Le Hamas est passé à l’action poussé par une peur très réelle d’un coup de Jarnac sponsorisé par les Etats-Unis

Le Hamas est passé à l'action poussé par une peur très réelle d'un coup de Jarnac sponsorisé par les Etats-Unis

Les empreintes digitales des grosses paluches sanguinolentes de Washington sont absolument partout sur le chaos qui a frappé les Palestiniens. La dernière chose dont ceux-ci puissent avoir besoin, c´est bien d´un envoyé spécial nommé Tony Blair !

[Ont-ils franchi la pas en sautant d´eux-mêmes, ou bien est-ce qu´on les a
poussés dans le dos ? La capture par le Hamas des QG de sécurité à Gaza
était-elle spontanée, ou s´agissait-il d´une frappe préemptive afin de
prévenir un coup d´Etat du Fatah ? Après le chaos de la semaine passée, il
est extraordinairement important d´en découvrir les causes.]

La cause fondamentale est, bien entendu, parfaitement connue : Israël,
secondé par les Etats-Unis, n´était pas prêt à admettre une victoire du
Hamas aux élections palestiniennes, l´an dernier. Soutenus par une Union
Européenne - serpillière, ces deux pays ont donc décidé de boycotter
politiquement leurs nouveaux homologues palestiniens et de châtier les
électeurs palestiniens en arrêtant toute aide économique. Leur politique a
eu un effet dramatique, transformant de manière encore plus choquante Gaza
en prison à ciel ouvert, et créant de la misère humaine à une échelle
massive. Le but, donc, était de faire se retourner les électeurs
palestiniens contre le Hamas - stratégie ô combien stupide, et ô combien
cynique, dès lors qu´une pression venue de l´extérieur produit généralement
plutôt la résistance que la reddition.

Cette politique de Gribouille a choqué même des responsables occidentaux
aussi modérés qu´un James Wolfensohn, ancien directeur de la Banque
Mondiale, que les Américains avaient chargés de seconder l´économie gaziote
avant la victoire du Hamas aux élections. « Le résultat, ça n´a pas été la
création d´un surcroît d´activité économique, mais la création d´obstacles
supplémentaires », a-t-il déclaré, voici quelques jours, tout en expliquant
qu´il avait démissionné en raison de son désaccord avec la stratégie
américano-israélienne.

Par ailleurs, tout le monde sait que le Hamas avait été aussi surpris par sa
victoire électorale que n´importe qui, et qu´il avait proposé à son rival
malheureux - le Fatah - une coalition en vue de la formation d´un
gouvernement d´union nationale. Cette offre fut déclinée. Ce refus fut
déterminé, initialement, par un sentiment de fierté blessée ; le rejet
réitéré par le Fatah des ouvertures régulièrement répétées du Hamas sembla
de plus en plus coordonné avec Washington, et s´insérer dans la stratégie de
boycott [israélo-occidentale].

Depuis des mois, des informations circulent, concernant un aspect plus
sinistre du boycott. D´après ces informations, les Etats-Unis ont décidé,
l´an dernier, d´un plan visant à armer et à entraîner la garde
présidentielle de Mahmoud Abbas, dans une action délibérée visant à
affronter et à battre le Hamas militairement. Israël a d´ores et déjà mis
sous les verrous plusieurs dizaines de législateurs et maires du Hamas, en
Cisjordanie. L´étape suivante devait consister à faire la même chose dans la
bande de Gaza. Mais ce sont les Palestiniens, et non les Israéliens, qui ont
procédé à la rafle les premiers.

Le fait d´armer des factieux insurrectionnels contre des gouvernements
démocratiquement élus est coutumier des Etats-Unis, de longue date. Ce n´est
pas un fait du hasard si Elliott Abrams, vice-conseiller ès sécurité
nationale et architecte vraisemblable de la subversion anti-Hamas a été un
acteur clé dans la fourniture d´armes, par Ronald Reagan, aux milices des
Contras qui voulaient renverser le gouvernement démocratiquement élu du
Nicaragua, dans les années 1980.

Des documents en circulation au Moyen-Orient affirment avoir la preuve de la
stratégie du « coup de force » d´Abrams. Un de ces textes fait état des
objectifs de Washington, tels qu´exprimés au cours de conversations de
responsables américains avec un gouvernement arabe. Il s´agit, entre autres
choses, « de maintenir le président Abbas et (son) Fatah, en tant que centre
de gravité de la scène palestinienne », « d´éviter de perdre du temps en
cherchant à transiger avec les conditions idéologiques imposées par le Hamas
 », « de saper le statut politique du Hamas en fournissant aux Palestiniens
une aide économique leur permettant de faire face à leurs besoins » et « de
renforcer l´autorité du président palestinien afin qu´il soit à même de
convoquer et de tenir des élections anticipées, à l´automne 2007 ».

