D’emblée, la toile de fond des « Temps difficiles » semblera rébarbative : l’évocation d’une famille de la bourgeoisie industrielle, avec son grand patron (Jérôme Antonin), une « tribu » fragilisée de plein fouet par la crise financière de 1929, une entreprise familiale menacée par certains membres de son conseil d’administration (les Lyonnais)…
Heureusement, il n’en est rien et la comédie s’avère des plus attractives. L’environnement social et économique incertain permet surtout à l’auteur du célèbre « Fric-Frac » (1936) d’esquisser des portraits psychologiques à la fois drôles et acérés.

Il y a ce Jérôme Antonin, être à la fois autoritaire et borné, d’une philosophie de la vie déconcertante, une mère un peu surannée, folle de son chien-chien, un fils exubérant, toujours prêt à quitter sa femme enceinte pour voir ailleurs. Il y a également au sein de cette nombreuse famille une branche « artiste » : Marcel, le peintre bohème ; sa femme, une ex-comédienne fataliste, des enfants un peu rebelles ne jurant que par le théâtre et le cinéma…

Un beau jour, Jérôme, rongé par des problèmes d’argent, réunit chez lui tout ce beau monde dispersé depuis 20 ans. Le monstre Argent sera à l’origine d’un troc des plus loufoques : Anne-Marie, la fille de Marcel, devra - pour sauver l’entreprise familiale – épouser un idiot en la personne de Bob, héritier de la richissime et très snob Mélanie Laroche. « L’intrigue des Temps difficiles peut évoquer dans la longue liste des personnages sacrifiés l’Iphigénie de Racine », précise le metteur en scène Jean-Claude Berruti.

Il ne s’agit pas d’une pièce triste… « Les Temps difficiles » se trouve à la frontière du vaudeville, du réalisme social et de la comédie psychologique. On n’est pas vraiment chez Feydeau ni chez Maupassant, juste quelque part au milieu. Les personnages des Temps difficiles ont même une certaine consistance : ils hésitent, font semblant d’accepter pour mieux se dérober ensuite, cherchent furtivement à contourner les lois du système.

On est séduits à la fois par une mise en scène très alerte servie par d’excellents comédiens et par la verve à la fois ironique et glacée du texte de Bourdet. « Cette comédie est toujours une bonne recette théâtrale », constate Berruti. En tout cas ces Temps difficiles donnent envie de découvrir les autres pièces de cet auteur dramatique, qui fut l’administrateur de la Comédie-Française de 1936 à 1940.

"Les Temps difficiles"
d’Edouard Bourdet.
Mise en scène de Jean-Claude Berruti

Théâtre du Vieux-Colombier
Du 23 mai au 24 juin 2007
Durée : 3 heures

La pièce est publiée à L’avant-scène théâtre, collection des quatre-vents, 2004