Quand Les Corbeaux bouffaient du curé

Quand Les Corbeaux bouffaient du curé

Un livre de Guillaume Doisy, Les Corbeaux contre la calotte, nous invite à rôtir les curés, à farcir les moines et à faire rissoler les bonnes sœurs. Pas pour le folklore, mais parce que cela devient une urgence si nous ne voulons pas être envahi par les punaises de sacristie en tout genre. A bas la calotte !

Les calotins de toutes obédiences reprennent du poil de la bête. Des théocraties se fondent. Au moindre conflit, les religions servent de prétexte pour déchirer les populations. Les communautarismes se multiplient et enferment les esprits dans des logiques étriquées. Les luttes « anti-impérialistes » sont souvent menées par des groupes religieux rétrogrades. Ce qui donne une idée du malaise. Côté catholique, il suffirait de s’arrêter sur les dernières déclarations du pape Benoît XVI pour dire qu’il y a le feu au lac ! Ce crétin tiaré a osé affirmer aux Indiens du Brésil que le Christ est le sauveur que « leurs ancêtres désiraient silencieusement »…

Mais, cela ne devient pas simple de critiquer toutes ces bondieuseries. Par toutes sortes d’intimidations, on nous conseille de nous taire si nous ne voulons pas être déclarés antisémites, islamophobes, antichrétiens… Comme si les religions étaient devenues intouchables. Au nom de quoi ?

Les anciens ne s’embarrassaient pas pour hacher menu les grenouilles de bénitier. Entre 1904 et 1909, un hebdomadaire a donné du fil à retordre aux glapisseurs de Dieu. La publication lancée en Belgique, puis en France, s’appelait Les Corbeaux.

Dans la tradition révolutionnaire qui mêle politique et dérision, son arme était la caricature bête et méchante. Du dessin satirique d’un genre saignant comme celui qui illustre la couverture du livre de Guillaume Doizy. On y voit un moine dodu pendu haut et court. Clouée sur la potence, une pancarte indique « Le vœu des Corbeaux : pendre le dernier moine avec les boyaux du dernier ratichon. »

Le contexte français est assez particulier à cette époque. L’anticléricalisme est au pouvoir depuis 1899 avec la victoire du gouvernement de « défense républicaine », puis celle du Bloc des gauches, en 1902. Quand le mystérieux Didier Dubucq (alias Ashavérus, Astaroth, Ash ou Asmodée) créé son hebdo, nous sommes donc en plein débat sur ce qui deviendra, en décembre 1905, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

La revue Les Corbeaux sortait le dimanche. Pied de nez aux cathos. Le directeur-rédacteur-illustrateur-éditeur s’était entouré de publicistes affiliés à divers mouvements de libre pensée et actifs dans le mouvement social qui officiaient sous des pseudos farfelus tels Jean Rigole, L’Abbé Résina, Saint-Greluchon, Le Prince sans rire, Saint-Nichon, etc.

Cette brochette d’auteurs et d’artistes militants va propulser Les Corbeaux à un niveau national jamais atteint par une telle publication. Revue militante et néanmoins moderne, elle aura aussi la bonne idée de s’appuyer sur des produits dérivés originaux pour faire sa réclame.
Des caricatures féroces seront ainsi diffusées sur des centaines de milliers de cartes postales, de papillons en papier gommé, d’affiches, de tracts en couleur, de menus de banquet, d’enveloppes, de chansons et de jeux illustrés… pour être collés, distribués, placardés en de multiples endroits. Ce qui suppose une pratique anticléricale intense durant la Belle époque.

En 1906, les radicaux au pouvoir mettront un frein à leurs élans anticléricaux pour plutôt s’occuper des mouvements sociaux qui devenaient menaçants. Les grèves sont réprimées. Les syndicalistes révolutionnaires, notamment les anarchistes, sont arrêtés. Des dessinateurs comme Grandjouan ou Delannoy sont également emprisonnés. Clemenceau qui, peu avant, appelait à la grève générale, était devenu le « premier flic de France ».

Néanmoins, l’activisme des lecteurs et des militants de la revue, qui, en 1908, se présentait comme l’organe de la Libre pensée française, ne faiblit pas. Le titre est en vente partout « dans toutes les gares de Paris, du métro, de la banlieue et des départements ». Les abonnements sont reçus dans tous les bureaux de poste.

Ce succès provoque parfois des réactions épidermiques chez ceux qui prétendaient lutter contre la « pornographie ». Les camelots qui colportent Les Corbeaux sont parfois la cible des attaques de la police ou de cléricaux malveillants. C’est le cas de Christin. Il a été agressé par un abbé en pleine rue, à Grenoble. Dans sa rage, le cureton a déchiré une centaine d’exemplaires du même numéro.

L’étude très documentée de Guillaume Doisy s’arrête par ailleurs sur les liens, amicaux ou non, que Les Corbeaux entretenait avec d’autres titres comme l’anticlérical socialiste italien l’Asino ou, bien sûr, La Calotte. En annexe, l’auteur a sélectionné quelques articles et des blagues anticléricales de la Belle époque. On y trouve notamment une excellente recette de cuisine pour accommoder le « curé 1906 ».

Enfin, un épais cahier iconographique montre ce qu’était le rire de combat de nos aînés. Curé et nonne jouant à saute-mouton, curé en fâcheuse posture avec sa servante, bonne sœur allaitant son enfant, cochon et curé bras dessus bras dessous, curés abrutissant les cerveaux, Joseph avec des cornes de cocu, diable manipulant prêtre, juge et militaire, Joseph emmenant Marie et Jésus dans un pot de chambre à roulettes, curés vautours entourant le lit d’un mourrant pour lui piquer ses économies… voici de bien virulentes images, souvent blasphématoires qui, aujourd’hui, finiraient à coup sûr devant un tribunal.

Guillaume Doisy, Les Corbeaux contre la calotte – La lutte anticléricale par l’image à la Belle époque, éditions Libertaires, 194 pages. 15 euros.
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