Vers une esthétique autonome de la photographie ?

Vers une esthétique autonome de la photographie ?

Après lecture d’un texte d’Alain SAYAG ( Conservateur au centre Pompidou ) Il m’a paru souhaitable de préciser certains concepts artistiques qui – me semble-t-il - se démarquent de la pensée très enrichissante de cet auteur. Compléter ici ses conceptions me semble une ambition à risquer ; en forme de réponse aimablement « polémique ».

Monsieur le Conservateur ( lettre à Alain SAYAG : Centre Pompidou Paris)

Ayant donc lu et relu votre texte sur le beau , le sublime : " Une beauté photographique ? " , je ne me suis pas senti concerné quand vous avez rappelé les règles de la "belle photographie " consensuelle se nourrissant de " justesse de proportion "......sans doute aussi d’instants dérobés.

Pour ma part je me dirige vers un résultat transposé ou pseudo-transposé , mais directement à la prise de vue et seulement par la nature de mon geste photographique. Geste au sens propre qui peut suivre un sujet mobile dans le temps et l’ espace, aller à son encontre ; même le quitter ou tout ensemble, ou enfin s’il est immobile : épouser sa structure voire la taquiner .

Cela - non pas dans un clic, mais dans une durée/pose pouvant atteindre plus d’une seconde.

Je m’affranchis ainsi de cet enregistrement souvent appelé automatique ou "non embelli par la pensée ou l’interprétation"

La modernité

Quand vous avez abordé la modernité, j’aurais du me retrouver , mais en fait je ne me suis pas non plus reconnu sous l’aile des Man Ray ou autres Plossu . Ils usent de "manipulations techniques".

Toute conscience étant conscience de quelque chose, la manipulation suit cette règle bergsonienne et m’est donc étrangère car je ne manipule pas une chose . Je ne module que mon corps - mon moi - qui tressaille pour partie en dépendance du sujet . Je ne baigne que dans la trace du spontané, étant bien précisé que mes images ne sont pas transformées après la prise de vue .

Cependant ces photos, bien qu’elles ne s’identifient pas à la catégorie ancienne, sont souvent reçues avec une « lisibilité immédiatement perceptible ».

Peut être parce que je ne rajoute en fait presque rien , retombant au delà de ma fantaisie sur une acquisition très

proche, encore plus proche du réel de la vision quotidienne .

Nous savons que le regard de tout observateur est mobile dans le temps et l’espace . Il en est ainsi de ce troisième oeil que j’ai adopté . N’est ce pas une façon de se rapprocher encore plus près de la simple perception ordinaire gestaltiste ? Ne fut-il pas risqué d’avoir eu une vision du monde au moyen d’ un instantané /" immobile" pour capter une vie qui est mobilité, durée et surtout qui est vue par un observateur possèdant ces mêmes caractéristiques ?

Le vil instantané

D’ailleurs pour ma part, ancien photographe de ballet, je me coule maintenant avec plaisir dans la danse , cet art que je me contentais de geler et trahir dans des livrets d’Opéra . Je gage que le photographiquement perceptible est un faux naturel ,que l’instantané (décisif ou non) est un traître. Que cet instantané tue aussi sûrement la vie que l’observateur quantique fausse l’approche de la matière. Qu’il faut se méfier du simple ordre dans la composition ainsi que de l’intervention. Que le naturel pourrait peut être se conquérir par le geste improbable ; à l’impossible nous sommes tant tenus ...

Une mobilité calquée sur l’absolu mouvement chaotique de l’Univers ? Une pose qui transpose ? Un essai de conquête d’un réalisme encore plus ténu car moins prosaïque mais aussi sans reconstruction ? Comme une Vérité qui n’existe pas ( pléonasme) mais dont la quête apporte au curieux une attitude, une ascèse et la découverte de Sa propre vérité.

Ou alors la durée de ma prise longue , débordant le "trou de temps" epsilon, dans une moindre transposition du vivant à l’inanimé, induit-elle cette ouverture à une reconquête de la vie ? Mon résultat porte bien trace visible du temps et de l’espace ( d’ailleurs une seule et même chose - comme valeur ajoutée durant l’action - ) , dans lesquels la vie s’écoule au lieu de se réfugier dans des mondes pétrifiés-morts hors univers ?

Une démarche particulière ?

En tout cela je caresse l’espoir de me nicher à part - pardonnez moi - de sortir des catégories que vous avez évoquées et qui ont fait de la photo un sous produit mis "à la raison".

Non bridé par les caudines de l’instantané, superposant la trace spatio-temporelle comme une troisième dimension , je me sens maintenant éloigné de la peinture et de la photo statiques. Je cherche un parcours autonome en les fuyant , espérant la conquête du continuum dans la perpétuelle sidération .

Pour moi également foin de "l’antique notion de beauté" et de ses iconoclastes ; je n’épouse ni l’une ni les autres mais je me situe simplement en dehors de cette problématique. Ma démarche sécrète un surcroit d’information spatio temporelle qui - me semble-t-il - est apte à me donner la clé d’un regard encore plus proche du sujet tout en me libérant de la recherche et de la visée à priori d’un art devenu épiphénoménal ; dans une sudation du temps qui peut s’échapper du sujet, de moi même ou des deux.

Un geste prosaique ?

Car après tout je n’invente rien ; je suis seul avec mon appareil photo et je n’existe que par mes impulsions et ma transe quasi automatiques ( donc sans fin ) , venues d’un sujet qui reste reconnu sur l’image finale. Semblable à tout observateur non photographe regardant naturellement voire négligemment en continu ; l’instinct reprend sa place naturelle pour remplacer l’oeuvre bien pensée et bien "léchée"....

Je ne perds donc pas de vue le couplage perception-action ; le fait que l’organique enregistre activement et utilise aussi ses propres mouvements pour appréhender l’espace ( et le son). Comment trouver le temps de poursuivre le graal "durant " 1/1000 ème de seconde ? Etant mille fois plus observateur que l’habituel cillement photo , n’est-il pas légitime de me sentir en état d’hyper perception ? A composition et manipulation, à photo, je voudrais substituer interprétation (immédiate comme en musique).

Un délire / bacchanale

En complément, pour fuir les problèmes récurrents de ce medium , je serais enfin heureux de pouvoir éliminer cette réserve habituelle que vous avez émise sur la "reproduction / multiplication" dévoreuse d’ authenticité :

Exposant habitué du Salon d’Automne, je compte proposer pour la prochaine session au Grand Palais une séance "interprétation" sur le thème de la danse, qui a été mon premier sujet d’étude du mouvement.

Si ce projet était accepté, j’y prendrais mes "photos " de mouvement numériques avec des danseurs, renvoyées sur écran, avec destruction immédiate des fichiers générés.

Il s’agirait donc dans ce happening-"pseudo-photo", de montrer que l’activité photographique peut faire un pied de nez aussi bien au problème de l’instantané qu’à celui de la reproductibilité . Je le proposerai peut être aussi au Siggraph.

Travailler dans la durée de la pose et l’éphémère de l’oeuvre unique - contraste inattendu ; en plus " déglinguer" le temps ( de pose) et rire de la "banalisation mercantile" !

Pensez vous que je puisse aller ainsi vers une "esthétique autonome" en photo ?