De Bouinan à Sidi Aissa : Cap sur l’Algérie profonde. II

De Bouinan à Sidi Aissa : Cap sur l'Algérie profonde. II

La commune de Dirah est située à 7 Km de Sour El Ghozlane. De prime abord,
ce bourg qui ne paie pas de mine semble n’être qu’un vulgaire point de
passage sur la route qui relie, sur plus de 35 Km, Sour El Ghozlane à Sidi
Aissa. Il est vrai que le dénuement et la précarité sautent aux yeux du
visiteur qui découvre à juste titre une bourgade, habitée à peine par un
millier d’habitants, où l’on manque pratiquement de tout. Quelques bâtiments
construits récemment, un lycée inauguré nouvellement et une dizaine de
locaux commerciaux s’efforcent néanmoins à nous donner l’illusion qu’une vie
s’anime dans ce hameau. Mais comme on ne peut guère cacher le soleil avec un
tamis, les habitants de Dirah n’hésitent jamais, lorsque on les interroge, à
dévoiler leur sentiment de détresse concernant leurs conditions de vie. « 
Ici nous sommes bel et bien dans l’Algérie profonde.

L’Algérie d’en bas qui
manque du minimum vital et où le chômage bat son plein. Et pourtant nous
vivons sur une terre ô combien très riche. », rouspéta Ammi Aissa, l’un des
notables les plus respectés de la région.

Une terre riche et des hommes pauvres

En effet, au-delà de l’élevage et de l’agriculture qui sont d’importants
atouts pour cette porte des steppes, d’autres sources de richesses, moins
insoupçonnées, font également la réputation de Dirah. Et oui, beaucoup
d’Algériens ignorent que c’est à Dirah que l’on a découvert le premier de
champ de pétrole de l’Algérie. C’est en 1949 que le colonisateur français
mis en exploitation à Oued-Guetrini dans la région de Dirah, les premiers
gisements de pétrole de notre pays. A l’époque, la France coloniale y avait
investi pleinement jusqu’à atteindre 180 puits mais, juste après la
découverte du pétrole à Hassi-Messaoud en 1956, un désintérêt graduel a été
enregistré. Après l’indépendance, l’entreprise Sonatrach continuait à
exploiter le gisement de Dirah mais, au fil des années, des puits
tarissaient et d’autres tombaient en panne sans qu’ils fassent l’objet d’une
quelconque réparation.
Aujourd’hui, il ne subsiste, officiellement, dans ce champ que 15 puits
encore en exploitation. Le pétrole brut est puisé et collecté sur place dans
de grandes citernes, puis acheminé par camions-citernes vers la station de
M’sila où il est injecté dans l’oléoduc allant vers Béjaïa et passant par
Béni-Mansour, à 40 km à l’est de Bouira.
Cependant, depuis 2005 les gisements pétroliers de Dirah font l’objet d’un
regain d’intérêt après avoir été quasi abandonné par l’entreprise Sonatrach.
En effet, il y a de cela deux ans la Sonatrach avait selon plusieurs sources
concordantes relancé les recherches au niveau de ce périmètre compris entre
les wilayas de Bouira, Médéa et M’sila et qui est d’une superficie de 41km2.
D’après les informations qui ont circulé à l’époque, les analyses des
premières recherches ont donné des résultats probants avec des gisements
perspectifs importants. On a même parlé à l’époque d’un avis d’appel
d’offres international qui sera lancé pour son éventuelle exploitation. Or,
en se rendant sur place, nous n’avons constaté aucune avancée notable à ce
sujet. Le volume des réserves de ce champ pétrolifère n’est toujours pas
déterminé avec exactitude, et les dizaines de puits d’ Oued-Guetrini
connaissent toujours le même rythme d’exploitation. Toutefois, sur place, un
violent contraste frappe l’esprit. Juste à côté de ses gisements et sur une
terre si prometteuse encore, des gourbis servent de toit pour des dizaines
de famille dont le niveau et les conditions de vie laissent peu de place à
la gaieté. Un berger malmené par son troupeau ne nous cache pas d’ailleurs
sa colère sur ce état de fait. « Tout ce pétrole sous notre terre et nous on
crève de misère », s’écrie-t-il. « C’est devenu de plus en plus difficile
pour nous de vivre grâce au bétail. Les pâturages ne sont plus si vastes
qu’avant et le commerce nous imposent des prix qui laissent peu de
bénéfices. L’avenir de nos enfants est vraiment en danger », assène-t-il
encore. Â Dirah, un responsable de l’administration locale qui a requis
l’anonymat n’y va pas de main morte pour dénoncer l’immobilisme qui
caractérise la wilaya de Bouira. « Donnez moi un seul pays au monde qui
laissent ses citoyens croupir dans la pauvreté alors que ses sous-sols
recèlent d’immenses richesses ! Â Dirah, en 1988, la grande compagnie
britannique BP voulait s’installer pour exploiter notre champ pétrolifère.
Une base de vie allait voir le jour et des milliers d’emplois auraient pu
être créés.