Ce document est daté du 2 mars, soit moins d´un mois après que l´Arabie
saoudite ait obtenu l´accord de La Mecque, en vertu duquel Abbas avait
finalement accepté de former un gouvernement d´union nationale avec le
Hamas. Ce marchandage avait ulcéré les Israéliens et Washington,
principalement parce qu´il avait laissé le Premier ministre du Hamas, Ismail
Haniyéh, aux manettes. Le document en question suggère l´idée que les
Etats-Unis voulaient saboter cet accord. Il est prouvé, d´après des
responsables du Hamas qu´un Abbas déprimé aurait été briefé par la suite à ce
sujet, qu´on a exigé d´Abbas qu´il zappe l´accord de La Mecque et toutes les
rencontres qu´il a eues depuis lors avec le Premier ministre israélien Ehud
Olmert ou la Secrétaire d´Etat américaine Rice, ainsi qu´avec Elliott
Abrams.

Mais il y a plus grave encore : le document fixant les objectifs américains
soulignait un programme à 1,27 milliard de dollars qui aurait dû ajouter
sept bataillons spéciaux, pour un effectif total de 4 700 hommes, aux 15 000
hommes dont disposait déjà Abbas dans sa garde présidentielle et dans ses
autres forces de sécurité, lesquels auraient dû recevoir un supplément de
formation et de nouvelles armes. « Le résultat désiré sera la transformation
des forces de sécurité palestiniennes et veiller à ce que le président de
l´Autorité palestinienne soit en mesure de faire passer dans les faits des
décisions telles le renvoi du cabinet et la formation d´un cabinet d´urgence
 », dit ce document.

Alastair Crooke, un ancien conseiller spécialisé « Moyen-Orient » du chef de
la diplomatie européenne Javier Solana, et actuellement directeur d´un
institut de recherches à Beyrouth, fait observer qu´Israël a bloqué certaines
livraisons d´armes. Il était en effet réticent à envoyer trop de flingues à
Gaza, de crainte que le Fatah n´en perde le contrôle, ce qui est
effectivement arrivé. C´est la raison pour laquelle le plan n´a pu être mis
en oeuvre que partiellement. (La Grande-Bretagne a joué un rôle mineur en
aidant les services de sécurité d´Abbas. Elle a fourni pour environ 350 000 £ d´équipements « non létaux », cette année, afin d´assurer la protection du point de transit de fret de Karni, entre la bande de Gaza et Israël.)

Mais Crooke dit que le Hamas était irrité du sabotage du marchandage de La
Mecque, notablement par le refus, par Mohammad Dahlan, homme fort du Fatah à
Gaza depuis bien longtemps et chef des Forces de la Sécurité Préventive, de
reconnaître l´autorité du ministre de l´Intérieur nommé au gouvernement
d´union nationale - un (technocrate indépendant) sans affiliation partisane.
« Dahlan a refusé de traiter avec lui, et il a fait descendre ses sbires
dans les rues, défiant le ministre de l´Intérieur. Le Hamas comprit qu´il
n´avait pratiquement pas d´autre choix que de prendre le contrôle de la
sécurité et d´en finir avec des forces qui, en réalité, étaient la
principale cause d´insécurité », explique Crooke.

Ahmad Youssouf, un porte-parole du Hamas, confirme que le mouvement a estimé
qu´il devait prendre très rapidement l´initiative. Il a dit, textuellement,
que les événements de la semaine dernière avaient été « précipités par la
politique américaine et israélienne consistant à armer des éléments de
l´opposition fathaouie déterminés à attaquer le Hamas et à nous évincer du
pouvoir. »

Le Hamas ayant réussi à stopper net les projets ourdis par les Etats-Unis et
le Fatah concernant Gaza, Abbas s´efforce actuellement de les mettre en
oeuvre en Cisjordanie, en formant un gouvernement d´urgence. Mais cette
politique est condamnée à échouer, dès lors que la constitution stipule
qu´un gouvernement de cette nature ne peut pas outrepasser les trente jours
d´existence. Le Parlement doit lui renouveler sa confiance par une majorité
des deux tiers des votes, or ledit Parlement est contrôlé par le Hamas. La
seule politique sensée, pour Abbas, est nécessairement de cesser ses efforts
visant à marginaliser le Hamas. Il doit revenir à l´agrément de La Mecque et
soutenir un gouvernement d´union nationale. Encore maintenant, le Hamas
affirme qu´il est prêt à le faire, de son côté.

Avec tout ça, qu´en est-il de l´idée de la Maison Blanche consistant à
impliquer Tony Blair en s´en servant d´envoyé spécial au Moyen-Orient ? Cela
créerait une « coalition des discrédités » - Bush, Olmert et Blair - et cela
ressemblerait à une satire, dès lors que Blair ne jouit d´aucune crédibilité
auprès du Hamas, ainsi d´ailleurs qu´auprès de la plupart des Palestiniens
n´appartenant pas au Hamas... Mieux vaut laisser aux Saoudiens le soin de
ressusciter le marchandage de La Mecque, ou d´attendre qu´Abbas prenne
conscience qu´il est tombé dans un piège. Le Fatah n´a pour lui ni le bon
sens, ni les principes démocratiques - le facteur temps, je n´en parle même
pas, par charité !

par Jonathan Steele
(j.steele@guardian.co.uk)
in The Guardian, vendredi 22 juin 2007
traduit de l´anglais par Marcel Charbonnier