EN DIRECT DE MARSEILLE : O’PEDALO... et conséquences !

EN DIRECT DE MARSEILLE : O'PEDALO... et conséquences !

Tous les Marseillais ont leur pizzeria préférée.
J’ai de longue date choisie la mienne, O’Pédalo, les
pieds dans l’eau sur la plage de la Pointe-Rouge. Avec
l’arrivée des beaux jours, j’y retourne chaque saison
comme on retrouve un ami. Le patron me reconnait, qui
me salue bien bas. J’y ai mes habitudes, ma table
réservée - la dernière au fond, vue sur la plage et
les cabanons - , à laquelle je donne mes rendez-vous
pour partager une grande pizza et les menus plaisirs
d’une charmante soirée.

Aussi étais-je de bonne humeur en y débarquant
l’autre soir sur le sable, en compagnie d’une petite
amie pour une dînette en amoureux, la première cette
année à la terrasse du O’Pédalo. Non, rien ne laissait
en effet soupçonner l’ombre orageuse qui menaçait déjà
de naufrage mes projets romantiques de "4 fromages" et
de soleil couchant...

Tout était à sa place et le
sourire avenant pour nous acceuillir. Notre table
était libre et nous y installant, je commandai déjà
l’apéritif tandis que le serveur nous tendait les
menus. La carte me sembla d’abord à l’identique des
années précédentes et les prix n’avaient seulement pas
augmenté depuis l’invention maudite des euros. Mais en
y regardant de plus près, je remarquai un détail qui a
son importances :là où, l’année dernière, s’inscrivait
après le mot "PIZZAS" la précision "3/4 personnes", on
pouvait lire à présent "individuelles".

Eh voilà, le O’pédalo lui aussi comme beaucoup
d’autres, avait attrapé cette nouvelle maladie mentale
qui fait des ravages chez nos pizzaïoles :
l’individuelle ! Ca n’existe pas, la pizza
individuelle, bande d’abrutis hérétiques, d’ignorants
sacrilèges ! Gave-touristes ! Cantinières ! ...

Le mot pizza vient de l’italien plazza qui désigne
cette place ronde et dont elle a la forme, où l’on se
rassemble au coeur du village pour exercer l’échange
et le partage du bien commun. C’est ce que symbolise
la pizza ; cette galette de peu qui a conquis le monde,
parce que chacun la garnit de ce qui lui tombe sous la
main et qu’on la découpe ensemble en une communion
sympathique.

Si j’étais l’homme que je prétends être, j’aurais
levé le camp illico, comme il m’est arrivé de le faire
précèdemment en d’aussi funestes circonstances. Mais
las, l’apéro cette fois était déjà servi, mon invitée
innocente et étrangère à ce scandale - une de ces
néoarrivantes chères au coeur de Gaudin, descendue en
l’occurence du Poitou - , et je me suis lâchement
dégonflé, ravalant mon humiliation avant que de me
taper pour la première fois de ma vie une de ces
saloperies de pizzas individuelles. Autant dire
qu’elle me restera longtemps en travers de la gorge,
la pizza d’O’Pédalo...

La contrariété devait se lire sur mon visage car
pour la première fois, en plus de ses bonnes grâces
nous eûmes droit au dijo du patron. Mais cela ne
suffira pas à faire passer la pâte mal cuite ( car il
est scientifiquement impossible de réussir
parfaitement la cuisson d’une pizza individuelle :
c’est une question de taille et de répartition de la
chaleur entre la croûte et le centre !)

Entendons-nous bien : ce n’est surtout pas une
question de prix, mais bien une question de principe.
Je suis Marseillais d’origine italienne et je ne mange
simplement pas de ce pain là ! il en va de mon honneur
et de ma dignité. C’est culturel, citoyen et quasi
religieux. Autant prétendre faire avaler à un juif ou
à un musulman un pied de cochon grillé pour son petit
dej’... C’est n’importe quoi !!

Ma pauvre vieille Phocée, que l’on prostitue,
maquillée outrageusement comme une vieille pute pour
racoller le touriste et l’investisseur et qui, à
Marius et Jeannette, préfère désormais Kaufman &
Broad... Marseille, qui boufferait ses enfants pour se
nourrir !

Eh oui, c’est bien la faute à Jean-Claude, tout ça :
à force de faire croire aux Pizzaïoles de la
Pointe-Rouge, plage populaire s’il en fut, que
Marseille était le nouveau SaintTropez, voilà où on en
est ! Et je galèje pas ! Car ce n’est pas que de pizza
que cette histoire bête nous parle, mais d’un
Marseille ou plus rien n’est fait ni pour l’humain ni
pour les Marseillais, mais pour le seul pognon ! Comme
si il y en avait jamais eu à gagner dans cette
ville... ? Pour vous et moi, je parle.

Je vous le demande, que restait-il chez nous
d’encore un peu généreux et de spécifiquement
marseillais ? Nos grandes pizzas ! Qui épataient nos
amis venus d’ailleurs à l’époque où on était content
de les voir et tout fier de leur faire visiter notre
ville qu’on aime. Pour les conquérir, je les amenais
plage de la Pointe-Rouge, partager une "brousse-figa"
face à la mer. Je ne pourrai plus le faire désormais,
comme, sur le chemin du retour, je ne pouvais déjà
plus leur montrer Marseille depuis
Notre-Dame-de-la-Garde, dorénav(r)ant fermée la nuit,
etc. Etc.