Mais le terrorisme qui a décimé notre région a tout gâché et nos
autorités n’ont pas donné des gages d’assurances pour cet important
investisseur étranger. Résultat : les considérables retombées positives sur
notre région se sont évaporées d’un seul coup avec l’inaccomplissement de ce
projet », explique-t-il avant d’ajouter plus loin : « Aujourd’hui, le pays
est en paix et la sécurité est revenue dans notre région. Alors qu’attendent
nos responsables pour attirer des investissements dans cette région enclavée
oubliée par notre gouvernement. Tout le monde sait que les gisements de
pétrole sont bien plus importants que ce que nous avait dit. Vous imaginez
l’apport important que représente une réelle exploitation de tous les puits
de pétrole de Dirah ? Cela permettra à coup sur de créer de l’emploi et de
la richesse dans toute la région qui en a vraiment besoin. Enfin, ici nous
avons tous le sentiment que notre sort n’intéresse personne au pouvoir. »
En partant de Dirah, la confession de ce responsable retentit toujours dans
nos oreilles. Cette terre riche aux hommes pauvres nous interpelle au plus
haut lieu. Mais malheureusement, elle n’interpelle toujours pas ceux qui
détiennent le pouvoir décisionnel de ce pays. Paradoxe, contraste ou
simplement l’absurde destin de cette Algérie profonde ? Notre réflexion
s’embrouille petit à petit dans un labyrinthe d’interrogations. Mais pas le
temps de cogiter car loin d’une vingtaine de kilomètres de Dirah, la
pittoresque Sidi Aissa nous ouvre déjà ses bras pour nous accueillir.

Sidi Aissa : la Mecque des maquignons

Sidi Aissa est une grande daïra de la wilaya de M’sila. Jusqu’à très
récemment, la ville n’était même pas visible sur les cartes routières.
Naguère, elle n’était qu’une sorte de nulle part entre Sour El Ghozlane et
Bou Saada. Et pourtant, Sidi Aissa à des atouts à faire valoir comme son
marché hebdomadaire qui draine des milliers de visiteurs chaque semaine. Il
faut dire que Sidi Aissa est bel et bien le royaume des maquignons. Tous les
grands éleveurs de bétail du pays se donnent rendez-vous dans les cafés de
cette ville pour préparer la journée du lundi, jour où se tient le marché à
bestiaux de Sidi Aissa. Il s’agit d’une véritable bourse à ciel ouvert où
des sommes titanesques s’échangent entre des vendeurs et des acheteurs
semblables aux goldens boys de la city. Il faut dire que les maquignons ont
su comment faire de Sidi Aissa un pôle commercial incontournable. Ainsi, les
jours qui précédent l’Aïd El Adha transforment toute la ville en une
gigantesque foire où les marchands s’échinent à vendre leurs bêtes aux
meilleurs prix. Néanmoins, aujourd’hui un grand fléau perturbe le business à
Sidi Aissa. En effet, vu les conditions actuelles d’insécurité qui règnent
sur le marché, il est désormais très dangereux pour les maquignons de
trimballer d’importantes sommes d’argent. Or, les transactions nécessitent
des centaines de millions. « Notre marché est infesté de voleurs et de
malfrats qui peuvent vous délester même de votre veste », nous confie
Zinedine, un maquignon très bon connaisseur et un habitué du marché de Sidi
Aissa.

« Une fois j’ai pris une option sur un petit troupeau d’une dizaine
d’agneaux à l’aube. J’étais le premier client de cet éleveur et au moment où
j’allais payer mon vis-à-vis, deux hommes sortent de l’ombre et me menacent
avec des armes blanches. Effrayés, j’ai du cédé tout mon argent à ces deux
gaillards qui ont pris la fuite illico presto. J’ai perdu ce jour une
immense somme », raconte notre interlocuteur qui nous assure qu’il loin
d’être la seule victime de pareils traquenards car des histoires comme
celle-là peuvent se vérifier de visu à chaque lundi au marché pittoresque de
Sidi Aissa.
Si l’insécurité alimente beaucoup les inquiétudes des habitants de Sidi
Aissa, les maquignons de la région dénoncent aussi un autre phénomène qui
met en péril leur commerce. Il s’agit des spéculateurs. Des profanes qui ne
connaissent rien à l’élevage, mais qui se lancent volontiers dans le milieu
maquignon et les transactions qui lui sont inhérentes notamment à l’approche
des périodes de fêtes où ils espèrent engranger d’importantes marges de
bénéfices.

« Ceux sont généralement des personnes qui se mettent en
association en deux ou en trois, ils acquièrent un petit troupeau et ils le
dopent avec des aliments de bétail dans un garage et puis il le revendent au
marché avec quelques fois 50 % de bénéfices sur la mise de départ. Or, ces
gens avilissent notre métier. Ils peuvent facilement vous vendre des
troupeaux malades car ils ne connaissent rien à l’élevage. Ils capotent nos
affaires et ils sont les principaux responsables dans la spéculation sur les
prix des moutons en faisant dans la concurrence déloyale », nous explique
Zinedine. Néanmoins, ces traqueurs de gain se font à maintes fois piéger car
leur percée dans ce milieu si restreint et difficile se solde souvent par la
faillite.

Enfin, ce qu’il faut retenir du marché de Sidi Aissa, c’est qu’il n’y a
pratiquement aucun instrument pour contrôler le flux de transactions
financières qui n’obéissent, il faut bien le préciser, à aucune règle
commerciale clairement définie. On ne peut guère d’ailleurs connaître
l’origine de ces importants capitaux qui transitent entre les mains de
quelques barons dont la seule parole vaut plus que toutes les lois de la
nation. Mais ici à plus de 200 Km de la capitale, la gestion des affaires
publiques n’en est pas moins corrompue. Comme quoi, la pyramide ne peut se
nettoyer que d’en haut.