Lettre ouverte à Mathieu Amalric

Lettre ouverte à Mathieu Amalric

Arles, le 10 juin 2007

Mathieu,

Je ne pense pas que tu te souviennes de moi. Pourtant, nous nous sommes croisés il y a quelques années sur le tournage d’un film qu’à peu près personne n’a vu, ou en tous cas qu’à peu près tout le monde a oublié. Bon d’accord, tu avais déjà le premier rôle, alors que j’étais environ le tout dernier des sous-fifres, du genre à acheter tes journaux pour que tu puisses faire ta revue de presse. Du coup, il est plus facile pour moi de suivre de loin le cours de ta carrière, que pour toi de suivre la mienne… Peu importe, je te ferai un résumé quand je serai moi aussi en haut de l’affiche.

Aujourd’hui donc, plutôt que de faire la sieste devant la finale de Roland-Garros, je suis allé voir "Le scaphandre et le papillon". J’ai beau fouiller dans mon vocabulaire, je ne suis pas sûr d’avoir les mots pour définir l’ampleur de la claque reçue. Une leçon de cinéma, en même temps qu’une belle tranche d’émotion pure… La classe…

Evidemment, j’ai parfois pleuré comme une madeleine. Mais souvent, au cinéma, quand on pleure, on a l’impression que le réalisateur a appuyé sur une touche, genre pathos, comme d’autres activent l’action, l’humour, ou n’importe quoi d’autre. Là non, j’ai chialé de bon coeur, à peu près persuadé que c’est ce que j’avais de mieux à faire. Et puis j’ai ri aussi. Souvent seul, d’ailleurs, mais peu importe : l’humour cynique que tu déploies avec tant de talent en voix off m’est souvent apparu irrésistible. Il en faut de l’énergie, sûrement celle du désespoir, pour garder de l’humour dans la situation de ton personnage.

Et contrairement à Emmanuelle Devos, qui, à tes côtés dans "Rois et Reine", dévoilait environ l’émotion d’une serpillière dans les recoins d’une cuisine industrielle, les personnages féminins qui entourent le tien dans ce film semblent tous touchés par la grâce… Enfin, pour que le tableau soit parfait, le film est une réussite totale sur un plan purement esthétique. Transmets donc mes félicitations les plus admiratives à Julien Schnabel, réalisateur inspiré de ce chef-d’oeuvre éblouissant.

Dans le film, ton père te dit qu’il est fier de toi. Et bien moi aussi, Mathieu, je suis fier de toi. Même si je ne suis pas ton père, ça n’aura échappé à personne. Ouais, je suis fier que tu mettes tant de talent au service de films aussi exigeants. Fier que tu mènes ta carrière de façon aussi intelligente, fier que tu nous promènes régulièrement au fil de trouvailles inclassables.

Mathieu, t’as la classe, ne change rien… Je ne pense pas que je serai invité l’an prochain à la cérémonie des Césars, mais je constate que tu vas finir par en avoir beaucoup plus que moi. Décidément, nous n’avançons pas exactement à la même vitesse, mais je ne t’en veux même pas d’aller un peu plus vite que moi…

Au contraire, fonce, on en redemande !

Arno.V