jeter les Juifs à la mer) reprirent du service, les esprits s’échauffèrent … Les militaires sentirent que le moment était arrivé : les généraux firent pression sur le gouvernement pour déclencher une guerre préventive, avec la ferme intention de réunifier Jérusalem et d’étendre les frontières, toujours sous couvert de préserver la sécurité d’Israël, mais en fait, pour continuer la mise en pratique de l’idéologie du Grand Israël.
Alors que les plus irresponsables parlaient d’un nouvel Holocauste, le conflit semblait inévitable. Israël nageait dans l’irrationnel : lors des discussions de janvier 1967, entre le gouvernement et le Mossad, les spéculations allèrent bon train, on prêta des intentions au roi Hussein de Jordanie. Cependant, une conclusion s’imposait clairement : l’annexion de la rive occidentale du Jourdain et de Jérusalem-Est ne serait pas dans l’intérêt national d’Israël (sic). Le 5 juin 1967, quand la légion jordanienne attaqua (pour ouvrir un second front dans l’espoir de détourner Tsahal de l’Egypte), la pulsion viscérale sioniste s’empara des esprits : au lieu de repousser les Jordaniens, les parachutistes israéliens entrèrent dans Jérusalem, suivant les ordres de Moshe Dayan, alors que Eshkol s’y opposait. Alors que l’Egypte était à genoux, Israël va s’emparer des lieux saints, musulmans et chrétiens, un geste aux fortes conséquences internationales.
Il est intéressant de noter que la réunion de l’état-major et du Mossad n’aborda jamais les risques que cela représentait. On n’y réfléchit pas car on n’était dans un fantasme.
Le Rubicon fut franchit.
Israël venait de passer le point de non-retour. D’après les documents trouvés par Tom Segev, le roi Hussein était prêt à une paix durable si on lui rendait Jérusalem-Est et la Cisjordanie. Mais, Israël, arrogant, borné et psychologiquement border line, dans l’ivresse de la victoire, ne voulait rien entendre. La folie s’étendait, le pays nageait dans une transe proche du mythe enfin réalisé, cela relevait de l’essence d’Israël que de détenir tout Jérusalem. Une erreur fondamentale qui ne s’explique pas de manière rationnelle et cohérente, car, hormis le mur des Lamentations, il n’y a pas grand-chose de juif à l’Est. Et, d’une manière ou d’une autre, les lieux de prière auraient pu être rendus accessibles sans recourir à l’annexion.

Et aujourd’hui encore, Israël vit sur cet acquis, sans se poser plus de questions … La victoire de 1967 lui a permit d’offrir un second souffle au sionisme. Un sentiment de toute-puissance enivre le pays. Il aura fallu la gifle de la guerre du Kippour (octobre 1973) pour que les yeux se dessillent quelque peu … Mais 1967 aura surtout contribué à l’isolement d’Israël et à substituer aux racines européennes un lien exclusif avec les Etats-Unis. Lien qui entraîna le pays dans une nouvelle guerre sous-traitée en juin 2006 contre le Liban, guerre perdue qui démontre que Tsahal ne sait plus mener une guerre et n’est plus qu’une force de police servant à maintenir une chape de plomb sur une population civile. La nouvelle génération israélienne est désabusée et s’est résolue à admettre l’éternel sentiment d’insécurité qui prévaut au quotidien … Quarante ans après, les ravages de la guerre éclaire de 1967 continuent à miner les esprits et à plomber les relations internationales avec la cause palestinienne qui s’est répandue dans toutes les consciences.

Tom Segev, 1967 – Six jours qui ont changé le monde, traduit de l’hébreu par Katherine Werchowski, Denoël, juin 2007, 658 p. – 32,00 €